Jean-Luc Pouthier et Odon Vallet, historiens des religions, étaient les invités de la matinale de Radio Classique. Ils discutent de la nécessité de réformes de l’église catholique, face aux scandales de pédocriminalité et à l’effacement des traditions religieuses.
Chaque année, 30% des enfants sont baptisés selon Jean-Luc Pouthier
Un jour avant le réveillon de Noël, Jean-Luc Pouthier affirme qu’il est difficile d’estimer le nombre de personnes qui se rendent encore à la messe de minuit. Ceci dit, « Noël n’est pas la fête la plus fréquentée en France », comparée aux Rameaux ou à la Toussaint, selon lui. La célébration religieuse est plus prévalente « dans les pays froids » comme l’Allemagne, abonde Odon Vallet, mais pour autant, les traditions françaises de Noël ne sont pas « négligées ». Certains diocèses et paroisses rempliraient sans mal leurs églises le soir de Noël. Il prend l’exemple du Sacré-Cœur de Paris, un lieu qui accueillerait des personnes de toutes les origines selon lui. La France, qui représente 0,8% de la population mondiale, compte 2,4% des baptisés catholiques. Mais pour prendre le pouls de la pratique religieuse en France, l’historien met en avant un autre critère : le nombre de baptêmes chaque année. Si environ 4.000 adultes se baptisent chaque année, le pourcentage d’enfants baptisés s’élève à 30%, félicite-t-il. Il se dit conscient que la plupart du temps, le baptême a lieu « pour faire plaisir à la grand-mère ». Mais la situation est bien plus rassurante qu’en Belgique, où il voit un « effondrement des baptêmes et des mariages religieux ».
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Depuis plusieurs années, la communauté catholique constate une fuite des fidèles vers les églises évangéliques, jugées « plus festives et plus accueillantes », explique Jean-Luc Pouthier. Surtout, les démarches de baptême sont encore trop rigides chez les catholiques, dénonce l’historien. « Il faut 2 ans de démarche pour les baptisés de Pâques. Mais pour être accueilli par une église évangélique, il faut un quart d’heure ! ». Et en Amérique Latine, le taux de protestants serait passé de 0% il y a 50 ans à 30% aujourd’hui, porté par le succès des évangélistes, poursuit Odon Vallet.
Le Covid, plus que les scandales, a fait fuir les fidèles, assure l’historien
Cet automne, l’Eglise catholique se retrouve de nouveau confrontée aux scandales. 11 évêques ont été mis en cause dans des affaires d’abus sexuels en novembre. Dans son rapport de 2021, la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise (Ciase) estimait le nombre de prêtres pédophiles à 3% : aujourd’hui, les gens considèrent « qu’envoyer leurs enfants au catéchisme peut être un danger », reconnaît Jean-Luc Pouthier. Le nombre de délits et de crimes a remonté ces derniers temps, continue-t-il. Mais ces scandales n’impactent pas de manière visible le nombre de fidèles de l’Eglise catholique, nuance-t-il. Le Covid aurait eu beaucoup plus d’effets sur la perte d’habitudes religieuses. Aussi, « un regain de la spiritualité chez les jeunes », notamment via les scouts, est constaté en ce moment, selon Odon Vallet.
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Face à ces révélations, le besoin de réforme se fait sentir dans l’église, surtout en Allemagne. Des évêques protestants y ont proposé de réfléchir au pouvoir dans l’exercice, la morale sexuelle et la place des femmes dans l’institution. Ce dernier point fait l’objet d’une infaillibilité pontificale – l’équivalent du 49.3 du pape, lance Renaud Blanc – depuis Jean-Paul II. « Là-dessus, pas possible d’envisager un retour en arrière du pape », précise Jean-Luc Pouthier. Cependant, « certains évêques allemands pourraient aller jusqu’à ordonner des femmes prêtres », d’après l’historien. Odon Vallet s’inquiète aussi du faible nombre de religieuses : « c’est effarant de voir les congrégations qui disparaissent, à tel point que certaines ne peuvent même plus entretenir les tombes ».
Clément Kasser