La moutarde réapparaît enfin dans les rayons après plusieurs mois de disette. Pour se prémunir des bouleversements sur le marché mondial, les agriculteurs et moutardiers français se sont organisés pour augmenter fortement la production nationale.
Le dôme de chaleur au Canada et la guerre en Ukraine ont handicapé la production mondiale de moutarde
Après la pénurie, la moutarde de Dijon revient et c’est la filière française de graines de moutarde qui prend sa revanche. « Ca revient doucement, le retour à la normale dans les rayons est prévu d’ici janvier », se réjouit Luc Vandermaesen, dirigeant de la moutarderie Reine de Dijon, troisième producteur en France. Comme tous les autres moutardiers, il dépend à 80% de la production canadienne de graines de moutarde. « Les prix restent très élevés et il y a une forme de spéculation des Canadiens, qui sont ultradominants », remarque-t-il. En juin 2021, la chaîne d’approvisionnement s’était effondrée lorsqu’un dôme de chaleur s’est écrasé sur le Canada. Cela a provoqué une sécheresse historique qui a tué la moitié des récoltes. Quelques mois plus tard, une guerre confronte l’Ukraine et la Russie, deux grands producteurs de graines. « Sans ce conflit, on aurait demandé à des agriculteurs ukrainiens de cultiver la graine brune au lieu de la graine jaune », imagine Luc Vandermaesen. « Les Canadiens nous auraient proposé des prix plus avantageux car ils auraient eu de la concurrence ».
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La filière française représente à peine 20% du marché mondial et ne fait pas le poids face au Canada. Néanmoins, la crise a convaincu les moutardiers français d’inverser ce rapport de force. Il y a un an, ils ont lancé un appel aux agriculteurs bourguignons pour « acheter toute leur récolte quelle que soit la quantité récoltée, pour leur garantir des prix de long terme », affirme Luc Vandermaesen. Ces prix vont doubler entre 2021 et 2023 selon lui.
« Il y a trois ans, la tonne de moutarde se vendait à 800 euros, maintenant c’est 2000 euros »,
L’appel a été entendu par François Détain, agriculteur en Côte-d’Or. Dans quelques jours, il va de nouveau semer des graines de moutarde après avoir arrêté en 2019 à cause de rendements faibles. « Je prends le risque d’en refaire car le prix est satisfaisant. Il y a trois ans, la tonne se vendait à 800 euros, maintenant c’est 2000 euros », explique-t-il. Mais le risque pour lui plane toujours car des parasites ravagent fréquemment les cultures. Contrairement aux Canadiens, les producteurs français sont restreints sur l’utilisation des pesticides. Cette année, la filière a obtenu une dérogation pour que chaque agriculteur puisse utiliser une seule fois un insecticide sur les récoltes. La recherche a aussi avancé, avec « un mélange de 7 variétés qui produit des plantes plus résistantes aux parasites », avance François Détain. C’est toute une filière qui ressuscite : 3 fois plus de surfaces agricoles et 5 fois plus de producteurs. C’est du jamais vu pour Jérôme Gervais, conseiller moutarde depuis trente ans à la chambre d’agriculture de Côte-d’Or : « il y a un ou deux ans, on pensait que c’était foutu et que la production locale serait en chute libre ». D’ici 2024, les producteurs de graines de moutarde espèrent pouvoir répondre à 50% des besoins de la filière française.
Laurie-Anne Toulemont