BUNIATISHVILI Khatia

(1987- ) Pianiste

Khatia Buniatishvili fascine autant qu’elle agace. Elle est un phénomène du piano, et ses tenues souvent sexy ne doivent pas faire oublier le plus important : son talent. Elle allie technique et sensibilité, avec une maestria dominée par ses deux mots d’ordre : liberté et sincérité. Ses concerts affichent complets, avec un public dont la moyenne d’âge est nettement inférieure à celui de la plupart de ses collègues. Qu’une pianiste de haut niveau donne du glamour à la musique classique, on ne peut qu’approuver lorsque c’est au service de l’art.

Khatia Buniatishvili en 8 dates :

  • 1987 : Naissance à Batumi (Géorgie)
  • 1993 : Premier concert avec orchestre
  • 2002 : Débuts au festival de Montreux
  • 2003 : Prix spécial du Concours Horowitz
  • 2006 : Part à Vienne étudier avec Oleg Maisenberg
  • 2008 : 3ème Prix au Concours Rubinstein à Tel-Aviv
  • 2011 : « Etoile montante » du Musikverein de Vienne.
    Sortie de son premier album (Sony), consacré à Liszt.
    S’installe à Paris.
  • 2017 : obtient la nationalité française

 

Une pianiste précoce, née sous le signe de la musique

Khatia Buniatishvili est née le 21 juin, jour de la fête de la musique. Une coïncidence qui sonne comme une destinée. « Je n’ai pas choisi le piano : il était là à ma naissance, comme les membres de ma famille », dit-elle à la presse française. Sa mère joue en amateur, et c’est elle qui donne ses premiers cours à sa fille âgée d’à peine 3 ans. La famille déménage bientôt à Tbilissi, où Khatia est inscrite au Conservatoire. « Les années 1990 étaient une période chaotique en Géorgie. La situation financière était très difficile. Et il y avait beaucoup de criminalité. Pour nous protéger, mes parents [avaient recours à] l’art : la littérature et la musique. J’y trouvais mon monde. C’était une façon de survivre aux difficultés de la réalité ». Les langues étrangères étaient aussi encouragées à la maison. Si bien qu’aujourd’hui Khatia parle 5 langues : géorgien, français, anglais, allemand et russe.

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Elle quitte la Géorgie pour Vienne, et poursuit son rêve de liberté

Son premier concert, elle le donne à six ans avec un orchestre de chambre. A 19 ans, elle obtient une bourse et part s’installer à Vienne pour se perfectionner avec Oleg Maisenberg. Dans la capitale autrichienne, elle a appris à vaincre sa réserve de jeune fille timide. Très respectueuse des professeurs, elle se plie à leurs conseils en cours… mais s’en libère totalement une fois sur scène. Sa personnalité prend le dessus. Elle tient à cette liberté, qui est synonyme pour elle d’authenticité. Elle révèle d’ailleurs n’avoir jamais été une bête à concours. « J’en ai passés quelques uns, et puis j’ai décidé d’arrêter, même si les professeurs disaient que les concours aidaient pour démarrer une carrière ». Elle remporte tout de même un Prix spécial au Concours Horowitz de Kiev à 16 ans, le 2ème Prix à celui de Tbilissi à 18 ans, et le 3ème Prix au Concours Rubinstein de Tel-Aviv trois ans après.

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La musique classique et sa carrière sont une affaire de famille

Dire que Khatia Buniatishvili est très proche des membres de sa famille est un euphémisme. Sa soeur Gvantsa, d’un an son aînée, est son manager. Elle est également pianiste, et les deux sœurs se produisent parfois ensemble à 4 mains. « Elle sait tout de moi, elle me connaît par cœur. » Leur mère, très impliquée dans la carrière de ses filles, fait office de styliste. La pianiste estime qu’elle lui rend ainsi un grand service. Car sa mère connaît les goûts de la star, qui n’a pas le temps de s’occuper de son placard… et qui en plus déteste le shopping ! Comme le père de Mozart, la mère a-t-elle poussé sa fille sur le devant de la scène, consciente d’avoir donné naissance à un enfant prodige ? « Ma mère ne m’a jamais forcée à rien. Elle m’a enseigné la beauté de la discipline et du travail. Et elle s’est toujours préoccupée de mon bonheur ». Nous voilà rassurés. La pianiste lui a dédié un album en 2014, « Motherland » (Sony), et semble puiser une partie de sa force et de son équilibre dans cette proximité familiale. Là où d’autres étoufferaient, Khatia Buniatishvili se réjouit au contraire de cette situation. « Nous formons une bonne team », sourit-elle.

