Darius Rochebin, journaliste à LCI et auteur d’un livre sur Mikhaïl Gorbatchev, était l’invité de la matinale sur Radio Classique. Il analyse et compare la mentalité du dernier dirigeant soviétique avec celle de Vladimir Poutine.
Poutine est fier de la « Russie ultraviolente stalinienne », contrairement à Gorbatchev
Mikhail Gorbatchev, dernier dirigeant de l’Union Soviétique avant son effondrement, s’est éteint le 30 août 2022. Dans Dernière conversation avec Gorbatchev (Laffont), Darius Rochebin compile 25 ans d’interviews et de rencontres avec le père de la perestroïka, en y intégrant en parallèle une réflexion sur Vladimir Poutine, par exemple sur son histoire familiale. Le père du président russe était un « saboteur » du NKVD, la police secrète soviétique : « des soldats certes courageux mais aussi des massacreurs, qui tuaient les soldats soviétiques qui reculaient sur le front », explique-t-il. Contrairement à Gorbatchev, Poutine est « fier » de cette « Russie ultraviolente stalinienne » selon lui, et il revendique ce passé avec « une forme de décomplexion totale ».
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Leur relation à la France et à la Révolution Française est aussi aux antipodes. Gorbatchev, « capable de citer du Rimbaud », était francophile et « fasciné » par 1789. C’est tout l’inverse de Poutine, pour qui cette fascination relève d’un « romantisme petit bourgeois » et qui ne mérite que le « mépris qu’on a pour les faibles ». Darius Rochebin affirme que le chef du Kremlin a une mentalité « tchékiste », du nom de la police de Lénine créée en 1917. Il décrit un entretien qu’il a eu avec lui : « vous avez l’impression d’être dans un interrogatoire avec un policier de police secrète qui vous regarde avec un air très ironique, l’air de dire, “je connais déjà ta question” ». Tout comme son chef du renseignement Sergueï Narychkine, Poutine revendique ce « culte de la violence » et ce côté « presque paranoïaque, déterministe » vis-à-vis des interlocuteurs.
Les oligarques russes sont des « tchékistes avec des Rolex », dénonce le journaliste
C’est ce qui explique leur faiblesse vis-à-vis de l’Occident d’après le journaliste. Par ailleurs, les Russes n’ont pas eu « le génie chinois« pour fusionner le parti Communiste et le capitalisme. « Le monde russe est resté très inconscient des mécanismes de l’économie de marché », à commencer par l’exploitation du pétrole, qui « n’a jamais ruisselé » dans l’économie, avance Darius Rochebin. Obnubilé par l’argent, les oligarques russes proches du pouvoir sont des « tchékistes avec des Rolex » poursuit-il. A commencer par Evgueni Prigojine, l’homme d’affaire à l’origine de la milice Wagner. « Dans leur monde n’est respectable que ce qui est dur », poursuit-il.
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Interrogé sur la possible négociation d’un armistice, l’invité rétorque qu’« on peut très bien se faire la guerre en se parlant ». D’après lui, chez les Russes et aussi dans certains cercles américains, on estime que « seule la guerre créera un nouvel ordre international », notamment pour régler la compétition entre la Chine et les États-Unis. Darius Rochebin revient aussi sur sa dernière entrevue avec Gorbatchev, très affaibli et isolé par le Covid, quelques mois avant sa mort. « Il avait une très grande amertume vis-à-vis des pays occidentaux », se souvient-il. Le journaliste explique que « Gorbatchev et Poutine n’ont pas compris l’Occident mais pour des raisons opposées ». L’ancien dirigeant soviétique, « très vaniteux », a cru que l’Occident lui serait redevable à vie pour avoir changé l’URSS : il attendait une « perfusion d’argent » pour son pays en 1991 mais il a assisté à l’éloignement des anciennes républiques soviétiques et leur rapprochement, « à raison » selon le journaliste, avec l’OTAN.
Clément Kasser