Jean-Yves Le Borgne, avocat pénaliste, était l’invité de Guillaume Durand ce matin sur Radio Classique. Alors qu’Eric Dupond-Moretti, le garde des Sceaux, est de nouveau inquiété par la justice pour prise illégale d’intérêt, l’avocat avertit qu’il faut distinguer intérêt matériel et affectif. Il regrette aussi une « ère du soupçon » et des motivations politiques dans la magistrature.
Jean-Yves Le Borgne doute des motivations judiciaires utilisées pour incriminer Eric Dupond-Moretti
Deux affaires de « prise illégale d’intérêt » secouent le gouvernement depuis ce lundi 3 octobre. Le secrétaire général de l’Elysée Alexis Kohler a été mis en examen pour ne pas avoir révélé ses liens familiaux avec l’armateur italo-suisse MSC quand il était agent public. Quant à Eric Dupond-Moretti, il a été renvoyé ce lundi devant la Cour de justice de la République, seule entité capable de juger les ministres pour des actes commis dans l’exercice de leurs fonctions. Pour le garde des Sceaux, c’est le nouvel acte d’un feuilleton judiciaire qui dure depuis juillet 2021 : le ministre de la Justice se voit reprocher deux enquêtes qu’il a ordonnées à l’automne 2020, soupçonnées de régler des comptes avec des magistrats avec qu’il a eu affaire dans sa carrière d’avocat. « Les rapports qu’il entretient avec la magistrature sont assez particuliers », sinon tendus, ce qui justifierait l’animosité des juges à son égard, estime Jean-Yves Le Borgne. Le problème réside selon lui dans le texte utilisé pour poursuivre le garde des Sceaux, affirme l’avocat. Au-delà de l’intérêt matériel, qui ne s’applique pas ici, il y a l’intérêt « psychologique » et « affectif » qui est à l’œuvre dans l’affaire Dupond-Moretti d’après lui.
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Il balaye les communiqués d’USM et SM, les deux principaux syndicats de la magistrature qui dénoncent une « atteinte grave à la probité » de la part du ministre. « Que savons nous de ce qu’un homme pense et de ce qui constitue sa véritable motivation? », interroge Jean-Yves Le Borgne. Il faudra un jour que le droit puisse distinguer l’intérêt réel ou supposé d’un décideur public, poursuit-il : « il y a un problème juridique qu’il faut trancher ». La question reste en suspens car, dans une « ère du soupçon », les politiques n’ont pas intérêt à légiférer sur une problématique qui pourrait se retourner contre eux. L’avocat prend comme exemple sa défense d’Eric Woerth, ancien ministre du Budget accusé d’avoir donné un avantage fiscal à Bernard Tapie, et le non-lieu qu’il vient d’obtenir : « cette affaire a traîné pendant des années. C’est ça le soupçon! » souffle-t-il. Au sujet des magistrats, l’avocat soutient qu’il y a un « vent d’inspiration politique et de rôle politique » dans la magistrature qui n’existait pas au préalable. « J’ai une longue carrière derrière moi et j’ai vu cet aspect des choses se marquer de plus en plus », insiste-t-il. Le tournant s’est produit dans les années 90 selon lui, quand le « pénal financier » s’est mis à attaquer les patrons des grandes entreprises et les hommes politiques. « Ca a donné une sorte d’appétit à la justice, celui de faire en sorte que les puissants soient désormais sous son contrôle », conclut-il.
Clément Kasser