Gabriel Bacquier a été le plus grand Don Giovanni de la seconde moitié du XXème siècle, selon le fondateur et directeur du Festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence Gabriel Dussurget. Il fut aussi un grand Scarpia dans Tosca et le chanteur français le plus célèbre des scènes lyriques internationales. Son talent lui permettait de changer de registre, du comique au tragique, incarnant chaque rôle avec conviction et autorité.
Gabriel Bacquier en 10 dates :
- 1924 : Naissance à Béziers
- 1945 : Admis au Conservatoire de Paris
- 1953 : Intègre la troupe de la Monnaie de Bruxelles
- 1957 : Engagé dans la troupe de l’Opéra Comique de Paris
- 1960 : Scarpia à Paris et Don Giovanni à Aix-en-Provence
- 1964 : Début au Met de New York
- 1969 : Tosca au Capitole de Toulouse
- 1973 : Les Noces de Figaro à Paris
- 1994 : Dernière scène à Nice avec Don Pasquale
- 2020 : Mort à Lestre
Sa voix ne pouvait passer inaperçue, et l’a détourné de sa première vocation : la peinture.
Fils d’un cheminot et d’une institutrice, il aurait aimé faire les Beaux-Arts car il a le goût du dessin et de la peinture. Mais la guerre change son destin. Pour échapper au STO (service du travail obligatoire, imposé par l’occupant nazi), ses parents le font entrer dans les chemins de fer, où il travaille comme ouvrier et fait la connaissance de camarades qui l’entraînent chez une professeure de chant de Béziers. Celle-ci décèle son talent et l’incite à se présenter au conservatoire. Il y est admis en 1945 et en ressort cinq ans plus tard avec plusieurs prix. Pendant ses études, il chante dans les cabarets de Montmartre et les cinémas pour gagner sa vie et nourrir sa famille. C’est en observant les acteurs de cinéma qu’il apprend à devenir lui-même comédien.
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Après le Conservatoire, il est engagé dans le nord de la France puis à la Monnaie de Bruxelles.
Originaire du midi, c’est pourtant dans le Nord qu’il débute sa carrière professionnelle, après un court passage à l’Opéra de Nice. Près de Valenciennes d’abord, dans une troupe dirigée par Lucien Brouet au Théâtre municipal d’Anzin. Il fait aussi des tournées avec la compagnie lyrique du baryton José Beckmans, et apprend son métier en chantant déjà tous les rôles qui feront plus tard son succès. Puis il est engagé au Théâtre de la Monnaie de Bruxelles où il reste trois ans avant de rejoindre en 1957 la troupe de l’Opéra Comique à Paris. Il dira plus tard que la Salle Favart est devenue « sa Maison ».
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Don Giovanni de Mozart, retransmis par l’Eurovision, lance sa carrière internationale.
L’année 1960 est décisive : Gabriel Dussurget, conseiller artistique de l’Opéra de Paris et directeur du Festival lyrique d’Aix-en-Provence, engage Bacquier dans Tosca pour le rôle du terrible Scarpia à Paris, et dans Don Giovanni à Aix.
Le spectacle d’Aix est retransmis en Eurovision et donne un coup d’accélérateur à sa carrière. Il passe à l’internationale, en Europe (Vienne, Milan, Londres) puis aux Etats-Unis. Il reviendra souvent chanter à Aix, la dernière fois dans Don Pasquale en 1990.
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Son répertoire lyrique très étendu ne l’empêche pas de donner des récitals de mélodies françaises.
Il chante à peu près tous les rôles de baryton du répertoire, depuis Gluck jusqu’à Prokofiev, en passant par Offenbach et Debussy. De Wagner en revanche il ne chante que Wolfram dans Tannhäuser, ayant du mal avec la langue allemande. Très apprécié par Joan Sutherland et son mari Richard Bonynge, il est souvent à New York de 1964 à 1982, débutant au Met dans Samson et Dalila de Saint-Saëns (le rôle du Grand Prêtre) et terminant sur Le Barbier de Séville (Bartolo) de Rossini. Il enregistre beaucoup d’opéras chez Decca avec le couple australien. Ses récitals de mélodie ont également beaucoup de succès, démontrant son sens du texte et de la narration. Sa version d’Absence des Nuits d’été de Berlioz est admirable, comme ses interprétations de Duparc, Fauré, Ravel et Poulenc.
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Il est le Comte des Noces de Figaro dans la mise en scène légendaire de Strehler.
En 1973, le metteur en scène italien Giorgio Strehler réalise pour l’Opéra de Paris l’un des plus beaux spectacles de l’histoire de l’opéra. Ses interprètes sont parmi les meilleurs de l’époque : Gundula Janowitz, Mirella Freni, Frederica von Stade, José van Dam, Michel Sénéchal et Gabriel Bacquier dans le rôle du Comte Almaviva, sous la direction de Georg Solti ! Après une première à l’Opéra Royal de Versailles, la production est donnée huit jours plus tard à l’Opéra Garnier pour y rester un certain temps ! Bacquier dira plus tard qu’il s’est bien entendu avec Strehler, partageant une même conception théâtrale de l’œuvre, même s’il lui a demandé de rentrer dans la chambre de la Comtesse avec un fusil !
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Son dernier opéra est à Nice : Don Pasquale de Donizetti.
Les années 1980 le voient évoluer plus nettement vers des rôles bouffons, de Donizetti à Offenbach, en passant par Gianni Schicchi de Puccini et Les Mousquetaires au couvent de Louis Varney. A soixante-dix ans, il chante son dernier rôle sur la scène de l’Opéra de Nice : Don Pasquale de Donizetti. Une œuvre dans laquelle il s’est parfaitement accompli à la fin de sa carrière, tout comme avec Rigoletto de Verdi, qu’il chantait depuis ses débuts et avec lequel il fit sa première prestation à Garnier. Sa prestation à Aix en 1990 avec Barbara Hendricks reste mémorable, ce rôle de barbon ridiculisé par la jeune Norina lui permettant de passer du comique au tragique, du rire aux larmes. Comédien-chanteur, ainsi qu’il aimait se définir, Bacquier fut l’un des très grands serviteurs de l’art lyrique au XXème siècle.
Gabriel Bacquier dans le rôle titre de Falstaff de Verdi
En 2008 il s’engage avec Michel Sénéchal dans une croisade pour défendre le chant lyrique français, appelant à reconstituer des troupes dans les théâtres et à engager plus souvent des chanteurs français pour le répertoire de leur langue. Il enseigne dans différents lieux, notamment à Pézenas près de Béziers, sa ville natale, attaché à transmettre sa conception du chant au service du texte, le phrasé et l’articulation lui paraissant aussi importants que la technique vocale.
Il décède en mai 2020 dans sa résidence normande de Lestre, dans le Cotentin. Ludovic Tézier, qui reprit le rôle du Comte des Noces à Bastille en 2011, lui rend hommage ainsi : « Gabriel Bacquier n’est pas mort ! Il est monté, comme un du Sud qui monte à Paris, aujourd’hui au-delà de Paris ! ».
Philippe Hussenot