Alexandre Tharaud fait partie des pianistes français incontournables aujourd’hui. Il défend aussi bien les compositeurs baroques que la création contemporaine, et s’autorise même des incursions dans le monde de la variété. Son répertoire de prédilection reste la musique française, dans laquelle il excelle. Et par-delà sa maîtrise du clavier, sa sensibilité et sa grande gentillesse lui ont gagné le cœur du public.
Alexandre Tharaud en 7 dates :
- 1968 : Naissance à Paris
- 1983 : Entre à 15 ans au CNSM de Paris
- 2001 : Disque Rameau (Harmonia Mundi)
- 2003 : Intégrale Ravel
- 2009 : 1er disque chez Erato (Chopin)
- 2013 : Livre Piano intime, conversations avec Nicolas Southon (ed. Philippe Rey)
- 2017 : Livre Montrez-moi vos mains (ed. Grasset)
La musique et la scène font déjà partie de sa vie dès son enfance
Alexandre Tharaud est issu d’une famille d’artistes. Avec un père chanteur et metteur en scène, et une mère professeur de danse, l’amour de la scène coule dans ses veines. Ce sont ses parents qui le mettent au piano à quatre ans. A cinq ans, il commence à composer et se rêve chef d’orchestre. Mais le piano est surtout à l’époque un compagnon de jeu. Le travail assidu ne vient que plus tard. Celui qui reconnaît être devenu adulte “un travailleur acharné et obsessionnel”, raconte en 2013 au magazine Classica que son envie d’expédier ses exercices étant enfant “lui a appris à aller vite, à trouver les clés pour “imprimer” mentalement une partition et répéter de manière concise.” Ses parents lui font découvrir très tôt le plaisir de la scène, et l’encouragent à faire de la figuration.
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Sa carrière de pianiste démarre lentement, et sa patience ne sera récompensée qu’au bout de dix ans
A quinze ans, Alexandre Tharaud entre au Conservatoire National Supérieur de Paris. Son Prix en poche, il prend des conseils auprès de Theodor Paraskivesco, Claude Hellfer, Leon Fleisher et Nikita Magaloff. Il passe des concours internationaux, remporte entre autres le 2e Prix du Concours de Munich, mais sans se faire vraiment remarquer. Les concerts restent rares, et le pianiste doute. Il persévère néanmoins et met à profit ce temps pour travailler. Sa méthode ? Le magnétophone, qui lui permet de progresser en passant au crible ses défauts. Avec le recul, il verra plus tard comme une chance de n’avoir commencé à être connu qu’après 30 ans : il a pu apprendre son métier progressivement, sans avoir à gérer immédiatement la pression d’une carrière internationale. Il en a gardé un goût de la liberté, qui l’aide depuis à ne pas tout accepter, et à sélectionner selon son cœur les œuvres qu’il va jouer. Il aime d’ailleurs se définir comme un “électron libre”.
Son disque consacré à Rameau lui ouvre enfin les portes d’une reconnaissance internationale
Le premier disque d’Alexandre Tharaud ne sera finalement jamais commercialisé. Le producteur recule au dernier moment, et sa famille se cotise pour offrir quand-même au jeune homme de dix-neuf ans l’expérience de l’enregistrement. Le pianiste avait choisi pour ce premier essai des oeuvres de Ravel – il y reviendra en 2003 pour une intégrale du compositeur. La musique française lui sied bien, et il y consacrera la majeure partie de sa discographie. Milhaud et Chabrier, d’abord ; puis Rameau en 2001, qui lui ouvre brusquement les portes des grandes salles internationales. Suivent Couperin, Satie, des contemporains comme Gérard Pesson, ou encore un disque de mélodies avec Sabine Devieillhe sur lequel figurent Poulenc, Fauré et Debussy. Mais son répertoire traverse aussi parfois les frontières, avec Scarlatti, Bach, Grieg, plusieurs albums consacrés à Chopin, quelques sonates de Beethoven, le deuxième concerto de Rachmaninov…
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Pas de piano chez lui. Il préfère travailler d’abord dans sa tête, et entretenir une relation de désir avec son instrument
“Il faut être extrêmement dur avec sa carrière, savoir lui tordre le cou pour en rester le maître. C’est un combat du quotidien. Il faut savoir s’arrêter, prendre le temps de se remettre en question, d’étudier les œuvres”, confie-t-il en 2020 à Diapason. Tous les deux ans, Alexandre Tharaud s’oblige à prendre deux mois de vacances. Et, aussi bizarre que cela puisse paraître, le concertiste n’a pas de piano chez lui. “Cela provoque le manque, qui est très important pour attiser le désir.” Ce qui ne l’empêche nullement de travailler. Penché sur les partitions, il imagine ce qu’il fera devant le clavier. “Le son que vous voulez avoir se construit dans la tête, avant de mettre les mains sur le piano”, révèle-t-il à Arte Journal en 2017. La confrontation entre l’image mentale et la réalité digitale se fait ensuite chez des amis, qui lui prêtent leur piano.
