Carmen, Le Beau Danube bleu, Le Lac des cygnes : ces œuvres qui ont d’abord connu l’échec avant le succès

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Carmen de Bizet ou encore Le Lac des cygnes de Tchaïkovski font certainement partie des œuvres les plus célèbres du répertoire classique, pourtant saviez-vous qu’elles ont d’abord été critiquées ou moquées lors de leurs premières représentations ?

Georges Bizet : Carmen la scandaleuse

Si Carmen est l’opéra le plus joué au monde, sa première représentation à Paris est loin d’être un triomphe. Le 3 mars 1875, Georges Bizet reçoit la légion d’honneur alors que le soir même se tient la première de son nouvel opéra. A l’approche du spectacle, le compositeur devient de plus en plus nerveux. La femme libre qu’incarne Carmen risque de brusquer le public conservateur, d’autant que l’Opéra-Comique est un lieu courant pour les entrevues matrimoniales. Le premier acte est bien accueilli et même applaudi, mais lorsque l’héroïne de Prosper Mérimée se met à danser sensuellement devant les soldats à l’acte II, le public se fige. La scène finale finit de scandaliser l’audience puisque Don José assassine Carmen et celle-ci a le mauvais goût de mourir sur scène.

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En plus de cette atteinte aux bonnes mœurs, des difficultés techniques entravent le bon déroulement de la représentation. L’orchestre et les choristes ne sont pas au niveau, les changements de décors sont très longs et une partie du public quitte la salle alors même que l’opéra n’est pas fini. Pourtant Carmen n’est pas un réel échec, mais plutôt un opéra controversé. Le poète et dramaturge Théodore de Banville en fait une critique élogieuse et le compositeur Vincent d’Indy l’apprécie particulièrement. Quelques mois plus tard une représentation de Carmen est donnée à l’Opéra impérial de Vienne et l’œuvre est couronnée de succès. Brahms assiste à plus de 10 représentations, Wagner et Bülow sont émerveillés. En 1883, Carmen est de nouveau représentée à Paris et cette fois la pièce est acclamée. Par la suite, elle est représentée près de mille fois en vingt ans. En 1888, Nietzche écrit à propos de l’œuvre : « Hier – me croira-t-on ?- j’ai entendu pour la vingtième fois le chef-d’œuvre de Bizet. [ … ] Et, de fait, chaque fois que j’ai entendu Carmen, je me suis senti plus philosophe ».

Le Lac des cygnes : une musique peu adaptée à la danse selon le chorégraphe

Avant Piotr Ilitch Tchaïkovski, la musique de ballet est considérée comme un genre mineur et dégradant pour les compositeurs symphoniques. Pourtant le Russe éprouve un réel intérêt pour la danse. Ainsi il accepte lorsque le directeur du Bolchoï, Vladimir Begichev, lui commande un ballet inspiré de légendes médiévales allemandes, d’autant que la mission est bien payée et il est à court d’argent. La création du Lac des cygnes le 4 mars 1877 au Bolchoï à Moscou est un échec. Le chorégraphe Julius Reisinger n’apprécie pas la musique et la trouve peu dansante.

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Toutefois après le succès de la collaboration de Tchaïkovski avec le marseillais Marius Petipa pour les ballets La Belle au bois dormant et Casse-Noisette au Ballet impérial de Saint-Pétersbourg, le chorégraphe français lui propose de reprendre Le Lac des cygnes. Néanmoins, la mort du compositeur en 1893 met fin au projet. En guise d’hommage à Tchaïkovski, Petipa et son assistant chorégraphient l’acte II. Le succès est tel qu’ils décident de monter Le Lac des cygnes en entier. Modeste Tchaïkovski, le frère de Piotr, se charge du livret et le chef d’orchestre Riccardo Drigo effectue quelques arrangements musicaux.

Le Beau Danube bleu de Johann Strauss (fils) : bide ou succès ?

Johann Strauss, le roi de la valse, est habitué au succès de ses œuvres. Ainsi, la semaine précédant la représentation du Beau Danube bleu, il est acclamé pour sa nouvelle valse Une vie d’artiste. Pourtant la valse la plus connue d’Autriche ne connaît pas un succès immédiat et d’après certains historiens, sa première représentation fait un flop. Composée en février 1867, son titre vient d’un poème de Karl Isidor Beck, An der Danau (Au bord du Danube) paru en 1840, dont le dernier vers est le suivant « an der schönen, blauen Danau » (au bord du beau Danube bleu). La valse est commanditée par Johann Herbeck, qui dirige l’Association chorale masculine de Vienne et les paroles sont écrites par Josef Weyl, un officier de police qui est inspiré par les nouveaux éclairages des rues de Vienne. Cette association étonnante de vers ridicules et de musique opulente ruine la première représentation qui a lieu le 13 février 1867 dans le hall de l’école de cavalerie de Vienne avec un chœur de mille deux cents hommes. C’est du moins la conclusion qu’expose Alain Duault dans son ouvrage Johann Strauss publié aux éditions Actes sud/Classica. Néanmoins, les théories divergent puisque certains historiens affirment que cette représentation ne fut pas un réel échec et qu’elle fit même l’objet d’éloges. En 1889 de nouvelles paroles portant uniquement sur le Danube sont rédigées. La version orchestrale finit cependant par l’emporter.