 

Schubert, Chopin ou Rachmaninov : ses disques abordent souvent des personnalités romantiques

Elle a enregistré Bach, Chopin et Liszt, Rachmaninov et Schubert. Du compositeur russe, elle reconnaît qu’il nécessite une « force physique pour surmonter les difficultés techniques », mais qu’il ne faut pas le réduire à la virtuosité ou au côté mélodique. Schubert, lui, renvoie pour elle à « l’art de la patience ». Elle trouve dans sa musique une féminité « liée à la capacité de supporter la douleur », et qui révèle « une certaine vulnérabilité » : l’amour. « Quand on aime on est très vulnérable. Mais avec cette vulnérabilité on devient fort pour agir. […] Ce qui me dérange, c’est qu’il faut une apparence masculine pour être convaincante en tant que femme forte. […] Il faut lutter contre les clichés. »

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Khatia Buniatishvili ne fait pas l’unanimité. La critique lui a souvent reproché sa grande liberté d’interprétation, notamment dans les œuvres de Schubert. Mais d’autres sont conquis par sa sensibilité. Comment résister à sa Fugue de Bach en la mineur BWV 543 ? Sur ce premier album, paru en 2011 chez Sony, figurait aussi la Sonate en si mineur de Liszt. Ce disque révélait l’une de ses grandes qualités pianistiques : son legato. La beauté de sa sonorité, aussi. Dans chaque oeuvre, Khatia Buniatishvili suit les élans de sa personnalité, sans chercher à être consensuelle. Une attitude qu’apprécient certains musiciens, comme le chef d’orchestre Paavo Järvi, les frères Renaud et Gautier Capuçon, ou encore Gidon Kremer, qui ont régulièrement joué avec elle.

 

Elle donne une image différente du classique, plus glamour, moins figé

L’artistique n’est pas le seul domaine où Khatia Buniatishvili fait polémique. Comme Yuja Wang, elle ose des robes très près du corps, des dos nus profonds, et joue en talon aiguille. Dans la presse et à la télévision, la pianiste rappelle néanmoins : « Dans beaucoup de pays, les femmes ne peuvent pas s’habiller comme elles veulent. C’est toujours mieux d’avoir plus de liberté que moins de liberté, non ? »

« Schubert est une philosophie de vie », Khatia Buniatishvili dans l’émission C à vous en 2019

 

Khatia Buniatishvili ose des échappées hors classique, comme l’album « A head full of dreams » de Coldplay où elle tient le piano dans la chanson « Kaleidoscope ». En cela, elle est bien de sa génération. Beaucoup de musiciens aiment ouvrir de temps en temps les barrières entre les genres (Rappelons à titre d’exemple l’album « Fiction » du Quatuor Ebène.) Elle est médiatique, accepte de poser pour Paris Match, et court les plateaux de télévision. Tempérament bien trempé, elle sait tenir tête aux journalistes et les remettre à leur place à l’occasion, sans jamais perdre son calme. Elle est une « Rockstar du classique » pour le journaliste Pierre Lescure… qui remarque aussi le silence à la fin de ses récitals, avant les applaudissements : la pianiste subjugue ses auditeurs. Quel est le secret de cet engouement ? « Ce que les jeunes apprécient dans mes concerts, comme dans des concerts de rock, c’est que je donne tout sur scène. Il n’y a pas de limites à la performance, comme s’il n’y avait pas de lendemain. »

 

Elle habite à Paris et est fière de sa nouvelle nationalité française

Être concertiste internationale implique une vie à 200 à l’heure. Quelques sacrifices, aussi. Celle qui reconnaît avoir assuré ses doigts (« les pouces valent les plus chers »), avoue ainsi avoir renoncé à certaines activités sportives par crainte de se blesser : le ski, le vélo, ou l’équitation qu’elle rêverait pourtant d’apprendre. Elle donne une centaine de concerts par an aux quatre coins de la planète. Mais c’est à Paris qu’elle a choisi de se fixer. Depuis 2017, Khatia Buniatishvili est française. « J’aime la France, les gens, la langue, la culture et le sens de la liberté. Ici, on peut aller loin dans le débat. En Russie et en Géorgie, les gens ont plus de mal à trouver leur place. Je suis reconnaissante envers la France qui m’a accueillie ». En revanche, elle refuse de jouer en Russie « en geste de protestation politique ». Libre, toujours.

 

Sixtine de Gournay

 

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