Max Bruch fait partie de ces compositeurs auxquels une seule œuvre est presque exclusivement associée. La popularité de son concerto pour violon en sol mineur a ainsi éclipsé l’ensemble de sa production. S’il n’était pas forcément compris en son temps, Bruch témoignait d’un vrai génie dont ce concerto est la parfaite incarnation.
Un compositeur à jamais lié à une œuvre de jeunesse
Max Bruch, né en 1838 et mort en 1920, connut une bien longue existence de 82 ans. Mais c’est avant la trentaine qu’il signe ce qui demeurera son œuvre la plus populaire. Il composera, par la suite, deux autres concertos qui restent aujourd’hui encore confidentiels, ainsi qu’une Fantaisie écossaise pour violon et orchestre qui aurait, elle, d’avantage les faveurs du public. Aucune de ses autres partitions, à l’exception peut-être de son Kol Nidrei pour violoncelle et orchestre, ne lui apportera la notoriété, voire la reconnaissance de ses pairs. Le compositeur en souffrit d’autant que lui fut affublée l’étiquette d’académiste. Demeurant attaché à une esthétique romantique, il semblait opposer une certaine résistance aux courants modernistes et ne parvint pas à faire évoluer son style à l’instar de Liszt, Wagner ou Bruckner qu’il côtoyait et avec lesquels la musique se tournait alors vers l’avenir.
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Des doutes et de multiples remises en question accompagnent la longue gestation du concerto
C’est le modèle du concerto romantique et en particulier celui de Mendelssohn qui inspira le jeune Bruch et l’incita, dès 1864, à l’âge de 26 ans, à s’illustrer dans ce genre, non sans hésiter et se poser nombre de questions. « Mon concerto pour violon avance lentement. Je ne me sens pas sûr de moi sur ce terrain. Ne pensez-vous pas qu’en fait, c’est très audacieux d’écrire un concerto pour violon ? » confie-t-il, quelques mois plus tard, à son professeur, Ferdinand Hiller. Et ces doutes ne le quitteront plus durant les quatre années au cours desquelles ce concerto fit l’objet de multiples remaniements. La création de sa première version en avril 1866 à Coblence, avec le violoniste Otto von Königslöw, ne l’ayant pas convaincu, Bruch se décide à demander de l’aide !
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Joseph Joachim, l’inspirateur de quelques-uns des plus grands concertos pour violon romantiques
Sans lui les concertos pour violon de Robert Schumann et de Johannes Brahms ne trôneraient peut-être pas au sommet du répertoire ou n’auraient simplement jamais vu le jour. Joseph Joachim était le plus grand virtuose du violon de son temps, celui que les compositeurs sollicitaient afin de magnifier l’instrument dans leurs partitions et celui qui faisait briller leurs œuvres sur scène. Max Bruch le savait bien et entama ainsi une collaboration avec le musicien, afin de corriger son propre concerto. Une nouvelle version vit ainsi le jour est fut créée en janvier 1868 à Brême, avec Joseph Joachim, qui en était devenu le dédicataire, en soliste.
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Un concerto, aussi démonstratif que lyrique, qui fait de grands effets auprès du public.
Le concerto, dans sa version définitive, sut enfin toucher le public et demeure, aujourd’hui, l’un des plus prisés du répertoire violonistique. Comment résister aux accents rhapsodiques et élégiaques de cette partition, qui offre au soliste la possibilité de briller tant par sa virtuosité que par son lyrisme ! Le premier mouvement s’apparente à une longue introduction aux deux suivants qui sont aussi intenses que contrastés. Dans l’Adagio, le compositeur témoigne de son génie mélodique à travers une cantilène d’une bouleversante puissance émotionnelle. Quant au tourbillonnant finale, il permet au soliste de déployer une virtuosité des plus vertigineuses suscitant, lorsque le violoniste est à la hauteur, des applaudissement particulièrement effrénés.
(Hilary Hahn, Orchestre symphonique de la Radio de Francfort, dir. Andrés Orozco-Estrada)
Johannes Brahms suit les pas de Bruch dans le genre du concerto pour violon et lui fait de l’ombre.
Si l’œuvre du jeune Bruch connut, d’emblée, un vif succès, elle suscita également de sévères critiques et souffrit de la comparaison avec le concerto que Brahms écrira une dizaine d’années plus tard. Car entre les deux compositeurs une tension s’était peu à peu instaurée. Bien qu’admirant la musique de son rival, Max Bruch souffrait de l’adulation dont ce dernier faisait l’objet. « S’il me fallait rencontrer Brahms au ciel, je demanderais à être transféré en enfer » ira-t-il jusqu’à déclarer. Et c’est le violoniste Joseph Joachim qui saura apaiser la discorde et donner à chacun sa propre place, en écrivant : « Les Allemands ont quatre concertos pour violon. Le plus grand, le plus libre de concessions, est celui de Beethoven. Celui de Brahms, par son sérieux, s’inscrit dans la lignée de Beethoven. Le plus riche, le plus envoûtant, fut écrit par Max Bruch. Mais le plus intérieur, le joyau du cœur, nous vient de Mendelssohn. »
Laure Mezan