L’oeuvre d’Offenbach est tellement singulière qu’elle a été longtemps sous-estimée voire méprisée au XXème siècle, après ses triomphes sous le Second Empire. Ses opéras-bouffes constituent un genre musical à part, que personne avant lui n’avait réussi à ce point, tant le mélange d’humour et de qualité musicale, de délire et de précision théâtrale, d’airs populaires et d’ensembles orchestraux spectaculaires est habilement ciselé. Alors que les grands compositeurs germaniques et italiens dominent les scènes lyriques, un violoncelliste venu de Prusse régale Paris avec des opéras décalés et drolatiques, à jamais représentatifs d’une certaine civilisation perdue.
Jacques Offenbach en 10 dates :
- 1819 : naissance à Cologne (Prusse)
- 1833 : admis au Conservatoire de Paris
- 1844 : mariage avec Herminie d’Alcain
- 1849 : directeur musical de la Comédie Française
- 1855 : ouverture des Bouffes-Parisiens
- 1858 : Orphée aux enfers (création)
- 1864 : La Belle Hélène (création)
- 1866 : La Vie parisienne (création)
- 1877 : Les Contes d’Hoffmann (composition)
- 1880 : mort à Paris
Son père musicien lui apprend le violon et l’emmène à Paris
Enfant d’une famille nombreuse, son père est professeur de musique, cantor à la synagogue et lui apprend très tôt à jouer du violon. Il part à Paris avec son père et son frère plus âgé qui intègre avec lui le Conservatoire. Mais Jacques s’ennuie et quitte le Conservatoire après un an. Il prend des leçons de violoncelle, se fait recruter comme instrumentiste à l’Opéra Comique et entreprend des tournées qui lui rapportent assez d’argent pour … se marier ! Sa femme est d’origine espagnole et catholique, ce qui oblige Offenbach à se convertir.
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Offenbach devient directeur de théâtre et ouvre les Bouffes-Parisiens
Après avoir été directeur musical du Théâtre de la Comédie Française, il se lance dans l’aventure des Bouffes-Parisiens, un petit théâtre des Champs Elysées (Carré Marigny) complété l’hiver par une salle Passage Choiseul, pour y représenter ses œuvres et celles de ses confrères, en concurrence directe de l’Opéra Comique. Il ouvre avec Ba-ta-clan, une opérette en un acte sur un livret de Halévy, qui sera suivie de nombreuses autres. En 1858 Orphée aux Enfers est un grand succès populaire, tout le monde en parle, jusqu’à l’empereur lui-même pourtant moqué dans cette satire des dieux de la mythologie. Mais Offenbach ne lésine pas sur les dépenses pour ses spectacles et devra abandonner la direction du théâtre quelques années plus tard.
La Belle Hélène remporte un énorme succès dès sa création
Après quelques commandes de l’Opéra de Paris qui ne sont pas de grands succès, il renoue avec ses opérettes déjantées en un acte, qu’il enchaîne à une cadence infernale, et voilà que s’annonce au Théâtre des Variétés une nouvelle œuvre bouffonne, La Belle Hélène, inspirée de la mythologie grecque. Cette fois il s’agit d’Hélène de Troie, de Pâris et de Ménélas. Le succès est énorme. La chanteuse Hortense Schneider fait un malheur et tout Paris fête le compositeur désormais consensuel, la critique étant devenue quasi-unanime. Les opéras des capitales européennes reprennent immédiatement La Belle Hélène, qui devient un succès international. Notons que l’année précédente, Berlioz a fait représenter au Théâtre Lyrique la seconde partie de ses Troyens, après cinq ans de bagarre avec l’Opéra de Paris, et ne verra jamais de son vivant son opéra complet. A Berlioz, l’Antiquité inspire une tragédie. Offenbach, lui, en fait le prétexte d’une comédie satirique.
La Vie Parisienne poursuit la collaboration avec les librettistes Meilhac et Halévy
Avec les mêmes librettistes, Meilhac et Halévy, Offenbach présente deux ans plus tard au Théâtre du Palais Royal La Vie Parisienne. C’est encore un triomphe, deux cent soixante représentations ! L’empereur Napoléon III et son épouse y assistent, ainsi que le Prince de Galles et le Tsar. Le baryton qui incarne le Brésilien est Jules Brasseur, ancêtre de la grande famille de comédiens. Bruxelles, Vienne, Berlin, New York se précipitent sur la pépite et le succès est au rendez-vous. Offenbach et son duo de librettistes poursuivent leur chevauchée triomphale et donnent en 1868 au Théâtre des Variétés La Périchole, après La Grande Duchesse de Gerolstein, toutes deux avec Hortense Schneider, leur cantatrice fétiche.
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Offenbach ne verra pas la création de son dernier opéra Les Contes d’Hoffmann
La guerre de 1870 contre la Prusse vient mettre un terme à cette période faste et insouciante, Offenbach qui a pourtant acquis la nationalité française, connaît une disgrâce qui le conduit à travailler en Angleterre. À partir de 1873 les choses s’améliorent pour lui et il prend la direction du Théâtre de la Gaîté, où il redonne Orphée aux enfers.
Il songe à un opéra sérieux, et commence l’écriture des Contes d’Hoffmann, d’après une pièce de théâtre de Barbier et Carré adaptée de nouvelles de l’écrivain romantique E.T.A. Hoffmann. Sa santé se détériore et il craint de ne pas terminer son travail. Il ne verra pas la première de son ultime opéra, qui ne ressemble guère à toute sa production précédente mais sera également un succès. Il meurt quatre mois avant, en octobre 1880.
Natalie Dessay dans « Les Oiseaux dans la charmille » des Contes d’Hoffmann
Une renaissance récente après un siècle de mise à l’écart
La réduction de la musique d’Offenbach à quelques French Cancans lui a valu une forme d’ostracisme post mortem, dont il est heureusement sorti depuis une trentaine d’années. Biographes et musicologues ont travaillé en profondeur sur l’ensemble de ses œuvres, favorisant la reprise de ses opéras par les grands chefs d’orchestre et les grands chanteurs de notre époque. Jane Rhodes, Régine Crespin, puis Jessye Norman et Félicity Lott ont contribué à ressusciter La Belle Hélène, Natalie Dessay, Les Contes d’Hoffmann et Orphée aux Enfers. Les metteurs en scène ont de quoi proposer des spectacles détonants, sur une musique brillante et populaire, qui réjouit les cœurs, et les émeut aussi. D’Eurydice dans Orphée aux Enfers à Stella dans Les Contes d’Hoffmann, Offenbach nous offre des héroïnes un peu étranges, très différentes de celles des autres opéras du XIXème siècle, imaginées par un esprit original.
Philippe Hussenot