David Martinon ambassadeur de France en Afghanistan était l’invité de Renaud Blanc dans la matinale de Radio Classique ce vendredi 25 mars. Il publie « Les 15 jours qui ont fait basculer Kaboul », aux éditions de l’Observatoire, et témoigne de l’évacuation des Français et des Afghans travaillant pour la France entre le 15 août et le 27 août 2021, après le retour des talibans.
La chute de Kaboul, un évènement anticipé par les équipes de l’ambassade de France
David Martinon, vous avez quitté physiquement l’ambassade le 15 août 2021, l’Afghanistan le 27 août, mais vous êtes toujours ambassadeur ?
Oui, j’ai été nommé en Conseil des ministres. Il n’a pas été mis fin à mes fonctions. Le président de la République m’a demandé de poursuivre ma mission depuis Paris.
Le premier chapitre du livre est consacré à ce 15 août à l’ambassade. Au petit matin, vous apprenez la chute de la ville de Mazar-e-Charif. Vous pensez à ce moment-là que la chute de Kaboul se fera dans les quelques heures qui viennent ?
Oui, j’ai ce pressentiment. On se réveille vers 6h30, on apprend que Djalalabad également est tombée dans les toutes premières heures. J’ai décidé de l’évacuation vers 9h/9h30, il y a eu ensuite une accélération incessante jusqu’au soir. Pour ma part, j’ai eu la chance d’être héliporté à 18h46 alors que les talibans sont probablement entrés à 18h50 dans le quartier de de l’ambassade, pour mettre à sac le palais présidentiel.
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Tous les documents de l’ambassade ont été détruits ?
Ce travail a été fait en amont, mais il reste toujours des documents à détruire, pour éviter de donner des indications aux talibans, qui pourraient être mortelles. Il faut détruire les télécommunications, et neutraliser les voitures blindées parce que ce sont des armes de guerre.
Il faut être très en forme quand on est ambassadeur de France en Afghanistan. Vous vous êtes entraîné avec les hommes du RAID, vous apprenez à reconnaître le bruit d’une bombe qu’on pourrait poser sur votre voiture et vous savez que vous avez 5 secondes dans ces cas-là pour sortir de la voiture ?
Il faut apprendre tous ces gestes, qui permettent de tenir l’anxiété et se préparer. J’ai imposé [que le personnel de l’ambassade] s’entraîne à mettre son propre garrot par exemple. Nous avons été formés par les hommes de la DGSE. En cas d’explosion ou de tirs et qu’on est touché, il faut pouvoir dans certains cas se mettre son propre garrot. C’est une condition de survie.
Et les voitures de l’ambassade sont toujours sales.
Toujours. Il faut être furtif dans les rues, ne pas être identifié, éviter d’être en cortège.
Certains talibans étaient opportunistes, et cela a aidé les occidentaux
Ce 15 août 2021, vous avez pu gagner l’aéroport. Des dizaines d’Afghans se pressent devant les grilles de l’ambassade. Vous donnez ordre de les faire entrer.
C’est une décision que j’ai dû prendre dans l’instant. C’était le moment où, justement, les convois talibans passaient devant l’ambassade pour aller mettre un sac le palais présidentiel et la base de l’OTAN. Ils tiraient, il y avait des grenades et énormément de panique. On craignait que des enfants soient écrasés contre ce portail blindé.
David Martinon. Vous racontez qu’un certain nombre de talibans veulent embarquer avec vous. Il disent « je vous laisse passer ce checkpoint mais vous prenez ma famille avec vous ».
Oui, ça montre que certains talibans étaient opportunistes. Cela nous a aidé puisque, en l’occurrence, ce taliban nous a permis de nourrir les bébés dans l’ambassade, d’avoir des médicaments pour ceux qui étaient malades, des fruits etc. Et puis surtout, il nous a permis d’avoir de faire entrer les bus.
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On parle évidemment aujourd’hui de la guerre en Ukraine. Est-ce que vous pensez que la débâcle en Afghanistan et le départ des Américains a joué un rôle dans l’l’invasion russe de l’Ukraine ? Est-ce que Vladimir Poutine s’est dit : « ils ne tiennent pas la distance, on peut attaquer » ?
Ce n’est pas une question de psychologie, c’est une question de d’analyse et d’interprétation des faits. Et effectivement, ça faisait très longtemps que les Américains n’avaient pas donné cette impression, que la préservation des intérêts de leurs alliés devenait un objectif secondaire. L’objectif principal était quand même de retirer les troupes en bon ordre et en sécurité.
David Martinon, on parle de famine aujourd’hui en Afghanistan. Les jeunes filles ne vont plus à l’école. Comment vous le ressentez-vous en tant qu’ambassadeur de France ?
C’est un gâchis qui suscite beaucoup de questions dépassant le seul cadre afghan. Est-ce que c’est la communauté internationale, par des erreurs tactiques stratégiques, qui a mis à mal le projet ? Est-ce que toute tentative d’instaurer un État de droit et de développer un pays est compromis à l’avance ? Ce sont des questions qui, évidemment, dépassent l’Afghanistan.