Les personnages des quinze opéras de Rimski-Korsakov se dressent dans des atmosphères mêlant fantastique et réalisme : féerie orientale, rites païens, croyances religieuses populaires… Il y a tout cela dans l’œuvre de l’un des compositeurs russes les plus productifs de la fin du XIXe siècle. Son écriture musicale, si prodigieusement inventive, ouvre de nouveaux horizons à ses disciples, parmi lesquels Igor Stravinsky, Alexandre Glazounov ou Serge Prokofiev.
Nicolaï Rimski-Korsakov en 10 dates :
- 1844 : Naissance à Tikhvine
- 1861 : Rencontre de César Cui, Mily Balakirev et Modeste Moussorgski
- 1865 : Création de la Symphonie n°1
- 1867 : La Pskovitaine, premier des quinze opéras
- 1871 : Professeur de composition au Conservatoire de Saint-Pétersbourg
- 1881 : Snégourotchka
- 1888 : Shéhérazade
- 1906 : Kitège
- 1907 : Le Coq d’or
- 1908 : Mort à Lioufenski
Entre l’attirance des mers lointaines et une vocation de musicien, Rimski-Korsakov ne tarde pas à choisir
Le jeune Nikolaï prend des leçons de piano avant d’entrer, à l’âge de douze ans, à l’Ecole navale de Saint-Pétersbourg. Sa famille le destine à une carrière de marin, tout comme son frère aîné. Pour autant, il se passionne pour la musique, suivant des cours avec divers pianistes, prenant le temps de découvrir les opéras en vogue dont Une vie pour le tsar de Glinka qui le marque profondément, en 1858.
Une étape décisive a lieu en 1861, lorsqu’il rejoint aux côtés de César Cui, Mily Balakirev, Modeste Moussorgski et bientôt Alexandre Borodine, ce qui deviendra le Groupe des Cinq. “L’exercice” auquel se consacre chaque membre du groupe consiste à composer une symphonie. Elle est le premier jalon d’un répertoire authentique russe qui prend ses distances avec les influences germaniques et italiennes.
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Entre sorties en mer et missions en escadres autour du monde qui ne prennent fin qu’en 1865, Rimski-Korsakov achève sa partition dont il envoie les feuillets au fur et à mesure. Définitivement affecté à terre, il fait jouer cette symphonie le 19 décembre 1865. La date marque pour Rimski-Korsakov le point de départ de sa carrière musicale.
Lancé dans la carrière de musicien, le jeune Rimski-Korsakov compose, en peu d’années, nombre de partitions qui révèlent une personnalité hors-norme
Encouragé par son illustre aîné, Piotr Tchaïkovski, Rimski-Korsakov compose plusieurs autres pièces pour orchestre dont la Fantaisie sur des thèmes serbes puis le poème symphonique Sadko (1867), le premier du genre dans la musique russe. Le groupe constitué multiplie les créations.
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Rimski-Korsakov rencontre Nadejda Purgold qu’il épouse en 1872. Entretemps, il a composé sa Symphonie n°2, dite Suite symphonique Antar d’après une légende arabe. Le souvenir des voyages et l’attirance pour l’Orient font merveille dans cette œuvre dont la forme et les thèmes cycliques empruntent à la Symphonie Fantastique de Berlioz. Les musiciens russes avaient reçu avec faste le compositeur français, en 1867. La même année, Rimski-Korsakov se lance dans l’écriture de son premier opéra, La Pskovitaine.
Symphonie n°2 « Antar » (Rotterdams Philharmonisch Orkest, dir. David Zinman)
Reconnu à sa juste valeur, Rimski-Korsakov obtient rapidement des postes prestigieux tout en composant quelques-unes de ses œuvres majeures
En 1871, le voici nommé professeur de composition au Conservatoire de Saint-Pétersbourg… sans jamais y avoir étudié ! Son influence va devenir de plus en plus importante dans les milieux musicaux russes. La création de La Pskovitaine est bien accueillie par le public qui perçoit le caractère révolutionnaire de certaines scènes. En 1873, il devient inspecteur des orchestres de la flotte. Une fonction créée pour lui et qui en dit long sur son aura dans les milieux officiels. Afin d’accomplir au mieux cette charge, il écrit plusieurs concertos pour divers instruments à vent qui composent les harmonies militaires. La même année, il achève sa Symphonie n°3 ainsi que plusieurs pièces de musique de chambre, répertoire secondaire pour les musiciens du Groupe des Cinq.
