Mstislav Rostropovitch, violoncelliste célèbre dans le monde entier, n’aimait pas le mot « exil ». Il a pourtant dû fuir l’URSS après avoir pris la défense de Soljenitsyne. Réfugié aux Etats-Unis, il a poursuivi là-bas une carrière internationale, aussi bien avec son instrument qu’en tant que chef d’orchestre, et même parfois comme pianiste pour accompagner son épouse la soprano Galina Vishnevskaïa. Chostakovitch, Prokofiev, Britten, Dutilleux, et bien d’autres compositeurs du XXème siècle, lui ont dédié plus d’une centaine d’œuvres. Après Pablo Casals, il a incarné ce que le violoncelle peut offrir de plus beau, encourageant ainsi toute une jeune génération de musiciens à lui consacrer leur talent.
Mstislav Rostropovitch en 10 dates :
- 1927 : Naissance à Bakou
- 1943 : Admission au Conservatoire de Moscou
- 1955 : Mariage avec la soprano Galina Vishnevskaïa
- 1956 : Tournées aux Etats-Unis et en Grande Bretagne
- 1960 : Rencontre avec Benjamin Britten
- 1974 : Départ pour les Etats-Unis
- 1977 : Directeur de L’Orchestre symphonique national de Washington
- 1989 : Récital devant le Mur de Berlin
- 1991 : Enregistrement à Vézelay des Suites pour violoncelle seul de Bach
- 2007 : Mort à Moscou
La mère de Rostropovitch joue du piano, son père du violoncelle.
Mstislav Rostropovitch apprend d’abord le piano auprès de sa mère, puis le violoncelle avec son père. ll entre ensuite au Conservatoire de Moscou, où il étudie aussi la direction d’orchestre. Il en sort avec la médaille d’or, remporte plusieurs concours internationaux et reçoit de multiples récompenses dans son pays. Chostakovitch enseigne la composition au Conservatoire. Rostropovitch passe par la classe du maître, mais décide d’arrêter de composer après avoir entendu la Huitième symphonie de son professeur. Tous deux deviennent des amis très proches et leur collaboration sera fructueuse : le compositeur lui dédiera de nombreuses œuvres, notamment ses deux Concertos pour violoncelle. Rien ne pourra entamer leur amitié, jusqu’au décès du compositeur en 1975.
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Le compositeur Benjamin Britten écrit pour lui, mais enregistre aussi avec lui des sonates pour violoncelle et piano.
Rostropovitch rencontre Britten à Londres en 1960, et enregistre avec lui dès l’année suivante des pièces de Schumann et de Debussy. Ils jouent ensemble au Festival d’Aldeburgh fondé par Britten lui-même, et grave la Sonate Arpeggione de Schubert, un enregistrement devenu mythique. C’est pour Rostropovitch que Britten compose sa Sonate pour violoncelle et piano et ses Suites pour violoncelle seul.
En 1969, Slava et son épouse, la cantatrice Galina Vishnevskaïa, offrent l’hospitalité à l’écrivain Soljenitsyne. Il restera quatre ans dans leur datcha près de Moscou, avant d’être expulsé d’URSS. Eux-mêmes payent cher cet élan de solidarité, entravés dans leur carrière, bientôt privés de concerts et contraints de s’exiler. En 1974, ils partent aux Etats-Unis. Déchus de leur nationalité quatre ans plus tard, ils ne retourneront en Russie qu’après leur réhabilitation en 1990.
A Paris, Rostropovitch fonde un concours international à son nom.
Le couple réside souvent à Paris et, en 1977, Slava organise un concours international de violoncelle. Le 1er Prix est décerné ex-aequo à Lluis Claret et Frédéric Lodéon. Ce concours se tiendra ensuite tous les quatre ans dans la capitale parisienne, jusqu’en 2009. Il récompensera notamment Anne Gastinel et Xavier Phillips (3ème Prix ex-aequo en 1990), Sol Gabetta (5ème Prix en 1997), et fera découvrir au public Marie-Elisabeth Hecker en 2005 (1er Prix).
L’année 1977 est décidément faste pour le musicien. Il prend la direction de l’Orchestre symphonique national de Washington, qu’il conservera jusqu’en 1994. Il dirigera également à Londres et à Paris, des symphonies (Dvorák, Prokofiev, Chostakovitch) mais aussi des opéras dans lesquels il accompagne son épouse Galina. Leur Yolanta de Tchaïkovski, avec l’Orchestre de Paris en 1984, est très remarquée.
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Rostropovitch joue du violoncelle au pied du Mur de Berlin.
La vidéo a fait le tour du monde. En novembre 1989, alors qu’une brèche vient d’être ouverte dans le Mur de Berlin, Rostropovitch vient jouer devant pour exprimer sa joie. Devant un public improvisé, il interprète les Suites pour violoncelle seul de Bach. Un moment particulièrement émouvant pour cet homme que l’URSS avait déchu de sa nationalité 10 ans avant pour s’être opposé au régime. Deux ans plus tard, en mars 1991, il enregistre ces Suites de Bach dans la Basilique de Vézelay. Jules Roy, dans son livre « Rostropovitch, Gainsbourg et Dieu », écrit : « Il y a chez lui du croisé, et c’est peut-être pour cela que Vézelay l’a séduit, mais il y a aussi chez lui du héros ».
Rostropovitch devant le mur de Berlin en novembre 1989
Capable d’apprendre en quelques jours une nouvelle partition, « Rostro » s’est toute sa vie fait le serviteur de la musique
Ambassadeur de bonne volonté de l’UNESCO, Rostropovitch s’engage pour des causes humanitaires. Il fonde avec son épouse, la Rostropovitch Vishnevskaïa Foundation (RVF) basée à Washington, pour soutenir les actions de prévention sanitaire et de vaccination des enfants dans le monde. L’une de leurs deux filles en assure aujourd’hui la pérennité.
Il décède en 2007 à Moscou, après une vie d’une intensité peu commune, traversant son siècle avec une énergie qui stupéfiait ses proches et un talent de musicien hors norme. Loin de se reposer sur les lauriers qui lui étaient constamment tressés, il suscitait sans cesse de nouveaux projets, passait des commandes, apprenait en quelques jours de nouvelles partitions, sans oublier de communiquer son enthousiasme et sa passion pour la musique, dont il se voulait un serviteur infatigable.
Philippe Hussenot