Le journaliste de L’Opinion Ludovic Vigogne était l’invité de la matinale de Radio Classique pour parler de son livre Les sans jours, Emmanuel Macron, les secrets d’un passage à vide aux éditions Bouquins. Il décrit un second quinquennat qui débute dans le doute et les échecs.
Votre livre commence le soir même de la réélection d’Emmanuel Macron, le 24 avril 2022. On pense que cela va être un triomphe, presque l’état de grâce pour lui, mais pas du tout !
Non, c’est un moment de flottement qui s’installe. C’est très paradoxal parce qu’Emmanuel Macron rentre dans l’Histoire, il réussit un véritable exploit en se faisant réélire. Il faut se souvenir qu’en 1988 François Mitterrand, et en 2002 Jacques Chirac, sortaient d’une cohabitation.
C’est pas du tout le cas d’Emmanuel Macron qui a les pleins pouvoirs, et dispose de la majorité sortante. Il le dit lui-même en Conseil des ministres, 4 jours après sa réélection : « c’est une première historique et institutionnelle que nous avons réalisée ».
Emmanuel Macron à Nicolas Sarkozy : « Je sais ce que je vous dois »
C’est une victoire presque sans passion.
Il n’y a pas eu de souffle pendant sa campagne présidentielle. C’est assez classique pour une campagne de réélection, mais il y a aussi eu la guerre en Ukraine qui a éteint le débat.
Mais alors qu’Emmanuel Macron était obsédé par sa réélection pendant tout son premier mandat, il ne s’y était pas vraiment préparé. Une fois l’exploit accompli, il ne sait pas vraiment qui il va nommer à Matignon.
Le soir de sa réélection, il passe trois appels téléphoniques : à Marine Le Pen, François Hollande et Nicolas Sarkozy.
Marine Le Pen l’a appelé, c’est la tradition. Et c’est un moment très particulier. Elle lui dit « heureusement que vous ne pouvez pas vous représenter parce que la prochaine fois, je vous aurais battu ». Il venait de noter sa progression entre le 2nd tour de 2017 et celui de 2022.
Avec François Hollande, l’échange est extrêmement froid. L’ancien président lui demande de faire attention à l’unité du pays. En revanche avec Nicolas Sarkozy, le ton est vraiment très différent. Il le félicite parce que c’est un vrai sportif. Il reconnaît l’exploit que son successeur a réussi en se faisant réélire, lui qui n’y était pas parvenu en 2012. Emmanuel Macron le remercie chaleureusement. Il lui dit « je sais ce que je vous dois ».
Catherine Vautrin était le premier choix d’Emmanuel Macron pour le poste de Premier ministre
Après la présidentielle, il y a les législatives. Elles ont lieu 7 semaines plus tard, et 7 semaines, c’est très long.
C’est exceptionnellement long, effectivement, notamment en raison des ponts. Dans la majorité, on sentait bien que ce serait un problème. Christophe Castaner expliquait qu’une semaine de plus, c’est 15 députés de moins. C’est un moment où l’opposition a un peu plus de temps que d’habitude pour se reconstruire, et où le nouveau gouvernement est davantage sujet aux aléas de l’actualité, aux faux-pas.
Emmanuel Macron ne s’engage pas dans la campagne.
Il est persuadé que c’est presque automatique, que les Français ne vont pas se déjuger, qu’il a été très largement réélu le 24 avril et qu’il aura très largement une majorité le 12 juin. Il fait effectivement une erreur.
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Dans votre livre Les sans jours, on constate qu’Emmanuel Macron n’a pas d’idées précises du Premier ministre ou de la Première ministre qu’il va installer à Matignon pour succéder à Jean Castex. Il y a un flottement pendant plusieurs jours.
Il sait une chose, il veut une femme. Il a envie d’une élue de terrain et plutôt quelqu’un qui vient de la droite. Emmanuel Macron reçoit plusieurs fois Catherine Vautrin, la Présidente de la communauté urbaine du Grand Reims. Il parle de la composition du gouvernement, de la manière dont ils vont travailler ensemble.
Mais effectivement, patatras, ce ne sera pas elle, parce qu’une fois que son nom va fuiter, une véritable contre-offensive dans le premier cercle du président va se mettre en place pour l’empêcher de nommer Catherine Vautrin.
La retraites à 65 ans, la seule mesure que les Français ont retenue
Ça ne passe pas auprès de l’aile gauche de la majorité ?
Oui, elle estime que cette fois-ci, Emmanuel Macron doit récompenser un fidèle qui l’a accompagné tout au long de son premier mandat. Il y a une mobilisation pour faire barrage à Catherine Vautrin. Élisabeth Borne sera donc choisie.
En pleine séquence sur la réforme des retraites, Emmanuel Macron assure en décembre dernier que l’absence de majorité absolue est liée au fait qu’il a tenu bon sur les 65 ans.
C’est la seule mesure que les Français ont retenue. On a bien vu à quel point cela avait aussi animé l’entre-deux-tours de l’élection présidentielle. Ça a coûté des points au chef de l’État lors de sa réélection, et ça lui a coûté des députés dans la campagne des législatives. Plusieurs candidats macronistes raconteront à posteriori qu’on leur a beaucoup reproché ces 65 ans.
La mesure lui a beaucoup coûté, et c’est pour cela qu’il a lancé la réforme à la rentrée. Il estimait qu’il était temps qu’elle lui rapporte un peu, en montrant qu’il avait de la détermination et des marges de manœuvre malgré la situation politique difficile.