Maurice Gourdault-Montagne, ex-ambassadeur dans plusieurs pays et auteur de Les autres ne pensent pas comme nous (éd. Bouquins), était l’invité de la matinale sur Radio Classique. Il se montre optimiste sur le retour en force du tandem franco-allemand, malgré les divergences. Il livre aussi ses analyses sur le conflit ukrainien et les tensions autour de Taïwan.
« L’Allemagne est à la recherche d’elle-même », selon l’ex-diplomate
Dans son récent livre Les autres ne pensent pas comme nous, Maurice Gourdault-Montagne interroge la construction des liens diplomatiques entre pays. Se plonger dans la culture nationale et connaître la géographie du pays, ainsi que les « chocs » et les « émotions » qui l’ont secoués, sont obligatoires pour « comprendre l’autre ». Il prend l’exemple d’un professeur anglais à Cambridge, qui a écrit un livre sur la résistance en France. « Les Anglais ne savent pas ce que c’est de vivre sous la botte d’un occupant étranger, comme peut l’imaginer quelqu’un sur le continent européen », justifie l’ancien ambassadeur. De même, la proximité géographique entre pays n’est pas forcément synonyme d’entente parfaite. « Un Allemand n’est pas un Français qui parle allemand », déclare-t-il. Selon lui, il faut trouver des « points de passage » à travers « la littérature, les interprètes, mais surtout le contact avec les habitants ».
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L’ex-ambassadeur en Allemagne rappelle que le chancelier, dont le but principal est de créer des majorités au Bundestag, « ne peut pas faire des embardées ou manier le verbe » à la manière d’un occupant de l’Elysée. Aujourd’hui, le tandem franco-allemand s’est un peu affaibli au niveau de la politique énergétique et de défense. « L’Allemagne est à la recherche d’elle-même. Elle essaye de s’appuyer sur d’autres pays : La France peut-elle offrir assez ? », interroge-t-il. Mais la dynamique franco-allemande peut renaître facilement d’après lui. Le partenariat économique reste très vigoureux : la France reste le premier pays d’investissement allemand en 2021, et « 400.000 Allemands sont employés par des entreprises françaises [et vice-versa] », avance Maurice Gourdault-Montagne. Pour repartir du bon pied, Emmanuel Macron et Olaf Scholz doivent « trouver un projet qui soit un succès commun […] comme on l’a fait par le passé ». « L’équilibre du continent repose sur nous », affirme-t-il.
Dans le conflit ukrainien, Erdogan a un rôle important de médiateur, avance-t-il
La diplomatie, idéal qui se construit dans la durée, « ne s’arrête jamais », même entre la Russie et l’Ukraine selon l’ancien ambassadeur. Il prend à l’appui la présence de médiateurs comme la Turquie malgré un « fossé immense entre Ukrainiens et Russes ». Hier, Erdogan a téléphoné à Poutine pour l’inciter à assouplir sa position sur les exportations de céréales ukrainiennes. Le président turc a sous-entendu que c’est un point de départ pour aller plus loin, selon Maurice Gourdault-Montagne. La diplomatie avec le chef du Kremlin a toujours été complexe dès ses débuts au pouvoir en 2000, insiste-t-il. Jacques Chirac était déjà « préoccupé » et voulait « créer une confiance avec les Russes ». Les projets de partenariats sécuritaire avec la Russie ont échoué à cause des réticences de « certains pays d’Europe orientale, traumatisés par la Russie dans leur histoire », justifie-t-il, et par les Etats-Unis, qui ne défendent pas automatiquement notre intérêt pour la paix et la stabilité sur le continent européen, « contrairement à ce que l’on pense ». Poutine est finalement « parti sur une lente dérive d’un rêve pro-russe, pro soviétique et pro impérial ».
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Le statut de Taïwan est une autre grande source de préoccupation dans le monde, « obsession des Chinois », rappelle l’ancien diplomate. Lors du dernier congrès du parti communiste chinois, Xi Jinping a gravé dans le marbre « l’opposition » à l’indépendance de l’île. Il n’est « pas possible » de laisser les Chinois reprendre Taïwan brutalement, mais « est-ce que nous [Européens] laisserons un coup de force s’établir ? », se demande-t-il. Il rappelle que les Européens et les Etats-Unis ne reconnaissent pas Taïwan et respectent la politique d’une seule Chine. Malgré tout, un statu quo a existé pendant longtemps, permettant à Taïwan et Pékin de se parler. « Est-ce qu’on y reviendra ? Je crois que rien n’est jamais exclu », conclut-il.
Clément Kasser