 

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La valse triomphe véritablement lorsque l’ambassadeur d’Autriche à Paris, Richard von Metternich, invite Johann Strauss à jouer durant l’Exposition universelle de 1867 afin de renforcer les liens entre la France et l’Autriche alors que la Prusse de Bismarck devient de plus en plus inquiétante. Le compositeur se rend donc avec son orchestre à Paris et Le Beau Danube bleu est ovationné, à tel point qu’il doit le rejouer de multiples fois. Le Prince de Galles qui assiste au concert prie le musicien de se produire à Londres. Le public britannique est aux anges et la reine Victoria, qui avait accueilli Strauss père quelques années plus tôt, assiste même à l’une des représentations. Très vite, la pièce devient un succès mondial et les éditeurs viennois peinent à répondre à la très forte demande.

Faust de Charles Gounod : un opéra écrit en 17 ans

Lors d’une conversation le 12 février 1829, Goethe déclare à son secrétaire Eckermann qu’il est « absolument impossible [que Faust soit mis en musique]. Le repoussant, le violent, le terrible que la musique aurait à exprimer est trop contraire à l’esprit de notre temps. Cette musique devrait être dans le genre de celle de Don Juan : Mozart aurait pu écrire la partition du Faust. Peut-être Meyerbeer en serait-il capable, mais il ne s’y décidera jamais, il est bien trop entiché d’opéra italien ». L’écrivain a le nez creux puisque Meyerbeer refuse effectivement le livret, mais ce n’est pas le cas de Charles Gounod qui est fasciné par l’œuvre de Goethe. Dans ses Mémoires, le compositeur explique avoir emmené l’exemplaire de Faust partout avec lui durant son séjour en 1839 en Italie à la Villa Médicis, alors qu’il est lauréat du Prix de Rome.

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Le compositeur met 17 ans à écrire cet opéra et Faust est finalement créé au Théâtre-Lyrique le 19 mars 1859, après avoir été refusé par l’Opéra de Paris puis retardé par le Théâtre parisien. Le soir de la première, le succès n’est pas éclatant, comme le souligne Gounod lui-même et la critique est sévère. Hector Berlioz perçoit cependant le potentiel de cet opéra. Il s’avère qu’il voit juste puisque Faust est programmé 57 fois durant la seule année 1859.

Le Barbier de Séville de Gioacchino Rossini entraîne rires et moqueries lors de sa première

Lorsque le directeur du Teatro Argentina demande à Gioacchino Rossini de mettre en musique la pièce de théâtre Le Barbier de Séville, écrite par Beaumarchais en 1775, le compositeur accepte, mais prend la peine d’écrire au musicien Giovanni Paisiello qui avait déjà écrit un Barbier 34 ans plus tôt. La commande est urgente, Rossini compose la partition en seulement 11 jours et l’opéra est créé le 20 février 1816. Durant la représentation les rires fusent. Pour cause, une guitare est désaccordée, un chat vient se frotter aux jambes des chanteurs, et une trappe s’ouvre par accident et Don Basilio chute alors qu’il entre en scène. Par ailleurs, les admirateurs de Paisiello ne supportent pas ce deuxième Barbier qui fait outrage à leur maître.

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Toutefois, les représentations suivantes couronnent de succès l’œuvre de Rossini et elle devient rapidement l’opéra-comique le plus populaire en Europe. Certains journalistes restent tout de même réticents. Ainsi, ceux de Bologne et Florence trouvent que le compositeur se copie lui-même. Il est vrai que l’ouverture avait déjà été utilisée pour l’opera seria Aurélien et pour Elisabeth d’Angleterre. Les journalistes de Milan, quittent la salle au second acte, ne pouvant contenir leurs bâillements. A Paris, La Gazette de France et Le Moniteur dénoncent une œuvre vide de mélodies. Le philosophe Hegel n’est, quant à lui, pas de cet avis. « J’ai entendu Le Barbier de Rossini pour la seconde fois. Il faut croire que mon goût est bien faisandé car je trouve ce Figaro infiniment plus attrayant que celui des Noces de Mozart ! », écrit-il.

Alexandra Legrand 

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