Moustiques, guêpes, et papillons reviennent avec les beaux jours. Mais en musique classique, on peut les entendre toute l’année. Voici un aperçu des compositeurs qui se sont penchés sur les insectes.
Moustiques et autres nuisibles ont droit à leur portrait musical
Qui, au moment de s’endormir, n’a pas rallumé la lumière d’un geste rageur, en entendant le bruit caractéristique du moustique ? Sans doute est-ce aussi arrivé à Mel Bonis (1858-1957). Dans la pièce pour piano Le Moustique, elle décrit avec humour son agaçant vrombissant intermittent, et ses fuites à tire-d’aile hors de notre portée. Tout ce qui nous met les nerfs en pelote lorsque, ayant enfin repéré l’insecte, nous lui faisons la chasse. Mais, victoire, les derniers accords ne laissent aucun doute : le gêneur a été écrasé. Un de moins !
Le Moustique de Mel Bonis (Maria Stembolskaya)
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Un autre nuisible, sauteur cette fois, a également eu droit à son heure de gloire musicale : la puce. A la Renaissance, Claude Le Jeune (c 1525-1600) lui consacre une chanson. L’expression « avoir une puce dans l’oreille », était alors fréquemment employée en poésie pour faire référence au désir sexuel, et par extension au tourment d’un amoureux éconduit. « Une puce j’ai dedans l’oreille / Qui de nuit et de jour me frétille et me mord / Et me fait devenir fou. / Retire-la-moi, je t’en prie », s’exclame cette chanson galante. Berlioz fait aussi référence à la puce en 1846 dans son opéra La Damnation de Faust, dans une fable chantée par Méphisto. On y découvre les exploits d’une puce arriviste qui profite des largesses d’un prince crédule, aux dépens de courtisans envieux. Eux peuvent toujours se gratter !
Abeilles et bourdons volent en tous sens chez Rimsky-Korsakov et Schubert
Si les compositeurs connaissent depuis longtemps le rôle pollinisateur de l’abeille, ils n’ont pas toujours été conscients de son rôle essentiel dans l’équilibre des écosystèmes. Au XIXème siècle, lui rendre un hommage musical ne relève donc pas (encore) de l’engagement écologique. Le but est simplement ludique. C’est avec humour qu’Eduard Strauss (1835-1916), le petit frère du roi de la valse Johann II, introduit sa polka L’Abeille par quelques mesures d’un bourdonnement évocateur, à coups de trémolos des cordes. Schubert – pas celui de La Truite, mais son homonyme Franz Anton (1808-1878) – confie aussi au violon le soin d’incarner son Abeille. Un motif mélodique tournoyant, ponctué de chromatismes, parcourt toute la partition. De brusques crescendos/decrescendos parachèvent l’impression de bourdonnement. Ce sont les mêmes ingrédients qu’utilise Rimsky-Korsakov dans Le vol du bourdon. L’efficacité de cette recette musicale dépend toutefois d’un élément essentiel : la vitesse. Jouées à un tempo d’enfer, ces deux œuvres donnent alors une furieuse envie de vérifier autour de soi qu’un insecte n’est pas entré par une fenêtre ouverte.
Cependant, si vous n’êtes pas amateur de miel, peut-être préférerez-vous la suite orchestrale Les Guêpes de Vaughan-Williams (1872-1958). Celles-là, mieux vaut les avoir en musique que dans son assiette.
L’Abeille de Schubert (Leonard Furda)
Cigales et grillons chantent aussi bien chez Telemann que chez Ravel
Plus qu’un bourdonnement, c’est un grésillement qu’on entend dans l’une des symphonies de Telemann. En cause, les notes répétées superposées à des tenues dissonantes, les pizz des cordes et les trilles des flûtes. L’œuvre porte bien son nom : la Symphonie des grillons !
1er mouvement de la Symphonie des grillons de Telemann (Collegium Musicum 90)
Si on retrouve aussi une référence à l’insecte chanteur dans « Canta la cigaleta » de Stefano Landi (1587-1639), le Baroque n’est cependant pas le seul à s’y intéresser. Benjamin Godard (1849-1895) consacre au XIXème siècle six de ses mélodies aux Fables de La Fontaine, parmi lesquelles la célèbre La cigale et la fourmi. Quant à Ravel, c’est à Jules Renard qu’il emprunte le texte de ses Histoires naturelles, l’une d’entre elles étant consacrée à un grillon.
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Les papillons multicolores voltigent à travers l’histoire de la musique
Si guêpes et moustiques ont leurs pièces dédiées, les compositeurs n’ont pas oublié les papillons. Vu l’abondance des œuvres qui leur sont consacrées, c’est même leur insecte préféré. Comme nous, finalement. Leur vol gracieux traverse les époques et les genres, du clavier seul (Couperin, Schumann, Grieg…) au ballet (Offenbach), en passant par la pièce de virtuosité (pour violoncelle chez Fauré) et la suite orchestrale (La Baguette de la Jeunesse d’Elgar). On les trouve aussi très fréquemment dans les mélodies pour voix et piano (Saint-Saëns, Fauré, Fernand de la Tombelle…). Pourquoi les papillons fascinent-ils tant les compositeurs ? A cause de la légèreté et la beauté qu’ils évoquent, bien sûr. Mais aussi leur évanescence, aussi éphémère que le son lui-même.
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Roussel décrit tout un monde d’insectes dans Le Festin de l’araignée
Ce qui attire les compositeurs chez les insectes en général, c’est le mouvement – et éventuellement le son qu’ils émettent. Chaque insecte a ses particularités, de vitesse et de trajectoire, que la musique va pouvoir d’autant mieux retranscrire qu’elle est elle-même un art du mouvement. Rien de plus difficile que de faire entendre l’immobilité ! Par exemple celle de l’araignée sur sa toile, qui attend patiemment que sa proie vienne s’y poser. C’est pourtant le défi que relève Albert Roussel dans Le Festin de l’araignée, ballet-pantomime créé en 1913. Le compositeur contourne le problème en se concentrant sur les insectes – l’araignée, elle, n’est pas un insecte mais un arachnide – qui arrivent successivement à proximité de la toile : le papillon – toujours lui ! – mais aussi les fourmis et surtout l’éphémère, qui aura un rôle central dans le ballet. Grâce aux pouvoirs suggestifs de la musique, Roussel nous immerge dans le monde de l’infiniment petit. En 1996, le film Microcosmos de Claude Nuridsanny poursuivra le même but, avec les images cette fois, et la musique évocatrice de Bruno Coulais.
« Entrée des fourmis » du Festin de l’Araignée de Roussel (Orchestre National des Pays de la Loire, dir. Pascal Rophé)
Sixtine de Gournay