Claudio Abbado aura eu à la fois les postes les plus prestigieux du monde musical et la faculté de se renouveler et d’inventer de nouvelles institutions musicales. Il demeure l’un des musiciens les plus aimés et admirés de son époque.
Claudio Abbado en 10 dates :
- 1933 : naissance à Milan
- 1955 : études à Vienne
- 1971 : directeur de la Scala de Milan
- 1979 : directeur du London Symphony Orchestra
- 1983 : fonde l’Orchestre de chambre d’Europe
- 1986 : directeur de l’Opéra de Vienne
- 1989 : élu à la tête de l’Orchestre philharmonique de Berlin
- 1998 : démissionne de Berlin
- 2003 : crée l’Orchestre du Festival de Lucerne
- 2014 : mort à Bologne
C’est en écoutant Debussy qu’Abbado a voulu diriger. Il mettra longtemps à oser diriger La Mer. Il le fera en 2004 à Lucerne.
Né le 26 juin 1933 à Milan, Claudio Abbado est issu d’une famille d’intellectuels et d’artistes. Professeur d’histoire antique à l’Université, son grand-père était polyglotte et immensément cultivé. Fils d’une pianiste qui écrivait des livres pour enfants et d’un violoniste, professeur au Conservatoire, il a grandi au milieu de quatre enfants.
À sept ans, il a entendu Nocturnes de Debussy lors d’un concert à la Scala. Une révélation. Au moment du 2ème mouvement, « Fêtes », il s’est juré de pouvoir un jour recréer ces sonorités magiques. À l’avènement de Mussolini, les Abbado sont foncièrement antifascistes. Pendant la guerre, sa mère est torturée et emprisonnée pour avoir voulu aider une famille juive. Il écrit sur les murs « Viva Béla Bartók » (qui a fui le nazisme) en signe de révolte. À l’adolescence, Claudio nourrit des sympathies communistes sans adhérer au parti.
Si Toscanini est son héros, il assiste à un concert de Wilhelm Furtwängler à la Scala de Milan en 1950 et déclare : « C’est le plus grand de tous. »
Après des études de piano, de direction et de composition au Conservatoire de Milan, Abbado poursuit sa formation à Vienne. Il prend quelques cours avec Friedrich Gulda et rencontre Martha Argerich avec laquelle il noue une amitié fidèle. Il entre dans la célèbre classe de direction de Hans Swarowsky la même année que Zubin Mehta et devient choriste pour étudier les gestes des grands chefs de l’époque (Walter, Karajan, Schuricht, Scherchen). Il se marie une première fois en 1956 avec une chanteuse qui lui donnera deux enfants. En 1958, il remporte le Concours Koussevitzky à Boston et se montre très impressionné par les concerts de Pierre Monteux et Charles Munch à Boston. En 1960, il effectue ses débuts à la Scala. Comme sa carrière ne décolle pas, il passe le Concours Mitropoulos et devient l’assistant de Bernstein à New York en 1963 et noue des contacts fructueux avec George Szell à Cleveland.
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En l’entendant en concert, Herbert von Karajan l’engage aussitôt pour diriger une messe de Cherubini à Salzbourg.
En 1965, Claudio Abbado est réinvité à diriger l’Orchestre philharmonique de Vienne. Il choisit la Symphonie n° 2 de Mahler et triomphe des réticences des musiciens. Ses premiers disques sortent à cette époque. Il divorce et se remarie avec une costumière. En 1968, il est nommé chef principal à la Scala de Milan. Son perfectionnisme et sa passion du chant le font apprécier du public. Il devient directeur musical en 1971. Commence alors une extraordinaire série de productions verdiennes avec les meilleurs chanteurs de l’époque (Freni, Berganza, Domingo, Capucilli, Ghiaurov) et les plus grands metteurs en scène (Strehler, Ponnelle). Il n’en oublie pas son engagement politique et se rend avec son ami Maurizio Pollini dans les prisons et les usines. Il ouvre les portes de la Scala à un public plus jeune et défend ardemment la musique de son temps (Nono, Berio…)
Passionné par la transmission auprès des jeunes, il crée en 1978 l’Orchestre des jeunes de la communauté européenne, puis l’Orchestre des jeunes Gustav-Mahler.
En 1979, Claudio Abbado devient directeur musical du London Symphony Orchestra (LSO). Sa Carmen avec Berganza et Domingo est l’un des musts de ces années fastes. Alors qu’il est chef invité à Chicago, il quitte la Scala en 1986 et prend la direction de l’Opéra de Vienne. Toujours militant de musique de son temps, il crée le Festival Wien Modern. Son enthousiasme se heurte au conservatisme des Viennois et il démissionne. En 1989, alors que Lorin Maazel apparaît le favori, il est élu à la surprise générale par les musiciens de l’Orchestre philharmonique de Berlin après la mort de Karajan en 1989. Il élargit le répertoire et rajeunit les cadres.
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Sous son règne, la sonorité de l’Orchestre philharmonique de Berlin devient plus claire et le fonctionnement plus démocratique.
En 1994, Claudio Abbado prend la direction du Festival de Pâques de Salzbourg. En 1997, il crée l’Orchestre des Jeunes Gustav-Mahler. Quand on lui demande pourquoi il aime tant les orchestres de jeunes, il répond : « Au moins, ils ne me disent pas : avec Untel on a joué comme ça. » Sa relation avec l’Orchestre philharmonique de Berlin devient plus difficile. De manière aussi inattendue qu’à son arrivée, il démissionne en 1998. On ne tardera pas à apprendre qu’il souffre d’un cancer de l’estomac. Ses concerts de cette époque avec Berlin sont bouleversants. Amaigri, exsangue, il dirige un orchestre prêt à tout donner. En 2000, on le voit diriger le Requiem de Verdi à la télévision. Un grand moment.
« La musique m’a sauvé la vie », déclare Claudio Abbado qui se remet miraculeusement de son cancer.
En 2003, il ressuscite l’Orchestre du Festival de Lucerne qu’avait fondé Toscanini. Il choisit un à un chaque membre de l’orchestre. De nouveau, l’art d’Abbado atteint des sommets. Les symphonies de Mahler ou La Mer de Debussy de cette époque sont parmi les sommets de la musique enregistrée. Après la Symphonie n° 9 de Mahler, il obtient une minute et demie de silence total durant lequel chacun retient ses larmes.
Adagietto de la Symphonie n°5 de Mahler (Claudio Abbado dirige l’Orchestre du Festival de Lucerne)
Retiré à Bologne, il crée un nouvel ensemble, sur instruments d’époque cette fois, car il admire le travail d’un Nikolaus Harnoncourt. C’est l’Orchestre Mozart de Bologne.
En 2013, il est nommé sénateur à vie. Il s’éteint tout doucement à Bologne le 20 janvier 2014. L’hommage est unanime et l’émotion immense dans le monde musical. À la Scala de Milan, son ami Daniel Barenboïm dirige la marche funèbre de l’Eroïca de Beethoven, symphonie « en souvenir d’un héros ». Un excellent choix, car Claudio Abbado était un vrai « héros » de notre temps.
Olivier Bellamy