Musique Classique : Découvrez quels célèbres morceaux ont inspiré le rap

Vincent Gramain/SIPA

Qui a dit que le rap et la musique classique devaient s’opposer ? Le rap a régulièrement puisé son inspiration dans des airs de grande musique, parfois pour des raisons financières, souvent pour des raisons artistiques. Selon le site Who Sampled, plus de 300 morceaux de rap auraient samplé de la musique classique.

Deux genres que tout oppose. Deux publics que tout objecte. Pourtant, musique classique et rap peuvent former une alchimie souvent étonnante.

Avec le développement de l’industrie musicale à la fin du XXe siècle, le droit d’auteur est devenu un élément fondamental du secteur. Le procès intenté au rappeur Biz Markie en 1991, accusé d’avoir samplé (copié un extrait sonore) le morceau Alone Again de Gilbert O’Sullivan, est souvent présenté comme le jalon législatif des droits d’auteur.

La règle du clearance oblige chaque artiste voulant sampler un morceau à demander l’autorisation à l’artiste concerné, en échange de royalties. Les taux négociés, souvent astronomiques, poussent certains artistes, rappeurs en l’occurrence, à redoubler d’imagination.

Ils puisent, par exemple, dans des morceaux libres de droits. La grande majorité des œuvres classiques, composées il y a plus de 70 ans et tombées dans le domaine public, offrent un eldorado aux rappeurs, sinon en manque d’idées du moins à la recherche d’inspiration.

Les rappeurs français et la musique classique

Berceau de la naissance de la musique classique, le Vieux Continent, et la France en particulier, puise dans son riche passé lyrique une partie de son inspiration.

Le groupe emblématique Suprême NTM connaît le succès lors de la sortie du morceau That’s my people en 1998. Produit sur une instrumentale de Sully Sefil, le titre est en réalité un sample du Prélude n°4 de Chopin composé en 1839 et déjà utilisé sur le morceau Jane B de Serge Gainsbourg en 1969.

Dans l’autobiographie Suprême NTM sortie en 2021, Kool Shen, cofondateur du groupe, racontera la genèse du morceau : « Pour ce quatrième album, j’avais écrit That’s my people sur une instru [amé]ricaine à la mode. Un soir, Sully Sefil est passé au studio à Puteaux. »

« Il passait pour faire écouter ses prods et il a sorti la boucle de Chopin. J’ai kiffé instantanément. Je mettais du temps à trouver l’instru, parce que mon texte, je le trouvais trop bien. Je pensais, en toute humilité, que j’avais écrit un très bon morceau. J’essayais des instrus mais là, j’ai percuté tout de suite. »

Le morceau Ni Strass, ni paillettes sample largement Trio pour piano et cordes n°2 de Schubert

En 2014, le second membre du groupe, JoeyStarr était notre invité sur Radio Classique au micro d’Olivier Bellamy. Il avait confié avoir découvert la grande musique grâce à la comédienne Béatrice Dalle, amatrice de musique classique.

Un autre groupe célèbre, Lunatic, composé de Booba et Ali, puisera dans la musique classique certains airs classiques célèbres. Ainsi, le morceau Ni Strass, ni paillettes sample largement Trio pour piano et cordes n°2 de Schubert.

Dans cette reprise, l’ambiance paraît sombre et tragique, ce qui semble être l’effet recherché par le duo de rappeurs. Dans son Hip Hop Forever (2000), le rappeur Busta Flex avait utilisé la même base mais sur une un mouvement différent du morceau de Schubert.

Enfin, dans La Dernière Danse (2001), le groupe éclectique Saian Supa Crew, qui privilégiera toute sa carrière durant une « forme drôle et un fond profond », choisit le début de la Sonate n°21 de Beethoven pour apporter un peu de légèreté au sujet sensible qu’est le suicide.

La Lettre à Elise de Beethoven (1810), un classique… du rap

Au tournant du 19ème siècle, Ludwig van Beethoven est marqué par l’échec d’un projet de mariage avec la musicienne autrichienne Therese Malfatti. Beethoven signe alors sa célèbre Lettre à Elise – dont le nom de la dédicataire suscite encore aujourd’hui des interrogations.

Le premier rappeur à repérer la mélodie et à s’en inspirer s’appelle Mobb Deep qui sort en 2001 le titre Snitched On. L’artiste ralentit l’air principal, ce qui lui donne un aspect plus mélancolique. Le morceau de Beethoven fait des émules : le célèbre Nas avec I Can, issu de son album à succès God’s Son, suivra en 2003.

Outre le rap, La Lettre à Elise est encore très ancrée dans la culture populaire, en témoignent les plusieurs reprises au cinéma : Ennio Morricone en utilise une partie dans le western Un génie, deux associés, une cloche en 1975 et Quentin Tarantino en modifie la version originale dans deux de ses films, Inglorious Basterds (2009) et Django Unchained (2013).

O Fortuna, Carmina Burana de Carl Off (1936)

Utilisé sur plus de vingt morceaux de rap, avec plus ou moins de réussite, l’opéra, déjà repris par Michael Jackson comme introduction à Brace Yourself au moment de sa tournée en 1992, atteint les publics les plus populaires lors du succès du morceau interprété par Nas et Puff Daddy, Hate me now, sorti en 1999.

L’Américain Nas, un des plus grands rappeurs de son époque avec plus de 25 millions d’albums écoutés depuis 1994, n’en demeure pas moins un admirateur de la musique classique. Et la cantate Carmina Burana composée par Carl Off n’a pas échappé au rappeur.

Jean-Sébastien Bach, de multiples reprises au tournant du XXIe siècle

Remise au goût du jour dans un registre swing par de nombreux artistes de jazz, l’œuvre de Bach est également utilisée par une multitude de rappeurs. En voici une liste non exhaustive : Toccata et fugue en ré mineur sur le morceau Brainless d’Eminem (2013), Concerto brandebourgeois n°3 pour Dr. Dre ou encore Sonates pour viole de gambe (1er Mouvement) dans Dance With the Devil (2001) du rappeur américain Immortal Technique.

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Dans son titre Imaginary Places, Busdriver exploite l’Ouverture n°2 en si mineur (Badinerie) de Bach composé il y a plus de deux siècles (1738). Le rappeur réalise une prouesse en rimant à grande vitesse (157 battements par minute). Quelques années plus tard, l’artiste californien suivra le même rythme effréné imposé par la boucle de piano de la Marche turque de Mozart sur le morceau sorti en 2009 Jhelli Beam.

Enfin, comment ne pas citer Mozart ? Composée en 1788 trois ans avant sa mort, la Symphonie n°40, chef d’œuvre absolu tant par sa richesse thématique que par sa dynamique rythmique, attire l’oreille du groupe américain EPMD. Le titre K.I.M, sorti en 1997, reprend indéfectiblement la mélodie tragique et angoissante (le compositeur vient de perdre sa fille en bas âge), en retirant la dernière note.

Gardant un rythme saccadé, permettant au groupe de poser leurs voix, le morceau rencontre un succès certain (l’album dont est issu le morceau est certifié « disque d’or », avec plus de 500.000 ventes). Quelques années plus tard, le rappeur Chino XL puisera également dans ce morceau de Mozart, en insistant davantage sur les notes percutantes du piano. La gravité et la grandeur de la symphonie ne fournissent toutefois plus les mêmes émotions que le morceau original.

Oscar Korbosli

 

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