SAINT-SAËNS Camille

(1835-1921) Epoque Postromantique

Saint-Saëns incarne le musicien académique par excellence, cocardier et hostile à toute nouveauté : « Il manque d’inexpérience », disait Berlioz. Pourtant il échoua par deux fois au Prix de Rome, aimait Wagner et Liszt. Et ce nationaliste traditionaliste fut aussi dreyfusard. Un vrai tissu de paradoxes, mais un maître assurément.

Camille Saint-Saëns en 10 dates :

  • 1835 : Naissance à Paris
  • 1858 : Nommé organiste de la Madeleine
  • 1868 : Concerto pour piano n° 2
  • 1875 : Mariage à 40 ans
  • 1877 : Création de son opéra Samson et Dalila à Weimar
  • 1878 : Mort de ses deux enfants
  • 1886 : Symphonie n° 3 avec orgue . Le Carnaval des animaux
  • 1901 : Président de l’Académie des Beaux-Arts
  • 1915 : Tournée aux États-Unis
  • 1921 : Sonates pour instruments à vent et mort à Alger.

 

Né en plein romantisme et mort à l’époque moderne, Saint-Saëns est resté un classique contre vents et marées

« L’art a le droit de descendre dans les abîmes, dit-il, de s’insinuer dans les replis secrets des âmes ténébreuses ou désolées. Ce droit n’est pas un devoir. » Fermez le ban. Pour lui, l’art c’est d’abord la forme. Mais ce n’est pas un formaliste. Il a le sens de la mélodie, de ce qui plaît, l’élément charme n’est pas absent de ses compositions. Et si le sérieux de la construction et la clarté du discours dominent, l’émotion a sa place comme dans l’air « Mon cœur s’ouvre à ta voix » de l’opéra Samson et Dalila. Saint-Saëns n’est pas un révolutionnaire, mais il compose des poèmes symphoniques et il est le premier musicien de renom à écrire pour le cinéma naissant. Ce sera L’assassinat du duc de Guise en 1908. Il est aussi un agnostique qui a passé la moitié de sa vie dans une église et a écrit de belles messes.

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Son enfance se passe entre deux femmes : sa mère adorée et « Bonne-Maman » qui l’initie au piano

Camille Saint-Saëns naît le 9 octobre 1835 dans le 6ème arrondissement de Paris. De père normand et de mère champenoise, il est issu de la moyenne bourgeoisie aisée. Son père meurt alors qu’il n’a pas trois mois. Sa grand-tante, Bonne-Maman, l’initie au piano à deux ans. Il donne son premier concert à 11 ans. Au programme : un concerto de Mozart avec ses propres cadences et le Concerto n° 3 de Beethoven. Il attire l’attention de Gounod qui sera toujours là dans les moments difficiles et fait la connaissance de Pauline Viardot qui restera une amie fidèle jusqu’à sa mort. À 13 ans, il entre au Conservatoire. Il obtient un premier prix d’orgue et se destine à la composition, mais sa célébrité couronne d’abord le virtuose, car il échoue au Prix de Rome.

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Saint-Saëns va rester vingt ans l’organiste de la Madeleine. L’entendant improviser, Liszt déclare qu’il est « le plus grand organiste du monde »

Après des débuts à Saint-Séverin, Camille Saint-Saëns est nommé organiste à Saint-Merri à 18 ans. Il va y rester cinq ans. Sa Symphonie n° 1 est publiée sous l’opus 2. Commande de la Société Sainte-Cécile, elle est présentée comme l’œuvre anonyme d’un compositeur allemand. La supercherie fonctionne et attire l’attention sur lui, car Gounod et Berlioz l’applaudissent. Quelques mois après la composition de sa belle Messe solennelle, il prend la suite de Lefébure-Wély à la tribune de la Madeleine où il restera vingt ans. Il s’installe avec sa mère et sa grand-tante dans le 8ème arrondissement de Paris.

 

À la demande de son ami Anton Rubinstein, Saint-Saëns écrit son Concerto pour piano n° 2 en trois semaines. « Ça commence comme du Bach et finit comme du Offenbach », tranchera G. B. Shaw

Désireux d’écrire un opéra pour obtenir la consécration, Saint-Saëns cherche des appuis, mais il échoue pour la seconde fois au Prix de Rome. Il est engagé comme professeur à l’école Niedermeyer où il aura Gabriel Fauré et André Messager comme élèves. C’est à cette époque qu’il compose son célèbre Introduction et Rondo capriccioso pour le violoniste Pablo de Sarasate. Il rencontre Wagner à Paris et lui joue Tristan et Isolde de mémoire au piano. Il se rendra à Munich et à Bayreuth pour assister aux représentations de la Tétralogie. Admirateur de Wagner, il s’opposera néanmoins au culte wagnérien. Il est aussi proche de Liszt, l’inventeur du poème symphonique, qu’il imitera en écrivant sa fameuse Danse macabre ou Le Rouet d’Omphale.

