Révolté par « la négligence impardonnable » qui a détruit une partie de Beyrouth, sa ville natale, le pianiste français d’origine libanaise Abdel Rahman El Bacha joue dans l’espoir que la musique « exorcise le désespoir » du peuple libanais et lui donne la force de s’unir pour reconstruire.
Emmanuel Macron à nouveau à Beyrouth ce lundi
L’explosion survenue le 4 août dans la capitale libanaise a été provoquée par d’énormes quantités de nitrate d’ammonium stockées « sans mesures de précaution » dans le port, selon les autorités. Elle a fait près de 190 morts, plus de 6.500 blessés et dévasté des pans entiers de la ville. « Un tremblement de terre, il fait souffrir, il fait mourir, mais c’est une force qui vient de la nature contre laquelle l’homme ne peut rien. Une guerre entre les hommes, on pense que c’est ce qu’il y a de pire, mais je crois que ce qui s’est passé à Beyrouth c’est pire que ça encore », a confié à l’AFP Abdel Rahman El Bacha en marge d’un récital de soutien au Liban, à Gordes, en Provence. « C’est une négligence, c’est de la corruption, pour laquelle des gens innocents sont morts, la moitié d’une ville historique a été détruite ou abîmée », poursuit cet homme né à Beyrouth il y a 61 ans.
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S’il en partit à 16 ans pour étudier au Conservatoire national supérieur de musique à Paris (CNSM), et se produit depuis des années dans le monde entier en solo ou avec l’Orchestre national de France, le Royal Philarmonic Orchestra ou l’Orchestre Philharmonique de Berlin, le pianiste-compositeur a gardé « un attachement imprimé dans le coeur » pour sa ville natale : « J’ai découvert le monde à travers sa lumière ». « Qu’il y ait une sorte de négligence par rapport à ce danger qui guettait la population, je trouve que c’est impardonnable », insiste-t-il, se disant en phase avec « la grande majorité des Libanais qui critiquent la classe dirigeante ». « Mais les responsables restent à leur place », se désole l’artiste franco-libanais. Les discussions pour un nouveau gouvernement, censé marquer une nouvelle ère politique, n’ont pas avancé. Le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a évoqué un pays « au bord du gouffre » où le président Emmanuel Macron revient lundi.
La sonate Pathétique de Beethoven pour exorciser la tristesse
Face à cet océan de désolation, à ces maisons soufflées, à ces vitres et ces corps brisés, que peut la musique? « La musique a toujours été importante pour les Libanais », rappelle Abdel Rahman El Bacha, citant les chanteurs icônes du monde arabe Mohammed Abdel Wahab, Oum Kalthoum. Et la Libanaise Fairouz, si écoutée durant la guerre (1975-1990). Après l’explosion, nombreux sont ceux qui ont réécouté « Li Beyrouth », dans laquelle Fairouz évoque la mer et le parfum du jasmin mais aussi le « goût de feu et de fumée ». « Quand Chopin exprime une profonde tristesse, un désespoir, il vous régénère, il vous exorcise de votre désespoir par la force de la beauté. C’est ça qui est miraculeux dans la musique, la tristesse ne vous rend pas triste, elle vous redonne de la force », souligne le pianiste connu pour ses interprétations de Chopin, Beethoven et Ravel.
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Accueilli dans les jardins de la mairie de Gordes, Abdel Rahman El Bacha, un des rares pianistes au monde à avoir décroché à l’unanimité du public et du jury le premier prix du prestigieux Concours Reine Elisabeth de Belgique, a joué samedi soir pour « exorciser la tristesse », la sonate Pathétique (sonate pour piano n° 8 en do mineur, op. 13) de Ludwig van Beethoven, un chant andalou, une chanson libanaise et une de ses compositions, « Nocturne », accompagné de la violoncelliste Astrig Siranossian. Le produit des 200 places du récital, diffusé au Liban sur le site du journal An-Nahar, ira à des ONG caritatives pour aider des habitants à acheter des matériaux de construction. Des notes « consolatrices », espère le pianiste. « Si la musique ne peut pas entasser les pierres, elle permet d’avoir la volonté de s’unir pour pouvoir entasser les pierres et reconstruire un Liban où chacun aurait les mêmes droits et pourrait accéder à la dignité qu’il mérite ».
Philippe Gault (avec AFP)