Avant qu’on se décide enfin à trouver que ses sonates n’étaient pas aussi ennuyeuses qu’on l’eut cru, l’amateur moyen ne connaissait du piano de Schubert que le « Moment musical à la hongroise » et les Impromptus. Le fluide op. 90 n° 2 ou le lunaire op. 90 n° 3 avaient la préférence des virtuoses pour les bis. Aujourd’hui que les sonates sont évangélisées, il semble que ces étoiles du ciel schubertien brillent moins souvent au concert sans qu’elles n’aient jamais quitté le cœur du public.
Le titre n’est pas de Schubert. C’est l’éditeur viennois Haslinger qui publia les deux premiers sous le vocable d’Impromptus.
Rendons à César : le compositeur tchèque Tomasek et son élève Vorisek inventèrent ce terme et popularisèrent la forme. Par la suite, l’idée fut reprise par Chopin, Liszt, Alkan, Massenet et surtout Fauré. Sans l’avoir voulu, Schubert a fixé le canon de morceaux lyriques ayant l’air improvisés. Il écrivit ses quatre premiers durant l’été et l’automne 1827, alors qu’il résidait à Graz, chez ses amis les Pachler, et les quatre suivants en décembre à Vienne, alors qu’étaient publiés les deux premiers. Composés l’année précédant sa mort, les Impromptus se situent donc entre la Sonate-Fantaisie (1826) et les trois dernières sonates pour piano (1828).
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Les quatre Impromptus D. 899 (ou op. 90) revendiquent leur indépendance, mais sont parfois joués comme une sonate à quatre mouvements.
Le premier impromptu, en do mineur, commence théâtralement par deux octaves de sol avant de faire entendre une sorte de prière dansante d’une nudité enfantine. La suite nous entraîne dans le monde fantastique d’une ballade forestière.
Le deuxième impromptu (mi bémol majeur) est bien connu des apprentis pianistes. Il ressemble à un ruisseau qui sourit ou s’assombrit selon les trouées du sous-bois. Il se fait torrent rocailleux (si mineur) dans sa partie centrale avant de reprendre innocemment son cours.
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Le troisième est marqué par la grâce. Écrit dans la chaude tonalité de sol bémol majeur, il diffuse une clarté irréelle au cœur d’une des plus belles mélodies imaginées par Schubert. Pour faciliter le travail des amateurs, l’éditeur viennois a supprimé les six bémols à la clé, mais en sol majeur, le morceau perd sa magie. Horowitz entretenait un rapport très intime avec cet impromptu.
Le quatrième (la bémol) nous replonge dans les jeux d’eau d’un parc féerique avant qu’un mage n’élève un chant vibrant à la main gauche, à travers les arpèges aquatiques. Le drame se noue au centre de la pièce en une poignante confession (do dièse mineur) qui s’éclaire dans un sourire ému avec l’arrivée du mode majeur.
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Les Impromptus D. 935 (op. 120) ont été publiés onze ans après la mort de Schubert par Diabelli, et ont été dédiés à Liszt par l’éditeur.
Le premier (fa mineur) ne cache pas ses ambitions dramatiques dès les premières mesures et les tient jusqu’au bout. C’est un grand poème rhapsodique où l’expression atteint les plus profonds replis de l’âme schubertienne.
Le deuxième (la bémol majeur) suffit à illustrer comment Schubert s’y prend pour s’élever aussi haut avec un matériau aussi simple et avec quel art ses subtiles intuitions harmoniques confèrent une dimension cosmique à une modeste chansonnette. C’est ce morceau que joua Daniel Barenboïm aux obsèques de Jacques Chirac.
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Écrit dans la tonalité la plus spontanée de Schubert (si bémol majeur, celle de l’Ave Maria), le troisième impromptu est une série de cinq variations sur l’un des thèmes les plus fameux du compositeur, dit « Rosemonde ». Schumann ne l’aimait pas. Tant pis pour lui.
Le quatrième est un scherzo aux allures tziganes qui s’élance tel un pur-sang à la vitesse de l’éclair. Une pièce libre et fantasque qui conclut le voyage de façon idéalement aventureuse.
Impromptu D. 899 n°3 (Krystian Zimerman)
À l’aube du microsillon, les versions d’Artur Schnabel (Apollon) et d’Edwin Fischer (Dionysos) ont divisé les mélomanes avant qu’Alfred Brendel et Radu Lupu les réconcilie.
Le cinéma ne s’est pas fait prier pour utiliser la musique pour piano de Schubert, principalement l’andantino de la Sonate op. 959, les Moments musicaux n° 2 et 3, ainsi que les Impromptus. S’il ne fallait citer qu’un film, ce serait sans conteste Trop belle pour toi de Bertrand Blier où Gérard Depardieu, troublé par cette musique (op. 90 n° 2 et 3, et le Quatuor « Rosemonde ») qui réveille ses sentiments les plus obscurs, s’émeut avant de se révolter avec sa célèbre réplique : « Il fait c… ton Schubert !
Olivier Bellamy