Otto Klemperer cachait derrière sa haute stature et ses grosses lunettes un psychisme fragile, qui n’a pas facilité sa carrière. Parmi tous ses célèbres confrères de la même génération, il ne fut pas le plus recherché pour des postes prestigieux. Chassé d’Allemagne par l’arrivée au pouvoir des nazis, il dirige l’Orchestre de Los Angeles mais doit réduire ses activités pour de sérieuses raisons de santé. Sa carrière deviendra plus brillante sur la fin de sa vie, avec le soutien de Walter Legge qui lui confie le Philharmonia Orchestra et lui permet de diriger des opéras à Covent Garden.
Otto Klemperer en 10 dates :
- 1885 : Naissance à Breslau
- 1910 : Premier chef à l’Opéra de Hambourg
- 1914 : Directeur de l’orchestre de l’Opéra de Strasbourg
- 1927 : Directeur du Kroll Oper de Berlin
- 1933 : Départ pour les Etats-Unis
- 1947 : Directeur de l’Opéra de Budapest
- 1955 : Chef du Philharmonia Orchestra
- 1961 : Fidelio à Covent Garden
- 1970 : Concerts à Jérusalem
- 1973 : Mort à Zurich
Gustav Mahler lance sa carrière de chef d’orchestre à Prague
Klemperer apprend d’abord le piano auprès de sa mère. Il étudie la musique au Conservatoire de Francfort puis de Berlin. Il rencontre Mahler, qui lui obtient son premier poste à l’Opéra de Prague comme chef de choeur, puis celui de chef d’orchestre de l’Opéra de Hambourg. En 1914 ce sera Strasbourg, alors ville allemande, où il restera trois ans, puis Cologne où il crée des opéras de Korngold et de Janacek.
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L’aventure de l’Opéra Kroll se termine par une fermeture qui le déstabilise.
En 1927 il est nommé directeur de l’Opéra Kroll, un établissement important créé à Berlin en 1844 et disposant d’une grande salle pouvant représenter les opéras du répertoire. Klemperer en fait aussi un lieu d’innovation en accueillant des œuvres modernes comme celles de Hindemith, Stravinsky et Schönberg. Il est alors reconnu comme l’un des grands chefs d’orchestre, à l’instar de Bruno Walter, Erich Kleiber, Furtwängler et Toscanini, ainsi qu’en témoigne une photo saisissante de ces cinq maîtres en grande tenue, à Berlin en 1929. Hélas la grande dépression a raison de cette belle institution qui vit ses dernières heures en 1931. Sa fermeture laisse Klemperer très désappointé, d’autant que les nazis reprendront le bâtiment pour en faire leur lieu principal de réunion politique.
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Klemperer quitte l’Allemagne nazie dès 1933 et prend la direction de l’Orchestre symphonique de Los Angeles.
D’origine juive, Klemperer doit quitter rapidement l’Allemagne, et comme beaucoup d’autres musiciens émigre aux Etats-Unis. Il est nommé à la tête de l’Orchestre de Los Angeles où il restera jusqu’en 1939. Lorsque Toscanini quitte le New York Philharmonic, il espère le remplacer mais n’est pas choisi, ce qui le blesse profondément. Devenu citoyen américain en 1940, il ne rentrera en Europe qu’après la fin de la guerre. De graves problèmes de santé perturbent sa carrière, et il doit se contenter de postes de chef invité.
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Après l’Opéra de Budapest, Klemperer prend la direction du Philharmonia Orchestra à Londres .
En 1947 il part à Budapest pour prendre la direction musicale de l’Opéra d’Etat, où il reste trois ans, puis dirige un peu partout dans le monde sans poste fixe. Ce sera Walter Legge, producteur britannique et fondateur du Philharmonia Orchestra, qui le sortira de cette situation précaire en lui confiant cet orchestre après le départ de Karajan. Sa carrière redémarre à soixante-dix ans. Il enregistre beaucoup de disques, qui rencontrent le succès, notamment les cycles de symphonies de Beethoven et de Brahms. Au Covent Garden il dirige des productions de Mozart et Wagner, parfois même en assurant la mise en scène. Sa version de Fidelio de Beethoven avec Sena Jurinac et Jon Vickers, enregistrée live au Royal Opéra House en 1961, reste l’une des grandes références.
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Lorsque Legge annonce vouloir dissoudre l’orchestre en 1964, Klemperer se place au côté des musiciens pour le maintenir, ce qu’il réussira à faire et en demeurera le chef principal jusqu’à sa mort. En 1967, à Paris, il donne avec son orchestre une 9ème Symphonie de Mahler qui impressionne les critiques musicaux, qui évoquent son style sobre et précis, « son regard ardent et immobile » (J. Lonchampt, Le Monde, 26 avril 1967).
Klemperer est aussi compositeur, mais ses œuvres restent assez confidentielles.
Comme plusieurs de ses confrères, il est aussi compositeur mais ses œuvres ne sont guère jouées. Il a écrit plusieurs symphonies, des quatuors pour cordes, des pièces pour piano et des lieder, et même une messe et un opéra, Das Ziel (Le But), composé en 1915 alors qu’il est en poste à Strasbourg, base arrière de l’armée allemande. Cet opéra comporte une valse joyeuse (Lustiger Walzer), qu’il a enregistrée à Londres en 1961, une œuvre qui ne ressemble guère à son image austère !
Otto Klemperer à la tête du New Philharmonia Orchestra, dans la Symphonie No.6 in « Pastorale » de Beethoven
Klemperer continue de diriger jusqu’à un âge avancé et meurt à Zurich.
En 1970, il part en Israël pour une série de concerts avec l’Orchestre symphonique de la radio israélienne et obtient la nationalité israélienne. Son dernier concert est à Londres en septembre 1971, avec un programme très germanique, Mozart, Beethoven, Brahms et Bruckner. Il meurt à Zurich, où il s’était installé depuis 1954, à quatre-vingt-huit ans.
Beaucoup de ses traits d’humour continuent de se transmettre et de réjouir les musicologues, comme sa réponse au grand baryton Fischer-Diskau qui voulait être aussi reconnu comme chef d’orchestre et qui invita Klemperer à assister à son prochain concert où il devait diriger la Symphonie Héroïque de Beethoven. Klemperer lui dit qu’il ne pouvait pas venir parce que ce soir là il chantait le Voyage d’hiver !
Philippe Hussenot