Soliste, Alexandre Tharaud n’en aime pas moins la musique de chambre
Mais l’endroit où Alexandre Tharaud est vraiment heureux, c’est sur scène. Malgré le trac. Malgré les trous de mémoire, qui le font jouer certaines années avec la partition devant les yeux alors qu’il connaît l’oeuvre par coeur. Il aime “le vertige que représente l’entrée [sur scène], ce plongeon dans une piscine sans connaître la température de l’eau. Rien n’égale la scène [comme expérience du danger]“, dit-il encore à Diapason. A l’écoute, on devine l’hypersensibilité du pianiste. A la finesse de son jeu se mêle une certaine fragilité, qu’il ne cherche pas à dissimuler. C’est peut-être aussi cette sincérité qui le rend si attachant.
S’il a beaucoup joué et enregistré en solo, Alexandre Tharaud aime pourtant énormément la musique de chambre. Le violoncelliste Jean-Guihen Queyras fait partie de ses partenaires privilégiés. Leur duo s’est d’ailleurs fixé plusieurs fois au disque, à travers l’Arpeggione de Schubert ou la Sonate de Poulenc.
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Artiste à la curiosité inépuisable, Alexandre Tharaud est ouvert à une grande variété de styles et de collaborations artistiques
Le pianiste a composé jusqu’à vingt ans, avant que le piano ne prenne le dessus. De son propre aveu, ses compositions étaient influencées par la musique spectrale, et notamment celle de Tristan Murail. Il garde de cette expérience un intérêt marqué pour la création contemporaine. Bruno Mantovani (4 Etudes pour piano, 2003), Thierry Pécou (Outre-Mémoire, variances, 2004; concerto L’Oiseau innumérable, 2006) lui ont confié leurs œuvres. Et Maurizio Kagel voulait écrire un concerto pour lui.
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Plus inattendu, Alexandre Tharaud ose le grand écart entre musique contemporaine et chanson française. En 2017, il sort un album avec des reprises de Barbara, sur lequel il accompagne des noms de la variété comme Vanessa Paradis, Bénabar ou Camélia Jordana. Dans le clip promotionnel du disque, il revient sur son admiration pour la chanteuse qu’il a découverte, comme tant d’autres, à l’adolescence. “Elle a été une grande leçon : comment tout donner sur scène, au public, au rituel du concert.” En 2006, il participe au spectacle Récital équestre de Bartabas, et joue son propre rôle dans le film Amour de Michael Haneke en 2012, qui remporte la palme d’or à Cannes.
La Troisième gymnopédie de Satie
Artiste décidément inclassable, Alexandre Tharaud s’est aussi mis à l’écriture. En 2017, sort aux éditions Grasset Montrez-moi vos mains, où le pianiste raconte sa vie de concertiste. “Je ne cherche rien. Surtout pas à impressionner. Je suis là, simplement, à l’écoute du public et de son silence. Ce silence quand on s’assied au piano, après les applaudissements lorsqu’on entre sur scène, c’est ce qui nous relie à la musique. Il est très important, c’est sur lui qu’on va bâtir le concert”. Tous les artistes ne sont pas capables de passer de la musique aux mots, mais lui sait aussi bien écrire (ou parler) que jouer.
Il s’imagine parfois vivre sans piano. Mais pas sans la scène. Le lien avec le public lui est devenu “indispensable”. Et le public le lui rend bien.
Sixtine de Gournay
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