La Vie Parisienne d’Offenbach, ou l’ivresse d’une fête musicale

La Vie Parisienne de Jacques Offenbach est une œuvre trépidante et pétillante comme le champagne. Elle glorifie la fête, et peint une satire impitoyable de la société parisienne de la fin du Second Empire. La musique se teinte parfois de nostalgie, mais c’est pour mieux rebondir, à travers une mosaïque de musiques alors familières. Le succès a été immédiat, dès le soir de la première le 30 octobre 1866. Depuis, elle a fait le tour du monde, et symbolise l’art d’Offenbach.

La Vie Parisienne est créée dans ce qui est alors le temple du vaudeville : le Théâtre du Palais-Royal

La Vie Parisienne a une grande sœur oubliée, elle s’appelle Le Photographe, comédie en un acte que Henri Meilhac et Ludovic Halévy ont créée le soir de Noël 1864 au Théâtre du Palais Royal, une semaine jour pour jour après La Belle Hélène, dont ils étaient les librettistes. Le Photographe met en scène des personnes que les deux auteurs réutiliseront deux ans plus tard dans La Vie Parisienne. L’histoire offre quelques similitudes : Raoul de Gardefeu, déguisé en photographe, veut séduire la baronne de Gourdarkirch au détriment de la courtisane Métella dont est amoureux le baron. Le Photographe ne fait pas recette, et il est rapidement retiré de l’affiche. Un échec semble-t-il vite oublié, car le directeur du Théâtre du Palais Royal, Francis de Plunkett, a d’autres préoccupations. Paris se prépare en effet à accueillir l’Exposition universelle de 1867. Avec elle, c’est la promesse de la venue de millions de visiteurs, qui seront autant de spectateurs potentiels. Plunkett voudrait bien mettre à l‘affiche de son théâtre le nom d’Offenbach, qui est alors en pleine gloire.

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D’ailleurs, dans la perspective de cette Exposition universelle, le compositeur travaille avec Meilhac et Halévy, sur La Grande Duchesse de Gérolstein, prévue au Théâtre des Variétés. Cela ne décourage pas Plunkett, qui contacte le trio pour lui proposer un “vaudeville avec couplets”, qui serait une caricature de la société parisienne et du Second Empire. C’est un pari, car il faut adapter l’opéra-bouffe d’Offenbach à ce temple du vaudeville qu’est le Palais-Royal, et sur lequel Eugène Labiche règne en maître depuis 1838. Offenbach donne son accord avec enthousiasme, d’autant que le Théâtre du Palais-Royal est associé à ses premiers pas parisiens. En 1839, alors âgé de 20 ans, il avait composé la musique de scène d’une comédie d’Anicet Bourgeois et Edouard Brisebarre, Pascal et Chambord.

 

Il s’en est fallu de peu que l’œuvre soit retirée pendant les répétitions

En acceptant la commande, Offenbach sait qu’il composera pour les comédiens chantants de la troupe du Palais-Royal, et non pour des artistes lyriques à part entière. Il pourra toutefois s’appuyer sur la célèbre soprano Zulma Bouffar, reine de l’opérette, qu’il a recrutée spécialement. C’était d’ailleurs la condition non négociable posée par Offenbach. Maîtresse du compositeur, Zulma Bouffar a déjà chanté dans plusieurs de ses opéras-bouffe. Cette fois Offenbach lui réserve le rôle de Gabrielle, la gantière. Un rôle qu’il étoffe et développe au fil des répétitions, jusqu’à en faire le personnage le plus important.

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Si les répétitions commencent dans l’enthousiasme, la machine va rapidement se gripper. Certains chanteurs se mettent à douter de la réussite de l’entreprise. Même Ludovic Halévy reconnaît que l’ouvrage lui « fait peur ». L’une des chanteuses, qui n’apparait qu’au troisième acte, estime qu’il est inutile de confectionner son costume : elle est persuadée que les répétitions s’arrêteront avant. De fait, il est question de retirer la pièce. Eugène Labiche, qui n’a toujours pas accepté qu’Offenbach s’installe dans son pré carré, ne perd pas une miette de cette période d’incertitude, et décrit à sa manière la situation : « Il s’agit de transformer Lassouche en ténor et il soutient qu’il n’est qu’un baryton. Gil-Pérès et Mme Thierret cherchent encore leurs notes et ne sont pas sûrs de l’emploi chantant qu’ils doivent jouer. Le théâtre est dans un vrai pétrin, les acteurs font des couacs et rendent leur rôle. On agrandit l’orchestre aux dépens du public et surtout du directeur ». Dans cette tourmente, le seul à rester imperturbable est Offenbach. Il est convaincu que La Vie Parisienne sera un succès. Les faits vont lui donner raison, au-delà, très certainement, de ce qu’il pouvait espérer.

