Messe pour les morts, le requiem a traversé les siècles depuis le Moyen-Âge, ce qui en fait l’un des plus vieux genres de musique sacrée en Occident. Son évolution suit celle de l’histoire de la musique, aussi bien dans son langage harmonique que son effectif orchestral, en passant par une tendance à la théâtralité. Aujourd’hui, le requiem est plus souvent donné dans les salles de concert que lors d’un service religieux, mais continue d’inspirer les compositeurs du XXIème siècle.
Le requiem est d’abord une messe chantée pour rendre hommage aux morts.
Pendant des siècles, le requiem est une messe pour les défunts, chantée en latin. Il peut être exécuté avant le départ au cimetière ou plus tard, en hommage à la personne décédée. Il tire son nom des premiers mots prononcés, « requiem aeternam dona ei Domine » (« donne-lui Seigneur le repos éternel »). Les textes chantés lors de la messe dominicale comprennent une partie invariable (l’ordinaire : kyrie, gloria, credo, sanctus et benedictus, agnus dei) et une partie qui change au gré de la liturgie du jour (le propre : entrée, offertoire, communion). En revanche, les chants de la messe des morts ont un texte fixe et leur ordre est clairement établi depuis le Concile de Trente au XVIème siècle : introït, kyrie, graduel, trait, dies irae, offertoire, sanctus, agnus dei, communion, lux aeterna. Le concile a alors supprimé le gloria et le credo, présents auparavant.
En 1969, l’Eglise catholique décide le retrait du dies irae et la réintroduction de l’alleluia dans la messe des morts. Elle met ainsi l’accent sur la joie que procure l’espérance de la résurrection, au lieu de la peur de la colère divine (dies irae) au Jugement dernier. Il est amusant de constater que Fauré et Duruflé avaient anticipé ce choix dans leur propre requiem, respectivement en 1893 et 1947.
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Lorsqu’un compositeur écrit un requiem, il suit donc en principe un texte prédéfini, même s’il lui arrive d’en omettre certaines parties. Bien-sûr le style musical diffère grandement selon qu’il s’agit de la Missa pro defunctis de Palestrina (1591), de la Messe des morts de Campra (1723), du Requiem que Donizetti compose en 1835 à la mémoire de Bellini, ou de celui de Penderecki (1984-93) !
Cette musique vocale voit son effectif instrumental et son langage évoluer au fil des siècles.
Au départ, la musique d’un requiem est prévue pour s’intégrer au service religieux. Chantée par un choeur, elle peut être accompagnée par un orgue et/ou un orchestre. Ce qui n’implique pas forcément un effectif intime. La célébration mortuaire peut vouloir un certain faste en accord avec la position du défunt, que l’œuvre musicale va venir refléter. Ainsi le requiem de Biber, composé en 1687 pour les obsèques d’un cardinal, prévoit pas moins de 6 solistes, un chœur, un orchestre et un orgue !
Au fil des siècles, l’orchestre symphonique évolue. On retrouve les même changements de proportions dans le requiem entre les XVIIIè et XIXè siècles que dans une symphonie, tant dans les effectifs instrumentaux que dans la durée. Si le requiem de Mozart (1791) dure un peu moins d’une heure, celui de Berlioz dépasse les 90 minutes et rassemble 440 musiciens et chanteurs pour sa création en 1837, dont une exceptionnelle abondance de cuivres !
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La présence de solistes n’est en revanche pas propre au XIXème siècle. Jean Gilles (1705) ou Gossec (1760) prévoyaient déjà 4 solistes en plus du chœur pour leur Messe des morts. Berlioz, lui, se contente d’un ténor, ce qui est plutôt original face aux 4 solistes plus conventionnels de Saint-Saëns (1878) ou de Dvorak (1890). Néanmoins, au XVIIIème siècle, la musique d’église est emprunte d’une gravité qui la distingue clairement de l’opéra. Au XIXème siècle, le style se rapproche du genre scénique, aussi bien dans les parties vocales (« Ingemisco » du ténor chez Verdi, ou les solos de soprano et de basse chez Dvorak) que dans le traitement de l’orchestre. Le requiem devient alors théâtral. Il n’est d’ailleurs plus toujours rattaché à une exécution religieuse. Dvorak a ainsi composé le sien spontanément, sans le destiner à aucune circonstance particulière.
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Il est par ailleurs frappant de constater à quel point ce genre vieux de plusieurs siècles a su renouveler son langage musical. Des compositeurs du XXème siècle aussi divers que Stravinsky (Requiem canticles, 1966 ), Ligeti (1963-65), Takemitsu (Requiem pour orchestre à cordes, 1957) ou Silvestrov (1997-99) s’en sont ainsi emparés chacun leur tour.
Un requiem peut-être mu par un sentiment spirituel, ou vouloir faire passer un autre message.
On l’a dit, le requiem accompagne à l’origine un service religieux funéraire, ou une messe en hommage à une personne décédée antérieurement, tel le requiem de Cherubini pour l’anniversaire de la mort de Louis XVI en 1817. Chez Brahms, le requiem a encore un lien avec la mort et la religion, mais s’éloigne totalement du moule traditionnel. Le compositeur a sélectionné lui-même des passages de la Bible au lieu de reprendre le texte liturgique, et les fait chanter en allemand et non en latin. Son Deutsches Requiem s’inscrit ainsi plutôt dans la lignée des cantates funèbres baroques protestantes, que des requiem catholiques. Rappelons que Brahms admirait énormément Bach.
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Créé en 1962 pour l’inauguration de la cathédrale de Coventry nouvellement reconstruite, le War Requiem de Britten utilise le texte traditionnel en latin, mais y mêle des citations du poète Wilfred Owen. Le compositeur évoque dans cet œuvre l’horreur de la guerre, et le message est d’autant plus poignant qu’il y insère un chœur d’enfants. Il prévoit par ailleurs pour la création 3 solistes de pays belligérants différents : la soprano russe Galina Vishnevskaïa, le baryton allemand Dietrich Fischer-Diskau, et son propre compagnon le ténor anglais Peter Pears. Un beau signe de paix, bien que l’URSS n’ait finalement pas donné l’autorisation à l’épouse de Rostropovitch d’y participer. En 2001, Christopher Rouse s’inspire de la démarche pacifique de Britten en incorporant au texte liturgique se son propre Requiem des extraits non seulement de poésie mais aussi d’hymnes européens.
Si le requiem a encore aujourd’hui pour certains compositeurs une connotation religieuse, il peut aussi bien véhiculer chez d’autres une réflexion sur la mort plaçant l’humain au centre et non plus le divin. Ce qui n’empêche d’ailleurs pas une forme de spiritualité, comme dans le Earth Requiem de Guan Xia en 2009, une partition qui concilie par ailleurs les héritages musicaux occidentaux et chinois. Quant au compositeur slovaque Juraj Filas, il a dédié son Requiem en 2011 aux victimes du terrorisme.
Sixtine de Gournay