RICHTER Sviatoslav

(1915-1997) Pianiste

« Né sous le signe de l’ambiguïté dans un pays qui ne l’admet guère », Sviatoslav Richter incarne une dévotion totale à la musique. Son génie est indissociable d’une intégrité et d’une humilité dignes des grands mystiques de l’humanité.

Sviatoslav Richter en 10 dates :

  • 1915 : naissance en Ukraine
  • 1934 : premier récital à Odessa
  • 1937 : travaille avec Neuhaus
  • 1941 : rencontre avec Prokofiev
  • 1945 : vit avec Nina Dorliak
  • 1960 : première tournée en occident
  • 1964 : crée le Festival de la Grange de Meslay
  • 1970 : voyage au Japon en train
  • 1995 : dernier concert à Lübeck
  • 1997 : mort à Moscou

 

« On doit retrouver intacte la pensée, le cœur, la vérité nue de l’auteur de l’œuvre et se mettre au service de cet ami disparu. »

Sviatoslav Teofilovitch Richter naît le 20 mars 1915 à Jytomir (Ukraine), mais il grandit à Odessa. Son père est un pianiste allemand, organiste, chef de chœur et compositeur et sa mère vient d’une famille noble. Ils parlent russe mais vivent dans le quartier allemand. Il découvre la peinture, le piano, la littérature et le cinéma très jeune. Bien que son père soit pianiste, il découvre la musique tout seul en déchiffrant des opéras. À huit ans, il compose pour son plaisir. À quinze ans, il improvise au cinéma pour quelques roubles ou un sac de pommes de terre. À dix-huit ans, il est engagé comme répétiteur à l’Opéra d’Odessa. L’année suivante, il donne un récital Chopin devant un public d’amis : « Chopin est indéfinissable. Tout est raffiné à l’extrême et tout vient du cœur. » Trois ans plus tard, il se présente au pianiste Heinrich Neuhaus qui est le plus grand professeur de Russie. Ce dernier le prend immédiatement dans sa classe au Conservatoire de Moscou.

 

Heinrich Neuhaus qui a été le professeur de nombreux pianistes (Gilels, Virssaladze, Lupu) a dit que Richter était un génie à qui il n’avait rien appris.

En 1941, le père de Richter est arrêté par la police soviétique et fusillé comme espion (il sera réhabilité plus tard). Sa mère quitte l’Union soviétique avec son amant et part vivre en Allemagne. Richter n’a pas d’appartement, il dort chez son professeur, sous le piano. Pendant la guerre, il rencontre Prokofiev qui lui propose de jouer son Concerto n° 5 : « Quand je le joue moi, il n’a aucun succès. » L’œuvre obtient un triomphe. Une amitié se forge. Richter joue les Sonates n° 6 et n°7 et devient le dédicataire de la Neuvième. C’est l’un des compositeurs qu’il va le plus souvent jouer avec Rachmaninov, Chopin, Beethoven et Debussy. Ses trois compositeurs préférés sont : Wagner, Chopin et Debussy. En 1945, il accompagne la soprano franco-russe Nina Dorliac lors d’un concert. Ils vont vivre ensemble dans deux appartements attenants sans se marier jusqu’à la mort du pianiste.

 

Richter déteste la vie américaine « à l’exception des musées, des orchestres et des cocktails ».

Après la guerre, Richter joue dans les villages les plus reculés d’Union soviétique. Souvent, il change son programme au dernier moment pour se sentir plus frais et spontané. En 1960, il est enfin autorisé à jouer à l’extérieur de l’empire russe. D’abord Helsinki puis à Carnegie Hall où il donne huit récitals de suite. Le monde découvre avec stupeur la profondeur de son art. En 1963, il découvre la grange de Meslay en Touraine et décide d’y fonder un festival : « C’est si bon la France. Les gens ont un tel amour de la vie, un tel goût du bonheur. » Pendant plus de trente ans, il va venir presque chaque année et inviter les plus grands : Schwarzkopf, Fischer-Dieskau, Arrau, Michelangeli, Boulez, ses amis Oïstrakh, Kogan, Leonskaja… Il crée aussi les Soirées Décembre au musée Pouchkine à Moscou où une salle est aujourd’hui réservée à ses peintures.

 

Richter déteste l’avion. En 1970, il se rend au Japon en train. En Europe, il préfère venir en voiture.

En 1986, il traverse la Sibérie et joue dans les petits villages, souvent gratuitement et parfois sur des pianos droits. Avec les orchestres, Richter exige dix répétitions au minimum. Petit à petit, cet hyper-mnésique rencontre des problèmes de mémoire. Il décide de jouer avec partition. Souvent dans l’obscurité, une rose sur le piano. Ses interprétations de Schubert sont légendaires. Il joue ses sonates sur un tempo très retenu sans que jamais l’architecture ne s’affaisse. En 55 années de carrière, il aura joué 833 œuvres, et plus de 600 lieder au cours de près de 3 600 concerts. Dans le privé, il joue des opéras par cœur. Son répertoire est immense.

À la fin de sa vie, il se prête à la caméra du Bruno Monsaingeon qui réalisera Richter l’insoumis. Après une opération du cœur, il se repose à l’abbaye Notre-Dame de la Fidélité de Jouques et meurt à Moscou le 1er août 1997. Il laisse une discographie impressionnante bien qu’il détestait enregistrer. Les enregistrements « live » sont à choisir en priorité. Ils sont incomparables de densité et d’élan visionnaire.

 

Olivier Bellamy

 

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