 

Le triomphe de La Vie Parisienne a été immédiat

La date de la première a été fixée au 31 octobre 1866. Offenbach, ses librettistes, Zulma Bouffar et la troupe du Palais-Royal vont enfin savoir si leurs efforts seront ou non couronnés de succès. Lorsque le rideau tombe à l’issue de l’Acte V, c’est un triomphe. Le public accueille l’œuvre avec des tonnerres d’applaudissements. Le pari est gagné. Chacun est soulagé, Halévy le premier, qui note : “ La Vie Parisienne est un grand, un très grand succès, notre plus grand succès”. Même Labiche est obligé d’admettre qu’il a eu tort : « C’est insensé, cela n’a aucune forme comme pièce, mais c’est amusant, grotesque, bouffon et spirituel ». Le romancier et critique Jules Claretie est particulièrement enthousiaste : « Si jamais l’on s’avise de faire une peinture allégorique de notre époque emportée par la fièvre de l’or et la frénésie de jouissance, qu’on n’oublie pas surtout de mettre, au-dessus de notre sabbat épileptique, le maigre Offenbach conduisant la ronde en riant ».

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L’intrigue de La Vie Parisienne ne fait pas preuve d’une très grande originalité

Même s’il s’est d’une certaine façon peut être adapté aux moyens de la troupe du Palais-Royal, Offenbach n’en a pas moins écrit une musique d’une très grande inspiration. Il jette un regard à la fois désopilant et cynique sur le Second Empire qui brille de ses derniers feux, et sur un public qui est le sien, celui du Boulevard, et du Palais-Royal en l’occurrence. Il dresse une caricature particulièrement lucide de la société d’alors, à travers une histoire qui n’a rien de novatrice en matière de vaudeville. Deux jeunes dandys se désolent tant bien que mal de la perte de la demi-mondaine Métella dont ils sont amoureux. L’un d’eux, Raoul de Gardefeu se fait passer pour un employé du Grand-Hôtel afin d’accueillir et de guider dans Paris, le baron et la baronne de Gondremarck, des aristocrates suédois venus profiter des plaisirs de la vie parisienne. Un riche Brésilien complète le tableau. Gardefeu, qui se verrait bien oublier Métella dans les bras de la baronne, héberge le couple chez lui, et organise un dîner où ses domestiques jouent des personnages de haut rang, à l’instar de Gabrielle promue veuve d’un colonel. Le scénario se répétera au cours d’une fête chez l’autre dandy, Bobinet. Le champagne coule à flot, le baron est floué mais il pardonne, tellement il s’est amusé et grisé. Au dernier acte, c’est au tour du Brésilien- amoureux de Gabrielle- d’organiser un souper dans un grand restaurant. Gondremark doit y retrouver Métella qu’il courtise. Celle-ci arrive avec une mystérieuse amie qui n’est autre que la baronne. Métella annonce qu’elle renoue avec Gardefeu. Les masques sont tombés, la réconciliation générale est fêtée dans l’allégresse.

 

« Tout tourne, tout danse » (mise en scène Laurent Pelly, Opéra de Lyon en 2007)

 

Une musique foisonnante, d’une inventivité sans cesse renouvelée

La vivacité et la légèreté dominent, mais Offenbach a su également glisser quelques moment tendres et nostalgiques, comme l’air de la lettre que chante Métella à l’Acte II « Vous souvient-il ma belle ? ». Le public retient de nombreux refrains, en particulier « Repeuplons les salons du Faubourg-Saint-Germain » de Gardefeu et Bobinet à l’Acte I, ou encore, dans ce même acte « Vous serez notre guide dans la ville splendide” chanté par le Baron et la Baronne, puis repris par Gardefeu. L’air du brésilien « Je suis Brésilien, j’ai de l’or » est devenu un tube, tout comme celui du baron « Je veux m’en fourrer jusque-là ». Autre moment de légèreté, avec les couplets de Gabrielle « Il est content, mon colonel » à l’Acte II, ou encore le sextuor de l’Acte III “Votre habit a craqué dans le dos ». Le rythme de la valse est fréquent et les galops terminent de manière frénétique les deux derniers actes, c’est le célèbre « Feu partout ». Offenbach offre toute une mosaïque de musiques alors familières, comme le galop, la valse, la bourrée ou encore la tyrolienne, qui répond aux nombres de personnages, 19 au total, dont certains sont chantés avec un accent étranger (le Brésilien et le bottier Frick). En revanche il n’y a quasiment pas de caricatures ou de citations musicales, comme c’était le cas dans La Belle Hélène, et comme cela le sera dans La Grande Duchesse de Gérolstein.

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Un succès qui dure depuis plus de 150 ans

Le triomphe de la première s’est prolongé tout au long de la saison, jusqu’en juillet avec un total de 217 représentations, un record ! La Vie Parisienne est encore l’affiche quand est inaugurée l’Exposition universelle le 1er avril, et quand est créée La Grande Duchesse de Gérolstein le 12 avril. Rapidement, La Vie Parisienne part en province et à l’étranger, en particulier à Vienne et Berlin où le portrait d’Offenbach a été peint sur le rideau de scène ! En 1873 elle est reprise au Théâtre des Variétés, et pour l’occasion l’acte IV est supprimé. C’est dans cette version en quatre actes que La Vie Parisienne poursuit sa route glorieuse. Elle est aujourd’hui l’ouvrage le plus joué d’Offenbach.

Jean-Michel Dhuez

 

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