David Abiker vous emmène dans Demandez le programme au Pays Basque, à Ciboure, près de Saint-Jean-de-Luz, ville de naissance d’un des plus grands compositeurs français, Maurice Ravel. Parcourez à travers ses créations sublimes sa vie tourmentée, marquée par une grave maladie lors de ses dernières années.
Nous sommes ici au bord de l’eau, dans un village de pêcheurs, à 40 km à peine de la frontière espagnole. Sur le port, une grande maison blanche regarde l’Atlantique. C’est ici, un 7 mars 1875, que naît Maurice Ravel d’une mère basque et d’un père suisse et ingénieur.
C’est une famille bourgeoise, cultivée avec un papa mélomane dont Ravel plus tard dira ceci : « Tout enfant, j’étais sensible à la musique – à toute espèce de musique. Mon père, beaucoup plus instruit dans cet art que ne le sont la plupart des amateurs, sut développer mes goûts et de bonne heure stimuler mon zèle ».
Gabriel Fauré est le professeur en composition de Ravel au Conservatoire
La suite est simple : piano à 7 ans, en même temps que son frère de 3 ans son cadet. Il a l’esprit vif et créatif, disent les profs en substance. A 14 ans Maurice monte à Paris suivre les cours du conservatoire. Il se lie d’amitié avec Manuel de Falla, Albeniz, le pianiste Riocardo Vines.
En 1897, Ravel a 22 ans. Et ce qui frappe c’est qu’il a déjà composé des œuvres importante pour piano comme la Pavane pour une infante défunte ou Jeux d’eau. Il a pour professeur en composition Gabriel Fauré. Ravel dédie à son maître ce Quatuor à Cordes que ne manquera pas de remarquer un certain Claude Debussy de 13 ans son aîné.
En 1905 Ravel tente le prix de Rome pour la 5ème fois. Mais le musicien est différent, en avance, toujours trop décalé, trop moderne, trop vieux, pas assez pistonné, bref, le Jury ne l’aime mais cette fois ca se voit un peu trop, et le scandale éclate.
A 30 ans, Maurice Ravel a déjà une œuvre et un style à part
C’est l’injustice, mais heureusement le remplacement par Gabriel Fauré du président du conservatoire va favoriser l’évolution des mentalités. Toutefois Ravel n’est pas une bête à concours. Imaginez, à 30 ans à peine, il a déjà une œuvre, un style, il fait partie des apaches, un groupe d’artistes auxquels appartiennent également Maurice Delage et Igor Stravinsky.
Il a surtout beaucoup composé pour le piano et va pouvoir orchestrer sa Pavane pour une infante défunte.
Nous sommes en 1910, Ravel a maintenant 35 ans. C’est durant cette période qu’il compose le cycle des Miroirs pour piano, dont il orchestre deux pièces : les fameuses Barque sur l’océan et Alborada del gracioso.
Ravel innove également dans le domaine de l’opéra avec L’Heure espagnole. L’Espagne, encore l’Espagne qui l’influence depuis toujours. Outre l’opéra, la danse occupe une place centrale dans sa musique. En 1912, la collaboration de Ravel avec Diaghilev et les Ballets russes donne naissance à l’un de ses chefs-d’œuvre, Daphnis et Chloé. C’est également pour un ballet, à la demande de la danseuse Ida Rubinstein, que Ravel composera en 1928 son œuvre la plus célèbre, le Boléro mais nous n’en sommes pas encore là.
Les années 1912 et suivantes sont parmi les plus créatrices de Ravel. A l’aube de ses quarante ans, il est à l’avant-garde et soutient Le Sacre du printemps de Stravinsky. Ravel va marquer le XXème siècle de son empreinte.
Le choc de la Première Guerre mondiale sur la vie de Ravel
Ce dernier l’ignore encore mais, plus que tous les autres, un événement brutal et global va marquer une génération d’écrivains, d’intellectuels, de poètes et d’artistes : le déclenchement de la Première Guerre mondiale. Les années qui précédèrent l’éclatement de la Seconde Guerre mondiale ont compté parmi les plus heureuses de la vie de Ravel.
Enfant doué, Ravel a eu pour maître Fauré, a admiré Debussy et a trouvé son style de façon précoce. L’académisme n’a pas voulu de lui ? Peu lui importe, il fréquente l’avant-garde. Lorsque le conflit éclate, le virtuose a déjà composé des œuvres maîtresses, notamment les valses nobles et sentimentales. Comme souvent, Ravel compose pour le piano puis réalise les arrangements pour l’orchestre.
