La Symphonie n°40 de Mozart demeure l’une des plus populaires de toute sa production. Si elle sait encore aujourd’hui tant nous saisir et nous toucher, c’est sans doute parce que le compositeur semble y révéler sa souffrance ou plutôt la sublimer.
Mozart, qui traverse une période douloureuse de son existence, écrit une symphonie comme un drame en 4 actes.
Son premier thème, inquiétant et bondissant, est l’un des plus célèbres de Mozart. A l’instar des 4 notes d’ouverture de la 5ème Symphonie de Beethoven, il symbolise à lui seul et avec une même force dramatique, l’esprit de cette 40ème symphonie, la plus tragique du compositeur et l’une des plus opératiques. S’y exprime la fièvre de Chérubin, cet adolescent tourmenté des Noces de Figaro, qu’on entendrait presque chanter, dans le premier mouvement, le vibrant « Non so più cosa son, cosa faccio », tandis que l’ombre du terrible Don Giovanni, composé l’année précédente, semble encore hanter le compositeur. Œuvre profondément personnelle voire autobiographique ? Si l‘inspiration de Mozart n’est pas délibérément liée à son propre quotidien, force est de constater que les circonstances s’accordent avec les tourments qui traversent la partition. Cette année 1788 est ainsi l’une des plus sombres de sa vie : aux graves soucis financiers qu’il doit surmonter s’est ajouté la douleur de la perte sa dernière fille, Thérèse, emportée à l’âge de 10 mois. Le choix de la rare tonalité de sol mineur, l’une des plus inquiétantes qui soient, n’est sans doute pas anodin. Ce n’est que la deuxième fois que le compositeur y a recours pour une symphonie. Mais si les idées noires envahissent son esprit, Mozart choisi de s’en saisir pour renforcer une créativité alors débordante. Ainsi écrit-il, en seulement 3 mois, plusieurs sonates et trios ainsi que 3 symphonies qui constituent sa fameuse et ultime trilogie. La 40ème est la seule à contenir, de manière aussi intense, le désespoir qui le ronge.
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Avec sa trilogie, Mozart célèbre une dernière fois le genre symphonique qu’il aura magnifié tout au long de sa vie.
Depuis son installation à Vienne en 1781, Mozart semblait quelque peu délaisser la symphonie à laquelle il s’était consacré depuis sa plus tendre enfance et qu’il avait fait entrer dans l’ère moderne. Avec lui, il n’était plus question de la concevoir comme un simple divertissement ! La profondeur et l’expressivité devaient l’emporter, comme il l’avait affirmé dès la 25ème, l’autre sol mineur. Celle-ci semble d’ailleurs résonner dans son esprit lorsqu’il s’attèle à la 40ème. Une même tonalité, un même souffle quasi romantique et quelques similitudes rythmiques relient en effet les deux œuvres. Sans que l’on connaisse les raisons de sa motivation, Mozart retrouve en cette année 1788 un regain d’intérêt pour le genre, composant coup sur coup 3 symphonies qui seront ses toutes dernières et marqueront profondément l’histoire de la musique. Sans doute prévoit-il de les faire jouer à Vienne, espérant renouer avec le succès et renflouer ses finances. La sol mineur est la seconde de ce cycle. Datée du 25 juillet, elle suit d’à peine un mois la 39ème et précède de seulement deux semaines la Jupiter. Si certains s’accordent à dire que Mozart ne l’aurait jamais entendue de son vivant, la 40ème Symphonie aurait bien été jouée à Leipzig en 1789 avant que le compositeur n’en réalise une seconde version pour un nouveau concert en 1791, à Vienne, sous la direction de Salieri. Elle marque, en tout cas, l’avant dernière étape de l’aventure symphonique de Mozart qui aura ouvert la voie, dans ce domaine, au génie de Beethoven.
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Une partition traversée par un sentiment d’urgence et un élan de détresse.
Il existe donc 2 versions de la 40ème symphonie, Mozart ayant adapté son instrumentation pour y inclure la clarinette, si chère à son cœur, apportant ainsi une touche de volupté au pupitre des bois. L’orchestration, n’incluant ni trompette ni timbale, demeure assez légère et transparente, témoignant ainsi de ce génie qu’avait Mozart d’associer la lumière aux tourments. Si le premier mouvement est placé sous le signe de la lutte désespérée comme l’exprime, d’emblée, le thème d’ouverture si inquiet et obsessionnel, quelques touches d’optimisme, en mode majeur, en tempèrent légèrement la tension. A la frénésie dramatique répondent l’apaisement et la grâce de l’Andante qui n’en oublie pas, pour autant, de maintenir une certaine angoisse. Le Menuet se fait plus grave et farouche conduisant à un final fiévreux, d’une énergie voire d’une violence à laquelle Mozart n’a que rarement eu recours dans ses symphonies. Le tragique semble l’avoir emporté sur l’espérance dans cette partition d’une saisissante puissance émotionnelle.
Le schéma sonore de la partition du 1er mouvement de la 40ème Symphonie de Mozart
De Beethoven à Schoenberg, les plus grands créateurs saluent le génie mozartien.
Si Mozart semble ici nous conduire vers les ténèbres, la victoire sur la douleur éclatera dans la 41ème Symphonie, composée dans la foulée. Comme si Mozart souhaitait voire triompher la lumière au moment de faire ses adieux au genre symphonique. Car durant les 3 années qui lui resteront à vivre, il n’y reviendra pas, estimant peut-être avoir tout dit dans ce domaine. La 40ème est sans doute l’une des plus aimées de sa production, « une œuvre dont chaque note est de l’or pur, chaque partie un trésor » pour reprendre les mots de Beethoven. Son expressivité et sa dimension dramatique ont conquis le cœur des romantiques, de Schumann qui en corrigea personnellement certaines éditions, à Brahms qui en posséda le manuscrit reçu en cadeau de la part de la princesse de Hesse pour le remercier de lui avoir dédicacé son Quintette avec piano. Au XXème siècle, Schoenberg, dans son traité d’harmonie, comme Bernstein, dans ses conférences à Harvard, ne manqueront pas de s’en faire les ambassadeurs et d’en vanter la modernité.
Laure Mezan