La réforme des retraites est désormais sur la table et une journée de mobilisation a aussitôt été annoncée pour le 19 janvier. Mais plus que les manifestations, le gouvernement devrait redouter l’effet sur l’opinion publique, la grande inconnue pour l’instant.
Le report de l’âge de la retraite à 64 ans pèse symboliquement sur l’opinion publique
D’une certaine manière, le scénario était prévisible. Le report de l’âge de la retraite à 64 ans n’est pas une surprise, et l’opposition des syndicats à tout report de l’âge légal non plus. Hier soir, personne n’est tombé de haut. Personne n’a été pris en traître. Personne ne peut se dire trahi ou floué. Chacun connaissait à l’avance la position de l’autre. La dramaturgie, classique dès lors que l’on réforme les retraites, se joue cartes sur table. Le rejet du passage de 62 à 64 ans par une grande majorité de salariés n’est pas une surprise non plus. Elisabeth Borne a beau mettre en avant ce qu’il y a de plus gratifiant dans la réforme : le minimum à 85 % du smic, la validation des congés parentaux, la prise en compte de la pénibilité, le maintien des régimes spéciaux pour tous ceux qui en bénéficient actuellement… Tout cela est très concret, mais symboliquement ça ne pèse guère à côté de ce report de deux ans de l’âge légal de départ, même si cela se fera progressivement.
Alors oui, il y aura des manifestations et des grèves, mais ce n’est pas ça que doit le plus redouter le gouvernement.
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Il doit plutôt se méfier du moral général des Français. Une fois encore, les cortèges, même à un million de personnes, les métros et les trains à l’arrêt, même plusieurs semaines, c’est pénible, mais on connaît ; toutes les réformes des retraites sont passées par là. Mais il y a en ce moment une angoisse cachée dans le pays, un mécontentement sourd dont personne n’est en mesure de dire s’il va éclater ou comment il va éclater. Le gouvernement a une hantise : c’est un mouvement style Gilets jaunes qui éclaterait sur une question de pouvoir d’achat, par exemple. Les syndicats, eux, ont une crainte : c’est une grève style contrôleurs de la SNCF avant Noël qui leur échapperait. Sur la retraite, personne ne sait si l’opinion est résignée ou révoltée, si elle est dépressive ou éruptive, si elle est lassée ou prête à se lever. C’est ce climat d’inconnu qui risque de peser sur tout le processus d’adoption du texte qui va se dérouler sur six mois environ.
LR apporte des voix au gouvernement, il ne l’aide pas forcément à trouver une voie de passage
La perspective d’un accord avec LR n’est pas une garantie pour le gouvernement. Si c’est évidemment une bonne nouvelle, ne serait-ce que parce que ça devrait permettre une adoption de la loi sans le 49-3 qui ajouterait au sentiment de brutalité, ce soutien n’est pas une protection suffisante. C’est une loi de la politique : quand un pouvoir a un texte difficile à faire passer, dur, impopulaire, il a toujours intérêt à être flanqué de forces qui disent : ça ne va pas assez loin. Pour apparaître ainsi dans une position d’équilibre entre ceux-là et ceux qui trouvent que ça va trop loin. Or là, LR ne pousse pas à l’audace et au courage, ils ont au contraire poussé à une approche plus tempérée : 64 ans et pas 65, par exemple. Si bien que l’exécutif ne porte pas une synthèse, plus acceptable, mais incarne la solution la plus radicale. LR apporte des voix au gouvernement, il ne l’aide pas forcément à trouver une voie de passage.
Guillaume Tabard