D’abord réformé, Ravel s’engage et est admis dans le corps des ambulanciers. Il est présent sur le front à Verdun à l’automne 1916. La même année, Ravel prend position publiquement contre le boycott des musiciens allemands et autrichiens : « Je ne crois pas que pour la sauvegarde de notre patrimoine artistique national, il faille interdire d’exécuter publiquement en France des œuvres allemandes et autrichiennes contemporaines non tombées dans le domaine public. […] Il serait même dangereux pour les compositeurs français d’ignorer systématiquement les productions de leurs confrères étrangers et de former ainsi une sorte de coterie nationale : notre art musical, si riche à l’heure actuelle, ne tarderait pas à dégénérer, à s’enfermer en des formules poncives. »
En 1917, plongé dans le désespoir suite à la mort de sa mère, Maurice Ravel se met à nouveau à composer. Il acheva cette année-là six pièces pour piano regroupées sous le titre Le Tombeau de Couperin, en guise d’hommage aux maîtres du classicisme français morts au front.
Colette rédigera le livret de L’Enfant et les Sortilèges
Au sortir de la guerre, Ravel est un compositeur établi. N’ayant que faire des honneurs et des institutions, il refuse la légion d’honneur, part en voyage aux Etats-Unis et rencontre George Gershwin, auteur quatre ans plus tôt d’une retentissante Rhapsody in Blue.
A partir des années 1920, il se consacre à la composition d’une œuvre dont l’inspiration prend source vers 1900, après sa rencontre avec la romancière Colette, L’Enfant et les Sortilèges. C’est Colette qui va écrire le livret de cette œuvre que Ravel mettra 8 ans à finaliser : l’œuvre est créée à l’opéra de Monte Carlo le 21 mars 1925.
En 1921, Ravel s’est installé au Belvédère, une maison tout en longueur qui surplombe la forêt des Yvelines, à Montfort-l’Amaury, où il vit en vieux célibataire. Affectant un « cérémonial d’élégance fastidieuse » selon l’écrivain André Tubeuf, Ravel n’est pas Debussy et une vie sans femme lui convient.
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Une autre particularité de l’œuvre de Ravel est son immensité, même s’il a peu composé : moins de 100 créations et seulement 25 œuvres orchestrées ou transcrites.
Cela fait de chacune d’elles une œuvre unique, particulière, le fruit d’une recherche de perfection qui sort de l’ordinaire. Ravel ne compose pas au kilomètre : il expérimente, il innove loin des modes et de l’urgence. C’est donc dans la paisible petit ville de Montfort qu’il compose notamment son fameux Concerto en sol.
Décès et postérité de Maurice Ravel
Ravel, toujours en avance sur son temps, va composer pour le cinéma les trois Chansons de Don Quichotte à Dulcinée, pour le film Don Quichotte. Finalement, on ne lui prend pas sa musique, peu lui importe, il termine ce qu’il a commencé.
C’est l’une des dernières œuvres composée par Ravel avant qu’une maladie cérébrale ne le prive de la parole et de la possibilité de composer. L’œuvre majeure de Maurice Ravel, Boléro, commandée par la danseuse russe Ida Rubinstein, est créée en 1928 pour un ballet à l’opéra Garnier.
Le 28 décembre 1937, Ravel meurt à 62 ans. Colette écrira plus tard : « Je n’ai pas eu le chagrin de voir Ravel diminuer. À Montfort-l’Amaury, sa solitude et son étrange Belvédère le préservaient d’une publique déchéance. Alors qu’Hélène Morhange revenait à Paris, soucieuse, nous ne voyions pas encore beaucoup la différence entre le Ravel farouchement enfermé au sein de son travail, et le Ravel qui s’enlisait. La main qui oublie l’écriture musicale et les autres graphismes, la lèvre que déserte la parole, tous les efforts conscients et vains, Morhange les a vus. »
Elégant et discret, Ravel sera avec Debussy le musicien français le plus influent du XXème siècle. Laissons lui le dernier mot : « La musique peut tout entreprendre, tout oser et tout peindre pourvu qu’elle charme et reste enfin, et toujours, de la musique. »
David Abiker et Camille Taver
