Rapatriement des familles de jihadistes : Le moment est « opportun » selon Gilles Kepel

Maya Alleruzzo/AP/SIPA

Gilles Kepel, spécialiste du jihadisme et des relations internationales, était l’invité de Renaud Blanc dans la matinale de Radio Classique ce vendredi 16 septembre. Devant le risque d’implosion des prisons kurdes, il est « opportun » selon lui de poursuivre le rapatriement des familles de jihadistes mais il sera difficile de convaincre l’opinion publique. 

« Il y a un risque gigantesque de redémarrage d’une nébuleuse islamiste internationale qui n’existait plus depuis Daesh »

La condamnation de la France par la CEDH pour sa politique de rapatriement des familles jihadistes n’a rien de surprenant selon Gilles Kepel, qui indique que 50 personnes étaient déjà revenues sur le sol français en juillet. Le moment est “opportun” pour poursuivre ce processus – plus d’une centaine de femmes et enfants français stagnent dans les camps de Al-Hol et Al-Roj en Syrie – selon Gilles Kepel, pour plusieurs raisons. D’abord, la situation est « stressante » pour les camps Kurdes qui menacent d’imploser et de lâcher dans la nature « des milliers de jihadistes aguerris » locaux ou venus d’Irak et d’Europe. La Turquie menace effectivement de venir chasser les Kurdes de ces territoires syriens et repousser les immigrés syriens de sa frontière. « Il y a environ 3 millions de Syriens en Turquie qui sont aujourd’hui le bouc émissaire d’Erdogan, alors que l’économie est en lambeaux et que l’élection de 2023 approche », remarque le spécialiste. Autre problème pour la Syrie : la Russie, très occupée en Ukraine, a du mal à soutenir son allié syrien Bachar al-Assad face aux exigences de la Turquie.

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Ensuite, « il y a un risque gigantesque de redémarrage d’une nébuleuse islamiste internationale qui n’existait plus depuis Daesh ». Pour la France, cela signifie une menace renouvelée sur le système carcéral français. Gilles Kepel souligne que des « moyens significatifs »  sont déjà pris par l’administration pénitentiaire pour isoler ces jihadistes et limiter le prosélytisme. Le parquet national antiterroriste est tout aussi efficace, en témoigne les procès du 13 novembre et celui du 14 juillet 2016 à Nice en ce moment. La question du rapatriement reste « politique et philosophique » objecte Renaud Blanc. Les femmes de jihadistes restent une menace, abonde Gilles Kepel : dans le logiciel de Daesh, elles sont utilisées comme des « reproductrices à combattants » et certaines demeurent des jihadistes convaincues.

L’attentat de Nice est l’incarnation même du concept de « jihadisme d’atmosphère » théorisé par Gilles Képel

L’endoctrinement des enfants à partir d’un très jeune âge pose aussi un grand problème : « les situations terribles qu’ils vivent augurent très mal de leur réinsertion dans la société française », regrette Gilles Kepel. Tout cela prépare mal l’opinion publique au rapatriement de ces familles, alors que le procès de Nice est en cours et que les images « monstrueuses » du camion ont bouleversé l’audience jeudi. « La population comprend mal pourquoi ses impôts doivent nourrir des individus qui n’ont qu’une idée : planifier des attentats ». En parallèle, le procès de Nice aide énormément à l’analyse de la matrice jihadiste, insiste Gilles Kepel : « il ne s’agit pas du combat d’une population contre l’autre, mais d’un criminel qui n’hésite pas à massacrer ses coreligionnaires ». D’après lui, cette attaque est le symbole du « jihadisme d’atmosphère » théorisé par le chercheur : le conducteur du camion Mohamed Lahouaiej Bouhlel a foncé dans la foule sans qu’on lui en donne l’ordre, et Daesh a revendiqué de manière opportune l’attentat.

Clément Kasser

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