Du Requiem de Mozart à la « malédiction des 9 symphonies » de Beethoven : Que cachent les oeuvres inachevées ?

Schubert, Mozart, Tchaïkovsky… Les compositeurs laissent parfois derrière eux des œuvres inachevées. Beaucoup ont été interrompues par la mort de leur auteur, d’autres obéissent à une volonté plus mystérieuse, quelques-unes ont donné lieu à des légendes. Connaissez-vous l’histoire de ces œuvres ?

 

La Symphonie inachevée de Schubert  est-elle due à une panne d’inspiration ou à une géniale innovation ?

Au XIXème siècle, une symphonie se déroule en quatre mouvements. Mais la Huitième symphonie de Schubert n’en comprend que deux. La panne d’inspiration est peu probable, Schubert étant l’un des compositeurs les plus prolixes de l’histoire de la musique. En 1822 Schubert traverse une période difficile. Les premières atteintes de la syphilis se sont fait sentir et la solitude lui pèse. Il a tenté d’écrire un troisième mouvement – on a retrouvé une esquisse pour piano de ce scherzo, et quelques mesure orchestrées – puis a remisé la symphonie dans un tiroir. Elle n’en est sortie que bien après la mort du compositeur. Cette « symphonie inachevée » titille encore bien des mélomanes aujourd’hui. A telle point que Huawei a tenté de la compléter grâce à l’intelligence artificielle, réalisant au passage un gros coup de pub pour son nouveau produit de téléphonie mobile.

A lire aussi

 

Mozart, son Requiem est-il vraiment de lui ?

Selon la légende, un inconnu aurait demandé à Mozart d’écrire un requiem. On pense aujourd’hui que le mystérieux commanditaire était le comte Franz von Walsegg-Stuppach. Ce mélomane peu scrupuleux avait l’habitude de s’approprier les œuvres des autres. Hélas, Mozart meurt sans avoir terminé l’œuvre. Sa femme Constance n’ayant pas de quoi rembourser l’avance d’honoraires, elle imagine un subterfuge : c’est l’ancien élève de Mozart, Franz Xaver Süßmayr, qui terminera les parties manquantes à partir des esquisses laissées par le maître et de quelques œuvres de jeunesse. C’est sous cette forme que le Requiem de Mozart est joué depuis.

A lire aussi

 

Vous ne connaissez pas Ondine de Tchaïkovsky ou Salambô de Moussorgsky, et pourtant vous avez forcément entendu leur musique

La mort de l’auteur n’est pas l’unique raison pour laquelle une œuvre reste inachevée. Il arrive que le compositeur renonce tout simplement à poursuivre. Ainsi Tchaïkovsky délaisse le projet d’un opéra sur le mythe d’Ondine. Mais la musique n’est pas perdue pour autant : il la réutilise dans son célèbre ballet Le Lac des cygnes  ! De même Boris Godounov, l’opéra le plus connu de Moussorgsky, a bénéficié du réemploi de certaines pages écrites quelques années plus tôt pour Salambô, un projet d’opéra d’après le roman de Flaubert.

A lire aussi

 

La Symphonie n°10 de Mahler ou la « malédiction des 9 symphonies »

Lorsque Beethoven meurt en 1827, il travaille au projet d’une dixième symphonie. Or, après lui, les compositeurs semblent de jamais pouvoir dépasser le chiffre neuf : cinq symphonies pour Mendelssohn, quatre pour Schumann et Brahms, neuf pour Schubert si on compte « L’Inachevée ». On est loin des 41 symphonies de Mozart ou des 104 de Haydn ! Mahler a bien tenté, en 1910, de franchir le chiffre fatidique mais sans succès : il meurt avant de terminer l’orchestration. Il faudra attendre 1953 et la Dixième Symphonie de Chostakovitch pour que la « malédiction » soit levée. Ouf !

 

A lire également

 

Dans Turandot de Puccini, préférez-vous la scène finale écrite par Alfano ou par Berio ?

Puccini meut en 1924, sans avoir le temps de terminer la dernière scène de son opéra Turandot. L’œuvre est tout de même créée deux ans plus tard à la Scala de Milan sous la baguette de Toscanini, qui s’adresse au public après les ultimes mesures : « C’est ici que Giacomo Puccini a interrompu son travail ». Mais la famille du compositeur a souhaité voir l’opéra terminé. La tâche est d’abord confiée à Zandonai avant d’échoir à Alfano. Celui-ci prend le parti de finir sur le choeur reprenant la mélodie de « Nessun dorma », le grand air de Calaf et tube absolu de l’opéra. Effet magistral garanti… mais souvent jugé depuis trop grandiloquent. En 2002, Kent Nagano crée à l’Opéra de Los Angeles une autre version de la scène finale, signée cette fois Berio. Pas de grande pompe ici, mais des couleurs subtiles qui font progressivement évoluer l’angoisse vers l’apaisement lumineux du dernier accord.

 

La scène finale de Turandot de Puccini, complétée par Berio

 

Terminer les œuvres inachevées : respect du style ou transformation profonde de l’œuvre ?

Si Alma Mahler a bravé l’interdiction de son défunt mari et confié le manuscrit de la Dixième Symphonie de Mahler à un éditeur, la veuve d’Alban Berg a en revanche toujours refusé qu’on touche à l’opéra Lulu. Friedrich Cerha a donc attendu sa disparition pour donner en 1979 sa version complétée qui, aux dires des spécialistes, est plus vraie que nature. Moins respectueux, Rimsky-Korsakov a apporté nombre de modifications à La Khovanchtchina de Moussorgsky. C’est pourtant dans cette version qu’a été fréquemment représenté l’opéra jusque dans les années 1980. Aujourd’hui on lui préfère celle de Chostakovitch, jugée plus proche des volontés de Moussorgsky. Certains choisissent aussi de jouer les œuvres sans les ajouts. Tout dépend du parti pris esthétique. Le débat reste ouvert.

 

Sixtine de Gournay

 

 

Découvrez plus de secrets de grandes œuvres