La Passion selon Saint Jean et celle selon Saint Matthieu sont les seules passions de Jean-Sébastien Bach qui nous soient parvenues. D’une grande intensité, elles traduisent à merveille l’émotion du croyant face aux souffrances du Christ. Mais elles sont aussi empreintes d’une théâtralité qui rappelle que l’oratorio remplace à l’époque l’opéra pendant le temps du Carême.
Bach écrit ses Passions à Leipzig, en tant que cantor de l’église St Thomas
Après avoir exercé à la cour de Weimar et à celle de Köthen, Jean-Sébastien Bach s’installe à Leipzig en 1723. Il prend le poste de cantor à l’église St Thomas, décliné par Telemann à qui la ville avait d’abord pensé. Il restera à Leipzig plus de 25 ans, jusqu’à sa mort en 1750. Il écrit alors le Magnificat et la Messe en si, mais aussi des œuvres pour orgue (L’Offrande musicale) et pour clavecin (le 2ème Livre du Clavier bien tempéré). Il enseigne la musique et le latin aux élèves de l’école St Thomas, tient l’orgue à l’église, et doit assurer la production musicale nécessaire à tous les services religieux de plusieurs églises de la ville. De nombreuses cantates verront donc le jour, mais aussi des passions. Bach semble en avoir écrit quatre, une pour chaque évangéliste, mais seules les Passions selon St Jean et St Matthieu nous sont parvenues entières.
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Racontée dans la Bible, la Passion regroupe des épisodes précis de la vie du Christ
A l’époque de Bach, les passions sont chantées dans les églises lors du Vendredi saint. Moment-clé de la religion chrétienne, cet office est intimement lié à la fête de Pâques deux jours après. En effet, pour les Chrétiens, la Passion relate les souffrances de Jésus depuis son arrestation jusqu’à sa mort, en passant par le reniement de son ami Pierre, sa comparution devant le préfet romain Ponce Pilate, les tortures et humiliations infligées par ses bourreaux, et sa crucifixion. La fête de Pâques célèbre ensuite la résurrection du Christ, symbole d’espoir et de renaissance après la douleur et les larmes de la Passion.
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Quand Bach arrive à Leipzig, ses paroissiens ont déjà entendu la Passion selon St Brockes de Telemann, à l’époque très remarquée. Haendel et Mattheson ont aussi composé une passion sur le texte de ce conseiller municipal de Hambourg, inspiré de l’évangile selon St Matthieu. Mais Bach préfère revenir au texte biblique original. Il respecte aussi la différence de découpage entre Matthieu et Jean : le premier inclut dans son récit la trahison de Judas et le dernier repas que Jésus prend avec ses disciples (la Cène, commémorée le Jeudi saint dans la liturgie chrétienne), alors que le second commence à l’arrestation de Jésus.
Oratorios, les Passions de Bach s’inspirent des procédés théâtraux de l’opéra
L’oratorio est apparu suite à l’interdiction du clergé de donner des opéras pendant la période du Carême. Il n’est donc pas représenté. Pour autant, l’oratorio raconte une histoire et n’est pas dénué de théâtralité. Il s’inspire des codes de l’opéra, tant dans le choix symbolique des tessitures que dans l’alternance entre action (récitatif) et commentaire émotionnel (air ou chœur).
En répartissant musicalement les rôles, Bach rend clairement identifiables pour l’auditeur les différents personnages. Le narrateur (ténor, car l’évangéliste est un jeune homme) raconte les faits avec des récitatifs parfois mêlés d’arioso. Se joignent à lui les principaux protagonistes : Jésus (basse, pour souligner l’autorité et la sagesse), Pilate (baryton-basse, tessiture souvent conférée au méchant de l’histoire, c’est pourquoi Judas est aussi chanté par un baryton), Pierre (baryton ou basse, car plus âgé que le narrateur), et des serviteurs. La foule est représentée par le chœur, qui tantôt participe à l’action, tantôt la commente, dans la tradition du théâtre antique. L’auditeur de l’époque peut d’autant plus s’identifier au chœur que Bach utilise souvent le choral pour ces passages de lamentation intemporelles. Forme musicale bien connue des luthériens, le texte des psaumes y est facilement compréhensible.
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Des grands chœurs (comme “Ruht wohl” à la fin de la Passion selon St Jean) parsèment aussi la partition, plus à même de faire ressentir une intensité émotionnelle que le choral. Des airs de soliste créent quant à eux un contraste bienvenu. Comme si un anonyme s’était détaché du chœur, ils chantent la douleur (“Erbarme dich”, air d’alto de la St Matthieu) ou la joie de l’espérance (“Ich folge dir gleichfalls”, 1er air de soprano de la St Jean). Savamment structurée, l’œuvre entière est parfaitement équilibrée. Les contrastes d’ambiance, de tempo, et de densité du tissu musical rendent tout cela vivant, aussi bien dans la St Jean que dans la St Matthieu. Dans cette dernière, l’usage d’un double chœur renforce encore la théâtralité déjà très présente dans la St Jean.
(Delphine Galou contralto, François-Marie Drieux violon solo, Les Siècles, dir. François-Xavier Roth)
Mendelssohn remet la Passion selon St Matthieu à l’honneur au XIXème siècle
Bach donne pour la première fois la Passion selon St Jean en 1724, dans l’église St Nicolas de Leipzig, mais la révise ensuite plusieurs fois jusqu’en 1747. La Passion selon St Matthieu, elle aussi, subit des remaniements depuis sa création en 1727. Les employeurs du cantor ne semblent pas les avoir appréciées à leur juste valeur, agacés de voir Bach transgresser leur interdiction de faire de la musique théâtrale à l’église. Bach, déjà considéré à la fin de sa vie comme un maître du passé, tombe dans l’oubli après sa mort. Ce n’est qu’en 1829, à Berlin, que Mendelssohn redonne au public la Passion selon St Matthieu. Pas de clavecin mais un piano, partition réduite d’un bon tiers (l’œuvre originale dure plus de 2h30), interprétation romantique… mais peu importe ! Le chef-d’œuvre reprend vie et fait toujours les délices aujourd’hui des chœurs à la période de Pâques, qu’ils soient professionnels ou amateurs.
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Si la peinture s’est emparée de tous les épisodes de la Passion du Christ, la musique a aussi su détailler quelques scènes à l’occasion. Ainsi le Stabat Mater (Marie assistant au pied de la croix à la mort de son fils, soutenue par Jean à qui Jésus l’a confiée avant d’expirer) exploré par Pergolèse, Vivaldi ou Dvorák, et Les 7 dernières paroles du Christ de Haydn.
Sixtine de Gournay
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