Carine Azzopardi, journaliste et auteure de « Ces petits renoncements qui tuent », était l’invitée de Renaud Blanc ce matin sur Radio Classique. Son livre retrace l’histoire d’un enseignant confronté à la montée de l’islamisme dans sa salle de classe. Les croyances religieuses de certains élèves viennent compliquer son cours, raconte-t-elle.
En classe, les théories créationnistes des élèves déstabilisent les enseignants
Dans son livre Ces petits renoncements qui tuent, aux éditions Plon, Carine Azzopardi retrace le quotidien d’un professeur de lettres dans un établissement difficile de région parisienne. Dédié à Samuel Paty et né après son assassinat, l’ouvrage a été co-écrit avec ce professeur, resté anonyme, qui a été « choqué » par cet assassinat. « Il pressentait que ça aurait pu être n’importe lequel d’entre nous [dans l’école] », raconte-elle. La journaliste, qui a perdu son compagnon dans les attentats du Bataclan, insiste sur l’importance de faire le lien entre ces deux évènements « liés au terrorisme islamiste ».
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Même si ses élèves montrent un grand respect pour leurs enseignants, le narrateur « constate une montée presque inexorable de l’islamisme en France », explique-t-elle. Si un professeur ne maîtrise pas absolument sa matière, « il peut se faire déborder » même avec 30 ans de métier comme c’est le cas de l’écrivain. « Ce n’est pas que de la provocation, c’est le contenu même des cours qui est contesté », alerte-t-elle. Les théories créationnistes gagnent du terrain dans les salles de classes, avec le retour en force des théories selon lesquelles la Terre est plate, Charles Darwin n’a pas existé et l’Homme ne descend pas du singe, « exactement comme aux Etats-Unis avec les chrétiens intégristes ». Les « petits renoncements » selon les auteurs sont insidieux et obligent le narrateur à repenser son vocabulaire pour éviter toute contestation : par exemple, ne pas employer les mots « liberté, religion, reproduction, athéisme, racisme » et « ne plus étudier Voltaire ou l’Amant de Marguerite Duras ».
« Le courant de l’islamisme intégriste est démultiplié avec les réseaux sociaux »
Carine Azzopardi reprend l’exemple de l’étude d’une gravure des Lumières de Charles-Nicolas Cochin, qui érige la vérité et la raison au dessus-de tout. Une élève se lève alors et affirme « tout en haut, il ne peut y avoir que Dieu ». Dans ces moments là, il faut arriver à discuter pour « séparer les croyances de l’apprentissage », mais c’est de plus en plus difficile, affirme-t-elle. Un autre épisode a eu lieu en cours pratique de physique-chimie. Une élève refuse d’enlever ses gants car elle « ne veut pas montrer ses mains à un kouffar [personne qui ne croit pas en Allah] ». Ce jour là, la proviseure refuse de considérer les gants comme un vêtement religieux, ce qui est l’exemple parfait d’un petit renoncement, s’alarme la journaliste.
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L’autre pan de cette enquête concerne les collègues qui ont déjà « renoncé » et opposent l’argument de l’islamophobie, ce qui agace la journaliste : « combien a-t-on eu de morts en France depuis 10 ans à cause de l’islamophobie et combien à cause de l’islamisme ? ». Elle constate aussi la recrudescence des fameuses tenues abayas, importées du golfe d’Arabie Saoudite et du Qatar, qui n’existaient pas il y a 20 ans. Ce courant intégriste est « démultiplié avec les réseaux sociaux, où la connaissance est mise à égalité avec l’ignorance » selon elle. A quelques jours de l’anniversaire de l’assassinat de Samuel Paty, Carine Azzopardi rappelle que celui-ci aurait été sanctionné par sa hiérarchie pour avoir montré ces caricatures « s’il n’avait pas fini tragiquement ». « C’est quelque chose d’absolument incroyable », regrette-elle. « C’est très émouvant de penser qu’il a dû se sentir tellement seul et pas pris au sérieux », contraint à ramener un marteau dans son sac pour pour se défendre lors de son dernier jour en cours. « Il a été tué pour avoir fait son travail », conclut-elle.
Clément Kasser