Un paraplégique remarche par la pensée : « Nous allons tester le système sur plus de patients »

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Un Néerlandais paraplégique a pu marcher grâce à sa pensée. Fruit d’une collaboration entre chercheurs suisses et français, cette avancée technologique a été décryptée pour nous par Guillaume Charvet. Le responsable du programme interface cerveau-machine au CEA de Grenoble était l’invité de Radio Classique.

Vous faites partie de ces chercheurs à l’origine de cette avancée majeure. En quelques mots, pouvez-vous nous nous présenter cette technologie unique qui est porteuse d’espoir pour des milliers de personnes ?

L’objectif était de restaurer le lien entre le cerveau, la moelle épinière, lien qui a été rompu suite à un accident de vélo il y a une douzaine d’années. Dans le cadre d’une collaboration entre les équipes françaises du CEA (Commissariat à l’Energie atomique) et les équipes suisses de l’EPFL (Ecole Polytechnique fédérale de Lausanne) et du CHU Lausanne, nous avons développé une technologie unique il y a un peu plus de quinze ans.

En marchant, le patient pouvait penser à autre chose

Cette technologie consiste à venir capter l’activité électrique au niveau du cerveau grâce à un implant qui a été développé par le CEA, permettant d’enregistrer des signaux de très faible amplitude. Ces signaux sont ensuite transférés – sans fil – vers un ordinateur qui les décode en temps réel.

L’objectif est de retranscrire les intentions de mouvement et de marche du patient. Ces intentions de marche sont ensuite converties en séquences de stimulation qui sont appliquées à la moelle épinière, permettant ainsi de restaurer le mouvement des muscles des jambes chez ce patient paraplégique.

Ce qui est intéressant dans cette première mondiale, c’est que la personne qui a testé cette technologie pouvait aussi, tout en marchant, penser à autre chose.

Oui, c’est un point très important qui est très utile dans le cadre particulier de la vie quotidienne. Cela signifie que la personne n’est pas concentrée uniquement sur la tâche de marche, c’est-à-dire qu’elle ne pense pas uniquement à lever sa jambe droite ou lever sa jambe gauche.

Au fil des entraînements, elle a pu réaliser d’autres tâches mentales, comme par exemple parler dans des environnements de la vie quotidienne. Et ça, c’est un point très important pour un usage simple de son interface cerveau-moelle épinière.

« Cela faisait plus de 12 ans que le patient n’avait pas eu le contrôle sur ses propres jambes »

Cette technologie permet-elle plusieurs types de marche ?

Le fait de proposer au patient un contrôle à partir de son activité cérébrale permet d’offrir un contrôle beaucoup plus naturel. En effet, il peut non seulement maîtriser le mouvement de ses jambes mais il peut également contrôler l’amplitude de ses mouvements, c’est-à-dire la hauteur de ses pas. Il peut désormais aller en extérieur, monter des rampes ou des marches d’escalier et marcher avec des béquilles.

Quels sont justement les retours que vous avez eus de cette personne après le test ? Qu’a-t-elle pu vous dire ?

Pour elle, cela faisait plus de douze ans qu’elle n’avait pas eu le contrôle sur ses propres jambes. Or, là, c’est elle qui a la maîtrise de ses jambes. C’est un point très important pour le patient, puisqu’il a pu gagner en confiance. Il peut désormais évoluer dans des environnements variés, en extérieur, voire rentrer à son domicile et utiliser le système en toute autonomie et sans assistance chez elle.

Guillaume Charvet, quelle est l’étape suivante ? Allez-vous tester plus de personnes ? Allez-vous miniaturiser le système qui, pour le moment, est assez impressionnant ?

Effectivement, nous allons tester le système sur plus de patients pour reproduire les résultats qu’on vient de montrer sur ce seul patient. Il faudra également étendre les indications, en particulier pour permettre à des patients, cette fois-ci tétraplégiques, de contrôler les membres supérieurs, en l’occurrence leurs bras, en venant placer le système de stimulation à un autre endroit des vertèbres cervicales.

Bien entendu, il faudra réduire la taille du système. L’objectif est de passer d’un simple ordinateur à une puce électronique dans laquelle on pourra réaliser le décodage du patient. L’idée est que le système soit portable, par exemple à la ceinture.

« Il y a des comités d’éthique qui encadrent l’ensemble des essais qui sont réalisés »

Guillaume Charvet, ces implants dans le cerveau ne sont pas sans rappeler ceux réalisés par la société d’Elon Musk, Neuralink. Ce dernier a reçu le feu vert des autorités américaines pour tester ces implants sur des humains. Êtes-vous inquiet ?

Effectivement, Neuralink travaille dans le domaine des interfaces sans machine, comme d’autres équipes de recherche dans le monde. La recherche avance dans le domaine des interfaces cerveau-machine et l’objectif est d’arriver à trouver des solutions pour la restauration du mouvement mais également combler d’autres handicaps chez des patients.

Mais il y a forcément des questions d’éthique qui se posent dès qu’on parle d’Elon Musk et de Neuralink.

En fait, dans le cadre de systèmes implantés, on doit remplir et respecter des conditions des autorités réglementaires. Il y a des comités d’éthique qui encadrent l’ensemble des essais qui sont réalisés.

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Il faudra encore, Guillaume Charvet, de nombreuses années pour pouvoir permettre à un grand nombre de paraplégiques de remarcher. Avez-vous une date en tête ?

Aujourd’hui, nous sommes sur des essais cliniques de preuves de concept. Il va falloir continuer cet essai clinique de preuves de concept et faire des essais cliniques plus larges. Donc, ça va prendre encore plusieurs années.

Ce que vous avez réalisé est-il transposable aux membres supérieurs ?

Oui, nous avons obtenu récemment de la part des autorités suisses les autorisations pour démarrer un essai clinique qui va permettre à des patients tétraplégiques de tester cette technologie dans l’objectif de restaurer le mouvement des membres supérieurs.

 

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