David Martinon, ambassadeur français en Afghanistan, était l’invité de la matinale sur Radio Classique. Les mauvaises nouvelles s’accumulent pour les femmes du pays, affirme-t-il, ce qui exclut la reprise de la diplomatie avec les talibans.
L’émir va rétablir la charia « totalement », selon David Martinon
Hier, les talibans ont interdit l’émission du service afghan de Radio Free Europe, organe du Congrès américain qui diffusait des programmes scolaires pour les jeunes filles. Un camouflet pour leur droit à l’éducation, déjà mal en point, alerte l’ambassadeur français à Kaboul David Martinon. Depuis la prise de la capitale le 27 août 2021, son ambassade a été relocalisée à Paris et les contacts avec le régime sont limités à un canal de communication en ligne. « C’est indispensable pour dire aux autorités ce que nous attendons d’elle pour une éventuelle reprise de l’aide au développement française » [qui s’élevait à 155,7 millions d’euros cumulés depuis 2004], indique-t-il. Mais aujourd’hui, aucune condition n’est remplie pour le retour des versements. « C’est très difficile pour nous d’aider un régime où les femmes et les filles sont exclues de la vie publique, où elles n’ont même plus le droit d’aller dans les parcs ou les jardins publics », lâche-t-il. Pour l’instant, il exclut catégoriquement de revenir en Afghanistan.
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David Martinon déplore de n’avoir en ce moment « que des mauvaises nouvelles » au sujet de la place des femmes dans le pays. Il y a 15 jours, l’émir Haibatullah a ordonné aux juges d’exécuter la charia « totalement », c’est-à-dire avec exécutions publiques, flagellations, lapidations et amputations punitives. Jusqu’à présent, les mises à morts existaient mais étaient extrajudiciaires. Signe de ce changement selon l’ambassadeur : hier, 21 personnes dont 8 femmes ont été flagellées publiquement à Kaboul. L’éducation des filles préoccupe aussi David Martinon. Depuis 2021, elles n’ont plus le droit d’aller à l’école après 12 ans mais elles ont encore accès à l’université. Un acquis très fragile qui sera bientôt remis en cause, annonce l’ambassadeur : « nous avons beaucoup de doutes sur le fait que les femmes puissent continuer à aller à l’université dans les semaines qui viennent ».
« Il n’y a pas de talibans modérés », assure-t-il
Dans son livre Les 15 jours qui ont fait basculer Kaboul (Editions de L’Observatoire), David Martinon donne à voir la panique dans les rues de Kaboul à l’annonce du retour des talibans et l’exfiltration, dans l’urgence, des Français via l’ambassade. 2.805 personnes, dont des ressortissants afghans qui s’étaient réfugiés dans le bâtiment, ont pu ainsi s’échapper du pays, raconte l’ambassadeur : « il n’y a pas grand-chose qu’on aurait pu faire de plus. Je pense qu’on peut être fier d’avoir fait notre travail depuis le début, dans le sens où nous avons anticipé cette crise ». Il note que la France a pu évacuer tous ses employés afghans, « une première ». A l’époque du changement de régime, la communauté internationale s’interrogeait sur la nature de ces « nouveaux » talibans : étaient-ils aussi rigoristes que dans les années 90, quand ils tenaient le pays d’une main de fer ? David Martinon en était déjà persuadé : « il n’y a pas de talibans modérés ! Et s’il y a des talibans pragmatiques, leur voix ne prévaut pas par rapport à l’émir ».
Clément Kasser