Gaspard Estrada, directeur de l’Observatoire politique de l’Amérique latine et des Caraïbes, était l’invité de Renaud Blanc ce matin sur Radio Classique. Avec la victoire de Lula, le Brésil sort de la « dystopie » de Bolsonaro, affirme-t-il. Mais face aux défis, le chef de la gauche n’aura que peu de temps pour savourer sa victoire selon lui.
33 millions de Brésiliens « ont faim », un enjeu de taille que Lula devra régler
Le deuxième tour de l’élection présidentielle au Brésil s’est soldé par une courte victoire de Lula (50,9%) face au président en place Jair Bolsonaro (49,1%). Gaspard Estrada constate que les clivages politique sociaux se sont retrouvés « de manière éclatante » dans le scrutin. D’une part, le Sud-Est et le Sud du Brésil ont massivement voté pour le candidat d’extrême droite. D’autre part, le vote des femmes, des populations pauvres et noires est allé au candidat de gauche. Ces résultats serrés « traduisent une société fracturée et un pays qui a besoin d’être réconcilié », selon le chercheur, qui rappelle les violences physiques et les morts qui ont émaillé cette campagne. « Le principal défi de Lula sera justement de réconcilier le Brésil et de sortir de la dystopie [créée par Bolsonaro] », poursuit-il. De nombreux enjeux attendent le nouveau président, en premier lieu la reprise de la croissance économique [estimée à 2,7% pour l’année 2022 par la banque centrale]. Lula devra aussi résorber la pauvreté et les inégalités. « Aujourd’hui, 33 millions de Brésiliens [sur 215 millions] ont faim », insiste-t-il. La question de la déforestation de l’Amazonie et le retour du pays sur la scène internationale sera aussi crucial, selon Gaspard Estrada : « Le plus dur commence pour Lula ».
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Il faudra rester attentif à Bolsonaro et ses militants d’ici la passation de pouvoir, selon le chercheur
D’habitude très bavard sur les réseaux sociaux, Jair Bolsonaro n’a fait aucun commentaire sur sa défaite, un silence qui ne surprend pas le chercheur. « Mais je redoute sa réaction au fait que les présidents du Sénat et de la chambre des députés [proches du président] ont reconnu les résultats« , prévient-il. Même si la victoire de Lula n’a pas été contesté, Gaspard Estrada estime qu’il faudra être attentif à la période de transition avant la passation de pouvoir au 1er janvier. Hier, dans certaines provinces, la police a bloqué des bus de militants de gauche prêts à voter. « Bolsonaro a utilisé les moyens de l’Etat afin de soutenir sa candidature et cela de manière éhontée », commente-t-il. Il pointe cependant la « résilience » de la base politique bolsonariste, malgré une gestion de la pandémie catastrophique. « La société brésilienne s’est déplacée vers la droite, avec les évangéliques et leur discours ultra-conservateurs sur les moeurs et le port d’arme », analyse-t-il.
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Agé de 77 ans, emprisonné pour accusations de corruption avant de redevenir président pour la troisième fois, « l’histoire de Lula est digne d’un film », s’étonne Gaspard Estrada. Sa trajectoire de vie est incomparable, surtout quand on voit ses origines modestes : « il vient d’une famille de 8 enfants dans le Nordeste [région la plus pauvre du pays] et il a mangé de la viande pour la première fois à 5 ans ». Pendant la dictature militaire [de 1964 à 1985], il a fondé un syndicat et a été emprisonné. « De ce point de vue-là, Lula rentre aujourd’hui dans la légende », affirme-t-il. Ce moment de grâce sera de courte durée, nuance le chercheur. A la chambre des députés, après les élections parlementaires de début octobre, le parti des Travailleurs ne dispose que de 13% des sièges, derrière les 20% du parti libéral de Bolsonaro. Lula devra faire un gouvernement très large pour trouver une majorité au Congrès : « ce ne sera pas une mince affaire », conclut-il.
Clément Kasser