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En 1876, Rimski-Korsakov se lance dans la rédaction du Journal de ma vie musicale. Le témoignage est d’autant plus précieux qu’il va suivre la production du compositeur trente ans durant. Deux ans plus tard, La Nuit de mai est mise en chantier. Il s’agit du deuxième opéra du compositeur. Le fantastique, les fêtes rituelles païennes russe et l’humour annoncent un troisième ouvrage lyrique achevé en 1881, Snégourotchka (la Fille des neiges). Personnages réels et surnaturels se côtoient dans cette fresque admirablement orchestrée.
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Il complète l’opéra Le prince Igor que la mort de Borodine a laissé inachevé
Les années 1880 sont moins marquées par l’écriture que par l’accumulation de nouvelles charges et la promotion de la nouvelle école de musique russe. En 1883, Rimski-Korsakov devient assistant de Balakirev à la direction de la Chapelle impériale de Saint-Pétersbourg. L’année suivante, il prend la tête des Concerts symphoniques russes. La seule pièce marquante de cette période est le Concerto pour piano de 1882 dont Rachmaninov saura s’inspirer ainsi que la Fantaisie pour violon et orchestre, en 1886. L’année suivante, il entreprend le Capriccio Espagnol. Mais, sa grande tache est, aux côtés d’Alexandre Glazounov, l’achèvement du Prince Igor que Borodine n’a pu achever avant sa mort.
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Deux pièces majeures datent de 1888 : Shéhérazade et la Grande Pâque russe. L’idée de la première partition lui vient alors qu’il termine l’orchestration du Prince Igor. En travaillant sur l’ouvrage de son ami, Rimski-Korsakov a considérablement enrichi sa connaissance d’un “exotisme russifié”, d’une Perse antique fantasmée, qu’il transcrit avec une efficacité diabolique. Quant à la Grande Pâque russe, le compositeur joue de l’influence païenne sur la culture chrétienne.
L’univers sonore de Rimski-Korsakov se concentre, pour l’essentiel, sur l’opéra. Ses derniers ouvrages sont les chefs-d’œuvre de sa production
1889 marque une autre date importante dans la vie musicale russe. Rimski-Korsakov découvre l’œuvre de Wagner dont la Tétralogie est donnée pour la première fois à Saint-Pétersbourg. Il fait son miel de cette écriture si éloignée des musiciens russes. Elle aura une influence certaine dans ses futurs opéras. C’est déjà le cas avec Mlada, ouvrage au livret absurde, mais à la musique géniale. 1890 est une année particulièrement difficile pour le musicien. La disparition de sa mère et de deux de ses enfants, ainsi que la maladie de son épouse, sont à l’origine de sa dépression.
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Pour autant, il poursuit divers travaux dont le début de la révision de Boris Godounov de Moussorgski. En 1893, l’année de la mort de Tchaïkovski, Rimski-Korsakov se lance dans son cinquième opéra, La Nuit de Noël. Puis ce seront, sans discontinuer, onze autres ouvrages lyriques – quinze opéras en tout – dont La Fiancée du tsar en 1898 et, l’année suivante, Le Conte du tsar Saltan dont on ne retient au concert que l’inusable Vol du bourdon. Ce sont les légendes russes qui nourrissent l’inspiration du musicien comme dans Katscheï l’immortel de 1901 et, peut-être, le plus grand opéra du compositeur, Kitège, achevé en 1906. Une musique d’une puissance expressive prodigieuse. Une fresque de l’imaginaire religieux populaire russe !
9 janvier 1905. La première Révolution russe éclate. Le Conservatoire de musique est au cœur de l’agitation. Ayant soutenu les étudiants, Rimski-Korsakov doit quitter l’établissement. Katscheï l’immortel est le symbole d’un anti-tsarisme qui ne se cache plus. Bien que rétabli dans son poste, le compositeur est considéré comme un opposant au régime. Terminé en 1907, son opéra Le Coq d’or apparaît comme une satire du tsar. La censure veille et en interdit la représentation. Le 8 juin, Rimski-Korsakov meurt d’une crise cardiaque dans son village de Lioufenski, non loin de Pskov. Il n’aura pas eu la chance d’entendre son dernier opéra.
Stéphane Friédérich