Le clavecin, c’est quoi ?

Le clavecin, c’est quoi pour vous ? Un instrument de musique indispensable dans un opéra baroque, une sonorité étrange à apprivoiser, ou simplement un bel accessoire dans un film sur Marie-Antoinette ? A la fois cousin du piano, de la guitare et de l’orgue, le clavecin a traversé le temps. Il est toujours là au bout de cinq siècles, renaissant de ses cendres quand on l’avait cru disparu. Répondez « vrai » ou « faux » aux assertions suivantes pour tester vos connaissances sur le clavecin.

Comme la guitare et la harpe, le clavecin est un instrument à cordes pincées.

Vrai, mais pincées cependant par un moyen différent. Le harpiste pince les cordes avec ses doigts, comme le guitariste classique. En revanche, sur une guitare rock ou folk, le musicien utilise en général un plectre, appelé mediator. Les cordes du clavecin sont elles aussi pincées par un plectre. Sauf que le claveciniste ne le tient pas à la main. Le plectre est fixé sur un morceau de bois, le sautereau, posé à l’extrémité de chaque touche du clavier, dans le clavecin. Quand le musicien appuie sur la touche, celle-ci soulève le sautereau qui entraîne lui-même le plectre, faisant résonner la corde. Les sautereaux ne sont pas collés sur les touches. On pose donc par-dessus une barre de bois afin qu’ils restent bien en place. Mais si l’un des plectres est abîmé, vous ne pourrez pas le remplacer par un mediator de guitare ! Les plectres de clavecin (les becs) ont une forme et une taille spécialement adaptées. Si aujourd’hui ils sont le plus souvent en plastique, on les taillait autrefois dans des plumes d’oiseau. Une technique toujours employée pour restaurer des clavecins d’époque, et qui demande un savoir-faire particulier.

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Le fabricant de clavecin s’appelle un luthier, chez qui on peut acheter aussi bien un violon qu’un saxophone.

Faux. Chez le luthier, on pourra acheter ou faire réparer un violon, un violoncelle, ou un autre instrument à cordes frottées, mais pas de clavecin. Pour acquérir celui-ci, il faudra aller chez un facteur de clavecin… qui en général ne s’occupe pas de piano car le mécanisme est différent. Quant au saxophone, au hautbois etc., il faudra s’adresser à un facteur d’instruments à vent. Chacun sa spécialité !

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Le répertoire du clavecin ne comporte que des œuvres baroques.

Faux. L’âge d’or du clavecin se situe incontestablement aux XVIIème et XVIIIème siècle, et ce dans toute l’Europe. Le clavecin assure la basse continue des sonates en trio et des concertos, se rend indispensable pour accompagner les récitatifs dans les opéras, quand il ne se suffit pas à lui-même pour des pièces de forme et de longueur variées. En France, François Couperin apprécie la précision et le brillant de sa sonorité, ainsi que son étendue. L’Italien Domenico Scarlatti écrit pour lui plus de 500 sonates à la cour d’Espagne. En territoire germanique, Bach lui compose Le Clavier bien tempéré, les Variations Goldberg, des Inventions, des Suites, etc. Lorsque le père de Mozart exhibe son enfant prodige dans toutes les cours d’Europe, c’est encore au clavecin que le petit garçon fascine le public. Et c’est bien-sûr pour ce clavier qu’il écrit ses premières sonates.

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Cependant le clavecin existait dès le XVIème siècle. Le virginal (cf en bas d’article la différence entre le clavecin et le virginal) se voit ainsi à l’honneur chez les compositeurs anglais comme Byrd, Gibbons ou Farnaby, qu’on appelle aujourd’hui… les virginalistes. Le clavecin est également très présent chez les Flamands, qui en construisent beaucoup. On le retrouve par exemple dans les œuvres de Sweelinck.

En revanche, le clavecin disparaît au XIXème. Assimilé à l’ancien régime, il est délaissé en France après la Révolution, d’autant qu’apparaît alors le piano qui séduit par son timbre la nouvelle génération des Romantiques. Celui-ci est bientôt adopté par l’Europe entière à mesure que se développent les salles de concert et que s’étoffe l’orchestre symphonique. Les concertos réclament désormais une puissance sonore dont le clavecin est incapable. Il tombe peu à peu dans l’oubli… d’où il ressort au XXème siècle grâce à la curiosité d’interprètes comme Wanda Landowska. Le mouvement des baroqueux le pousse sous les projecteurs et aujourd’hui le clavecin fait partie des disciplines enseignées dans les conservatoires. Du côté des compositeurs, on se tourne vers lui… pour changer du piano ! Poulenc, Falla, puis Ligeti, Ohanna et Xenakis se penchent sur ses possibilités. Et cet intérêt se poursuit au XXIème siècle. On peut ainsi citer la pièce Herbier 7  d’Alain Louvier (1945- ) écrite en 2019 après son Livre pour virginal (1990-94) et son Clavecin non tempéré (1973-77 et 2019-20). L’instrument a encore de beaux jours devant lui !

