Les Valses de Chopin sont parmi ses œuvres les plus populaires. Attention, contrairement aux valses de Strauss, elles ne sont pas faites pour danser. Musique de salon, certes, mais poétique, avec d’indéniables chefs-d’œuvre. Les enregistrements de Dinu Lipatti, d’Alfred Cortot, de Samson François ou de Jean-Marc Luisada continuent d’honorer les meilleures discothèques.
C’est Chopin qui le premier arrache la valse à sa fonction « éroti-chorégraphique » pour la placer au cœur du sentiment
Avec son rythme à trois temps, son parfum viennois et son tournoiement irrésistible, la valse a inspiré de nombreux compositeurs. Beethoven et Schubert sont parmi les premiers à lui donner ses lettres de noblesse. Chopin va en élever encore le raffinement esthétique en trouvant des harmonies hardies, des rythmes complexes et des mélodies inoubliables.
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On en dénombre deux sortes : les valses brillantes (qui évoquent le bal) et les valses lyriques (qui traduisent un sentiment amoureux). Les quatre « grandes valses brillantes » de Chopin (op. 18 et op. 34 n° 1 à 3) commencent par une introduction, sont volontiers virtuoses et se terminent dans un tourbillon endiablé. C’est une évocation des couples de danseurs, mais non une « invitation à pousser les chaises » que Chopin aurait désapprouvée. Les valses lyriques hésitent entre rigueur et fantaisie. Elles sont pleines de charme, de sourires enjôleurs, de pointes d’humour, et soudain de confidences, de baisers volés et de larmes vite réprimées. Le climat est généralement brillant et léger, mais peut s’ouvrir à un accès de mélancolie… qui passe comme un orage d’été. Elles sont surtout empreintes de grâce et de poésie.
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Chopin a écrit des valses toute sa vie, mais il ne les plaçait pas toutes au même niveau
On a longtemps cru que Chopin avait composé 14 valses (le nombre du disque de Lipatti). Puis on en a découvert d’autres. On est arrivé à 17 puis 19 au fil des découvertes. Il se pourrait que certaines des valses de Chopin soient toujours cachées quelque part, mais pas de faux espoirs : les musicologues ne croient pas à un chef-d’œuvre caché.
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La première a été écrite en 1829 en Pologne. C’est la Valse op. 70 n° 3. Il s’agit d’un opus posthume, d’une œuvre de jeunesse. Chopin a publié 8 valses seulement de son vivant, preuve qu’il ne les croyait pas toutes dignes d’êtres immortelles. Les autres, il les donnait à des proches. Cela ne veut pas dire qu’il ne les aimait pas. Ainsi il offrait facilement sa Valse en la bémol majeur op. 70 n° 2 à des amis de cœur, mais l’estimait moins réussie que d’autres. La première valse publiée le fut en 1834 sous l’opus 18. C’est une grande valse brillante dans l’esprit de Car Maria von Weber. Puis ont suivi les Trois Valses op. 34 dont la deuxième, dans le ton mélancolique de la mineur, était la préférée du maître (selon Lenz) parmi toutes. Elle fait parfois penser à une mazurka. Sa partie centrale est très noble. Puis vinrent l’opus 42 et les Trois Valses op. 64. qui font partie des dernières œuvres du compositeur.
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Les musicologues amoureux de Chopin ont un côté Indiana Jones à la recherche de l’arche perdue
Plusieurs valses de Chopin ont été découvertes au XXe siècle. L’album d’Emilie Elsner (la fille du professeur de Chopin) contient deux valses qui sembleraient être de la main du Polonais sans qu’on en soit certain. La Valse en la bémol B. 21 (1827) serait en fait la toute première valse de Chopin. La Valse en la mineur B. 150 a été publiée en 1955. Depuis que Alexandre Tharaud l’a placée en tête de son album, c’est l’une des plus prisées des amateurs. Ce n’est évidemment pas un diamant, mais un petit bijou au coût modique pour lequel on a une tendresse.
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En 1967, Byron Janis a découvert deux valses chez son ami Paul de La Panouse, au château de Thoiry. En fouillant dans une malle, le pianiste américain a reconnu l’écriture de Chopin. Les deux manuscrits ont été authentifiés par la suite. Il s’agit d’autographes offerts par le compositeur à l’une de ses élèves Clémence de Marquet qui devint comtesse de La Panouse. Les deux œuvres étaient connues, mais la seconde (l’opus 70 n° 2) avait été recopiée de mémoire après la mort de Chopin. Le nouveau document a permis d’identifier 27 erreurs de textes qui ont été corrigées. Si le premier manuscrit a été offert à l’Institut Chopin de Varsovie, le second reste la fierté du château de Thoiry qui l’expose aux visiteurs.
Si les Mazurkas sont le cœur poétique de l’œuvre de Chopin et les Nocturnes des airs de bel canto, les Valses trahissent son absolu sens aristocratique
Au sommet des 19 Valses de Chopin figure probablement la Valse en la bémol majeur op. 42. Elle est à placer au côté des plus belles mazurkas, des plus beaux nocturnes par son raffinement. Au cœur de l’œuvre, une bouleversante confession à la basse qui est l’un des plus beaux thèmes de toute l’œuvre de Chopin.
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La Valse op. 34 n° 2 est connue comme la préférée du maître. Tout est génial dans ce trésor. Le début mystérieux, la franchise du premier thème, les caprices de son deuxième thème, l’arrivée inoubliable du troisième thème, l’incroyable modulation en mineur de sa deuxième partie et la coda qui devient une improvisation. De nombreux amateurs ont élu la Valse en ut dièse mineur op. 64 n° 2 comme leur favorite. Chopin leur donnerait bien raison, car il n’était jamais satisfait de la manière dont on lui jouait la double croche au parfum zal au début du thème. La partie lente est un petit miracle.
La « Valse de l’adieu » a donné son titre à un film avec Marie Bell et Pierre Blanchar qui fit de la musique un tube toutes catégories
Parmi les plus connues des valses de Chopin, il faut citer la « Valse du petit chien » qui doit son titre, selon la légende, à son tournoiement inspiré par le chien de George Sand qui se mordait la queue. On l’appelle aussi « Valse minute » à cause de sa brièveté. La Valse en la bémol majeur a été jouée par tous les amateurs de la terre et souvent massacrée, il faut bien le dire. On l’a baptisée « Valse de l’Adieu » parce que Chopin l’aurait (soi-disant) écrite au moment de quitter Dresde où vivait son grand amour, Marie Wodzinska. Chopin a bien copié cette œuvre pour la jeune fille, mais elle avait été composée plus tôt. Malgré ce démenti indubitable, les professeurs continuent à raconter cette histoire à leurs élèves. « Si la légende est plus belle que la vérité, imprime la légende », dit John Ford dans L’homme qui tua Liberty Valance.
« Valse de l’adieu » (Arthur Rubinstein)
Olivier Bellamy