Ernest Ansermet, fondateur de l’Orchestre de la Suisse Romande, restera près de cinquante ans à la tête de cet orchestre, un record équivalent à celui de Mravinsky à l’orchestre de Leningrad. Sa vocation musicale ne fut pas immédiate, étant d’abord professeur de mathématiques, une discipline qui lui servira pour établir sa conception de la musique. Proche de Stravinsky, il défend les compositeurs de son siècle, mais s’oppose à Schönberg, dénonçant ce qu’il appelle une « fausse musique ». Ses enregistrements comprennent beaucoup de pépites et de disques de légende, comme Les Nuits d’été de Berlioz avec Régine Crespin.
Ernest Ansermet en 10 dates :
- 1883 : Naissance à Vevey (Suisse)
- 1910 : Étudie la direction d’orchestre à Berlin
- 1911 : Premier concert à Lausanne
- 1915 : Directeur musical des Ballets russes
- 1918 : Orchestre de la Suisse romande
- 1928 : Orchestre symphonique de Paris
- 1947 : Début des enregistrements Decca
- 1963 : Les Nuits d’été, avec Régine Crespin
- 1968 : Dernier concert
- 1969 : Mort à Genève
Comme Borodine, Ansermet s’oriente d’abord dans une voie scientifique avant de se consacrer à la musique.
Son père est géomètre, sa mère musicienne. Il commence le piano mais devient professeur de mathématiques à Lausanne. En parallèle, il étudie néanmoins la musique auprès d’Alexandre Denéréaz et Ernest Bloch. Il s’initie à la direction d’orchestre en Allemagne auprès d’Arthur Nikish, le mentor de Furtwängler, et donne son premier concert à Lausanne. Il dirige ensuite l’orchestre de Montreux pendant deux ans.
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Diaghilev l’engage pour une tournée des Ballets russes aux Etats-Unis.
En 1915 Diaghilev doit trouver un remplaçant à Pierre Monteux, mobilisé. Stravinsky lui recommande Ansermet. Il rejoint donc les Ballets russes pour une grande tournée de plus de cent spectacles aux Etats-Unis et en Argentine. De retour en 1917, il dirige au Châtelet le ballet très iconoclaste de Cocteau et Satie, Parade, toujours pour les Ballets russes. L’œuvre scandalise une partie du public mais reçoit le soutien des partisans d’une nouvelle musique. La collaboration avec Diaghilev durera jusqu’en 1923.
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L’Orchestre de la Suisse Romande voit le jour en 1918 à l’initiative d’Ansermet.
La Suisse germanophone disposait depuis longtemps d’orchestres symphoniques, notamment à Bâle et à Zurich. Côté francophone, il n’y avait pas d’équivalent, et Ansermet réussit à créer l’Orchestre de la Suisse Romande (OSR), basé à Genève, qui deviendra l’un des grands orchestres européens. Son amitié avec Stravinsky lui permet plusieurs créations, l’Histoire du soldat en septembre 1918 à Lausanne, le ballet Pulcinella en 1920 à Paris et Les Noces en 1923. Œuvre majeure du compositeur russe, cette partition donne au chant un accompagnement de percussions et de plusieurs pianos, sur un rythme époustouflant dont Ansermet s’est fait une spécialité. L’œuvre remporte un grand succès. Cette même année 1923, Arthur Honneger, compositeur suisse vivant en France, lui dédicace un mouvement symphonique imitant la locomotive à vapeur, Pacific 231.
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En 1924 il retourne en Argentine pour aider à l’installation d’un orchestre symphonique et rencontre Victoria Ocampo, une intellectuelle très brillante, qui deviendra une amie avec laquelle il échangera une correspondance jusqu’à la fin de sa vie (publiée en 2005, Buchet Chastel). Pendant dix ans, il retourne chaque été en Argentine.
Ansermet soutient Cortot pour la création d’un nouvel orchestre à Paris, tout en continuant à diriger et enregistrer à Genève. .
La Princesse de Polignac et Coco Chanel soutiennent en 1928 la création d’un nouvel orchestre sous l’égide d’Alfred Cortot, qui voulait offrir aux jeunes sortant du conservatoire une situation stable. Ansermet en devient un des chefs principaux et programme dès la première année Honneger et Stravinsky. La devise de l’orchestre est : « On peut vivre sans musique, mais pas si bien ».
Pendant la guerre, Ansermet reste à Genève et donne beaucoup de concerts avec l’OSR, souvent diffusés sur Radio Genève. A partir de 1947, il enregistre toute une série de concerts dans le Victoria Hall. La firme Decca lui établit un contrat à long terme pour enregistrer l’essentiel de son répertoire, notamment ses compositeurs favoris, Stravinsky, Debussy, Ravel, mais aussi les grands classiques, Haydn, Beethoven, Brahms. La collection est impressionnante, représentant 130 CD (réédités en 2019). L’un de ses disques de légende est le cycle des Nuits d’été de Berlioz et Shéhérazade de Ravel, avec Régine Crespin, enregistrés au Victoria Hall en septembre 1963.
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Son ouvrage théorique « Les fondements de la musique dans la conscience humaine » est une attaque résolue contre la musique atonale.
En 1961, Ansermet publie un ouvrage philosophique dont il a commencé l’écriture depuis longtemps, visant à transposer à la musique la phénoménologie de Husserl. Cela le conduit à mettre l’accent sur l’expérience vécue et consciente de l’écoute de la musique, et à montrer l’importance des intervalles et des tonalités. Il réfute l’atonalité comme ignorant cette loi fondamentale de la musique, qui est de structurer les intervalles entre eux, et non de traiter les sons isolément les uns des autres. Il conteste donc aux compositeurs comme Schönberg et Stockhausen leur appartenance au monde de la musique tel qu’il le définit et l’analyse dans une perspective qui se veut universelle. Cette thèse lui vaut naturellement de violentes critiques, en pleine période « sérielle », et contribue à le classer dans les musiciens conservateurs et rétrogrades.
Ernest Ansermet, lors d’une répétition avec l’Orchestre
de la Suisse Romande (1963)
Malade, il passe le témoin à Paul Kletski, et dirige son dernier concert (Bartok, Debussy, Honneger) deux mois avant son décès. Il décède à Genève en 1968.
Ansermet a marqué le XXème siècle musical de son empreinte. En restant longtemps à la tête du même orchestre, il a contribué à démontrer la corrélation entre qualité de l’orchestre et longévité du chef.
Philippe Hussenot