Hungarian Rock de Ligeti (Anthony Romaniuk)

 

Autrefois, le clavecin servait autant de meuble que d’instrument de musique.

Vrai. Même s’il était présent à l’opéra pour assurer la basse (continue) avec la viole de gambe, le clavecin était très utilisé chez les particuliers pour des œuvres en petit effectif (sonate, trio…) ou pour jouer des pièces seules. L’instrument restant à demeure, souvent dans le salon, on souhaitait qu’il soit aussi beau à voir qu’à entendre. Comme les meubles ou les vêtements, il devenait le reflet des goûts de son propriétaire… et de ses moyens financiers. D’où la riche décoration qui orne souvent le couvercle et les éclisses (les flancs) des clavecins, le piètement (les pieds du clavecin, sur lesquels repose la caisse de l’instrument, sans être collée : on peut ainsi le déplacer plus facilement), voire la table d’harmonie (le panneau de fond, sous les cordes, qui sert à renvoyer le son pour augmenter sa projection). Peinture de paysage ou de motif en frise, placage de bois précieux, d’os et de nacre, sculpture en bois… les techniques varient d’un instrument à l’autre, et les styles évoluent en fonction des époques. Décorer un clavecin présente en outre une nécessité, plus pratique qu’esthétique cette fois : le peindre et le vernir va durcir le bois et le rendre ainsi plus résistant à l’humidité, aux insectes, et à d’éventuels chocs lors des transports.

 

La même forme qu’un piano et deux claviers : tous les clavecins se ressemblent.

Faux. Déjà, de quoi parle-t-on ? Le clavecin désigne un instrument particulier… mais aussi une famille regroupant à ses côtés l’épinette et le virginal. Selon l’instrument, les cordes sont disposées différemment. Celles de l’épinette sont agencées en angle, plus ou moins marqué selon que la facture est italienne ou française. On obtient un instrument pentagonal, plus ou moins triangulaire. Les cordes du virginal sont, elles, parallèles au clavier et donc perpendiculaires aux touches. D’où la forme rectangulaire de l’instrument. Le virginal est joué dès le XVIème siècle et pendant tout le XVIIème. Au XVIIIème, on lui préfère le clavecin qui offre davantage de possibilités. Ses cordes sont disposées dans le prolongement des touches. Elles peuvent donc être plus longues, et couvrir ainsi un ambitus plus étendu. En France, on ajoute souvent un deuxième clavier et des registres. Une évolution inspirée de l’orgue, auquel le clavecin emprunte d’ailleurs son vocabulaire.

Sur ces modèles français du XVIIIème, le clavier supérieur propose une sonorité un peu nasillarde, tandis que le clavier inférieur (le principal) détient un son plus rond car les sautereaux pincent la corde plus loin. Si on pousse un peu le clavier supérieur, les deux sont alors reliés : les touches du clavier principal actionneront non pas 1 mais 2 cordes. C’est ce qu’on appelle l’accouplement. Logiquement, le son sera aussi plus fort. Le jeu de 4 pieds va quant à lui raccourcir la corde, si bien que la note sonnera une octave au-dessus. Couplé avec les deux claviers, il renforce le son : c’est le plein-jeu (encore un terme emprunté à l’orgue !), joué depuis le clavier principal. Enfin, certains dispositifs peuvent venir modifier la couleur du son, comme le jeu de luth qui consiste à amortir la corde grâce à un morceau de feutre ou de cuir, et qui se joue depuis le clavier supérieur. Comme à l’orgue, les jeux sont enclenchés grâce à des manches qu’on peut tirer ou pousser, et qui sont situés au-dessus du clavier. Mais, attention, lorsqu’on enclenche la manette, c’est tout le clavecin qui est affecté ! Cependant tous les clavecins ne sont pas pourvus de toutes ces possibilités. Les clavecins italiens et flamands du XVIIème ne comportent en général qu’un seul clavier.

 

Sixtine de Gournay

 

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