 


La Danse Macabre (Orchestre Symphonique de Montréal, dir. Kent Nagano)

 

 À la guerre de 1870, il s’engage dans la garde nationale. Après la défaite de Sedan, il participe à la création de la Société nationale de musique

Lors de la Commune de Paris, Saint-Saëns quitte Paris et va rejoindre Gounod et Pauline Viardot à Londres. À son retour, il milite pour un art français sous l’égide de la SDN. Pourtant il n’aime pas César Franck dont il trouve la forme cyclique puérile et n’accuse pas réception de la Sonate de Dukas qui lui est dédiée.

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Il commence à voyager beaucoup. Il se rend en Angleterre en 1871 et se prend de passion pour l’Algérie où il effectuera de nombreux séjours et où il mourra. Ces escapades font jaser. S’y rend-il à cause d’une santé fragile ou pour des raisons plus sensuelles à l’instar d’un André Gide ? Le mystère n’est toujours pas levé.

 

Alors qu’il vit toujours chez sa mère, Camille Saint-Saëns finit par normaliser sa position sociale en épousant à quarante ans Marie-Laure Truffot

Le couple s’installe rue Monsieur-le-Prince près du jardin du Luxembourg. Il compose son Concerto pour piano n° 4 qu’il joue en hommage à son ami Georges Bizet mort après l’échec de Carmen et démissionne de son poste d’organiste à la Madeleine. Saint-Saëns se lance dans la composition de son meilleur opéra Samson et Dalila. Une audition privée a lieu chez Pauline Viardot en présence du directeur de l’Opéra qui ne donne pas suite. Il en dirige le premier acte au Châtelet. C’est Franz Liszt qui créera l’opéra à Weimar en 1877. Il faudra attendre 1890 pour une création française à Rouen et encore deux ans pour qu’il entre au répertoire de l’Opéra de Paris.

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Après son mariage (1875) qui déplaît à sa mère, Saint-Saëns devient père de deux enfants avant d’écrire son beau Requiem. En 1878, comme sous le coup d’une terrible fatalité, son premier fils se tue en tombant de la fenêtre et le deuxième meurt de pneumonie. Après ce double deuil à quelques semaines d’intervalle, Saint-Saëns se sépare de sa femme et se plonge dans le travail.

 

Comment imaginer la tragédie qui a frappé Saint-Saëns à l’écoute de son parfait Concerto pour violon n° 3 dédié au virtuose Pablo de Sarasate ?

En 1881, son élection à l’Académie des Beaux-Arts entame une longue suite d’honneurs qui vont effacer l’humiliation du double échec au Prix de Rome. Et puis les chefs-d’œuvre se succèdent. La Sonate n° 1 pour violon et piano dont Proust avouera qu’il s’agit du premier modèle de sa « Sonate de Vinteuil ». Et puis sa très originale Symphonie n° 3 avec orgue qui remporte un grand succès dans toute l’Europe et que Saint-Saëns dédiera à Liszt à l’annonce de sa mort à Bayreuth. Alors que sa notoriété s’internationalise, le discours de Saint-Saëns se fait plus cocardier et anti-allemand. À tel point que sa musique est sifflée à Berlin. S’opposant à l’admission d’œuvres étrangères voulue par d’Indy et Franck, il démissionne de la Société nationale de musique.

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Saint-Saëns compose son Carnaval des animaux en 1886 pour une exécution privée en Autriche. Le jugeant indigne d’une publication, il en refuse l’exécution publique. Après sa mort, cette fantaisie zoologique deviendra son œuvre la plus connue

Après la création de son Concerto pour piano n° 5 « Égyptien » (1896), il reste vingt-cinq ans à vivre à Saint-Saëns au cours desquelles il écrira peu de chefs-d’œuvre. Il effectue des tournées en Europe. Son jeu sec et mécanique au piano illustre une certaine sécheresse de l’école française. Il devient président de l’Académie des Beaux-Arts et écrit la musique du film L’assassinat du duc de Guise (1908). En 1915, Saint-Saëns (ainsi que Monet, Renoir ou Anatole France) apparaît dans Ceux de chez nous, film dans lequel Sacha Guitry célèbre les génies de son temps. En 1917, il reçoit la Grand-Croix, grade le plus élevé de la Légion d’honneur. Il voyage encore. Le 16 décembre 1921, il meurt à Alger à 86 ans. Mais auparavant il aura livré trois sublimes sonates pour instrument à vent. Trois chefs-d’œuvre pour hautbois et piano, clarinette et piano, basson et piano pour montrer au monde que la stérilité n’a pas assombri ses vieux jours et qu’il reste fidèle à la musique la plus pure. Sans jamais se renier, ce grand maître français aura néanmoins passé sa vie à fuir les étiquettes et à étonner son monde.

 

Olivier Bellamy

 

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