SCRIABINE Alexandre

(1872-1915) Epoques postromantique et moderne

Après avoir écouté le Poème de l’Extase de son ami Scriabine, Rimski-Korsakov se serait écrié « Il se pourrait bien qu’il soit fou ». Quel a été le cheminement de ce musicien ayant outrepassé les règles de la tonalité occidentale ? Pourquoi ses recherches ont-elles tant intéressé les compositeurs de la seconde moitié du XXe siècle ? Scriabine est un musicien vraiment à part.

Alexandre Scriabine en 10 dates :

  • 1872 : Naissance à Moscou
  • 1892 : Sortie du Conservatoire Tchaïkovski de Moscou
  • 1896 : Première tournée en Occident du pianiste virtuose
  • 1898 : Concerto pour piano
  • 1901 : Symphonie n°1
  • 1906 : Poème de l’Extase
  • 1907 : Sonate pour piano n°5
  • 1910 : Prométhée ou le Poème du feu
  • 1913 : Sonate pour piano n°10
  • 1915 : Mort à Pétrograd

 

Destiné à une carrière de pianiste virtuose, Scriabine va progressivement s’imposer comme un compositeur hors-normes

Fils de diplomate, le jeune Scriabine n’est pas long à renoncer à sa carrière promise de militaire pour embrasser celle de musicien. En 1888, il entre au Conservatoire de Moscou dans la classe de composition d’Anton Arenski, et celle de piano de Vassili Safonov. Quatre ans plus tard, il en sort brillamment avec une médaille d’or (la Grande médaille d’or est attribuée, cette année-là, à Rachmaninov).

Il débute une carrière de pianiste virtuose, mais dont il restreint les programmes au point de ne plus interpréter que ses propres œuvres. En 1896, sa première tournée en Occident est couronnée de succès. Il assimile les esthétiques nationales les plus diverses : Debussy, Liszt, Wagner, Strauss… Ses premières compositions suscitent tant d’intérêt qu’elles sont publiées en 1892.

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De son premier mariage, en 1897 avec Véra Issakovitch, Scriabine a deux filles dont la première, Elena, épousera le pianiste Vladimir Sofronitzky. Des postes officiels lui sont proposés. De 1898 à 1903, Scriabine enseigne au Conservatoire de Moscou avant de reprendre sa carrière de soliste et retourne en Occident. Il y vit jusqu’en 1910.

 

Les 10 Sonates et de nombreuses pièces pour piano fascinent par l’extraordinaire évolution de leur écriture. Scriabine invente un monde sonore qui n’appartient qu’à lui

C’est au piano que Scriabine dédie la plus grande partie de son œuvre. Il débute sa carrière avec cet instrument, et les 19 premiers opus de son catalogue lui sont dédiés. En 1898, il compose son unique Concerto pour piano, première œuvre avec orchestre. Son écriture rompt progressivement avec le romantisme au profit de nouvelles recherches sonores. Une série de dix sonates au sein d’un corpus impressionnant de petites pièces, voire de miniatures (études, préludes, poèmes, mazurkas, etc.) pose les fondements d’une nouvelle esthétique. Les sonates au style influencé par Liszt deviennent, au fil des ans, de véritables “états d’âme”. L’influence de Chopin s’estompe rapidement. Le chromatisme de Wagner s’impose dans l’harmonie de la Sonate n°4. La Sonate n°5 de 1907 marque une évolution radicale. Les effets acoustiques, l’atonalisme y font leur apparition. La Sonate n°9 dite “Messe noire” (1913) serait l’expression de cauchemars alors que la dernière Sonate n°10, de 1913, est décrite comme un “hommage mystique à la Nature et à l’Eros cosmique”.

 


Concerto pour piano de Scriabine (Daniil Trifonov, piano)

 

Philosophie et poésie se conjuguent dans les immenses fresques orchestrales de Scriabine. En quête d’un “art total”

Entretemps, Scriabine a composé diverses partitions pour l’orchestre. Créée en 1900, la  Symphonie n°1 est encore teintée des poèmes symphoniques de Liszt.  La Symphonie n°3Divin poème” répond à de nouvelles attirances philosophiques et esthétiques, conjuguant les influences du wagnérisme et du symbolisme avec des expérimentations harmoniques nouvelles. En 1906, l’une de ses œuvres les plus célèbre  voit le jour : le Poème de l’Extase. Le titre original est “poème orgiaque”, l’œuvre étant influencée par le mouvement théosophique auquel Scriabine adhère  à l’époque.

Parallèlement il participe aux programmations des saisons russes de Diaghilev à Paris. Des saisons dont le retentissement est extraordinaire et qui marquent profondément les compositeurs français. En 1910, il achève sa dernière partition symphonique : Prométhée ou le Poème du feu. Il conçoit cette œuvre révolutionnaire comme l’expression d’un “art total”. En effet, outre l’immense partition d’orchestre avec piano – ce qui en fait pratiquement une symphonie concertante – orgue et chœur, il imagine un clavier de lumières qui transpose les sons en couleurs.

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Incomprises, les dernières œuvres de Scriabine sont l’accomplissement d’un rêve qui dépasse leur seul propos musical

Les œuvres des dix dernières années sont la plupart du temps rejetées par les auditeurs de l’époque, qui ne peuvent concevoir que le musicien tente non seulement de réorganiser l’univers sonore mais aussi de créer une œuvre qui les emmènerait à l’extase collective ! Scriabine rêve à la fusion de toutes les perceptions sensorielle. Son penchant pour le mysticisme prend de plus en plus d’importance dans sa musique, accompagnant en quelque sorte l’évolution radicale de sa pensée harmonique. Une pensée nourrie des poètes russes, mais aussi des philosophes européens, de Kant à Hegel. Les dernières sonates, préludes, études, mazurkas, danses, poèmes, ainsi que ses pièces orchestrales échafaudent des systèmes d’écriture de plus en plus complexes, traductions d’une quête de “l’harmonie des mondes”. On a évoqué à propos de sa musique, la “dématérialisation” du son, des calculs dignes de la géométrie “invisible” des peintres de la Renaissance. Cela explique que les interprètes sont confrontés souvent à des pièces d’une difficulté technique considérable à laquelle s’ajoute la nécessité impérative de restituer les atmosphères, les mutations internes et secrètes des partitions.

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Prométhée est l’œuvre préparatoire à sa partition ultime et qu’il ne peut achever, Mystère. Il pense créer celle-ci en Inde après avoir bâti une sorte de nouveau temple de la musique, un ”Bayreuth hindou”. Scriabine meurt à l’âge de 43 ans des suites d’une septicémie contractée par une mouche charbonneuse l’ayant piqué à la lèvre.

 

Stéphane Friédérich

 

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