Hélène Grimaud occupe la scène musicale depuis l’âge de 15 ans. Mais le piano n’est pas sa seule préoccupation. Elle a fondé un centre de préservation des loups aux Etats-Unis. Boulez disait d’elle après leur disque en 2005 : « Je trouve qu’elle a beaucoup d’énergie et en même temps du charme. » Deux qualités qu’elle met au service de la mission qu’elle s’est définie : « l’artiste doit témoigner de la capacité de la beauté à sauver le monde. »
Hélène Grimaud en 10 dates :
- 1969 : naissance à Aix-en-Provence
- 1976 : commence le piano au Conservatoire d’Aix
- 1980 : étudie avec Pierre Barbizet au Conservatoire de Marseille
- 1985 : 1er Prix au CNSM de Paris
1er disque consacré à Rachmaninov (Denon) - 1991 : déménage aux Etats-Unis
- 1999 : fonde le Wolf Conservation Center à South Salem (Etat de New York)
- 2003 : publication de Variations sauvages, son 1er livre (ed. Robert Laffont)
- 2004 : Victoires de la musique
- 2006 : s’installe à Berlin
- 2013 : publie son 3ème livre Retour à Salem, roman semi-autobiographique (ed. Albin Michel)
Grâce au piano, Hélène Grimaud peut enfin laisser libre cours à son insatiable besoin d’explorer.
Avant le piano, Hélène Grimaud a essayé le tennis, le judo, la danse classique, pour tenter de se canaliser. Trop d’imagination et de curiosité agitent cette petite fille précoce, qui préfère la compagnie des adultes. Finalement son père propose le piano. « D’emblée, j’ai aimé le rapport d’affrontement, de conquête avec ce piano qui ne peut jamais être une extension de vous-même. Avec ses voix superposées, ses sonorités étagées, le piano correspondait bien à mon esprit à tiroirs. » confiera-t-elle bien plus tard à Bernard Mérigaud pour Télérama. Du conservatoire d’Aix en Provence avec Jacqueline Courquin, elle passe à celui de Marseille avec Pierre Barbizet. Une rencontre marquante, qu’elle raconte dans Variations sauvages (ed. Robert Laffont, 2003). « On l’appelait spontanément Maître. […] Il mettait l’accent sur la couleur et le rythme, les rapports de timbres dans l’espace. Il acceptait toutes les sonorités, pourvu qu’elles sortent du plus profond de vous-même, sans inhibition. Il parlait littérature, peinture, architecture, à coups d’images dépassant de loin la technique musicale. Avec lui, je décollais toutes les minutes… et ses cours particuliers pouvaient dépasser les trois heures. » Le maître, quant à lui, émet ce jugement prophétique : « Ce sera une grande pianiste ».
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Elle entre au Conservatoire de Paris à seulement 13 ans, dans la classe de Jacques Rouvier.
Hélène Grimaud brûle vite les étapes. Entrée au CNSM de Paris à 13 ans dans la classe de Jacques Rouvier, elle en sort 3 ans plus tard, son 1er Prix en poche. Le cursus scolaire est assuré en parallèle par le CNED, par correspondance. « Jacques Rouvier a pris le temps de consolider les bases techniques qui me faisaient défaut. J’ai eu la chance d’avoir deux professeurs différents, mais dans le bon ordre : Pierre Barbizet m’a rendue accro aux mondes enfouis dans les partitions ; avec Jacques Rouvier, j’acceptais un travail plus austère, puisqu’il permettait d’accéder à des beautés supérieures. Il m’imposait de travailler les études de Chopin et de Liszt, [même si je préférais] les oeuvres à grandes lignes, à grand souffle, comme le Premier Concerto de Chopin et la Deuxième Sonate de Brahms. » Ce nouveau mentor la présente à sa maison de disque, et la jeune fille sort son premier enregistrement, consacré à Rachmaninov. Elle a 15 ans.
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Les concerts affluent, qui apportent des rencontres artistiques marquantes mais aussi une notoriété difficile à gérer.
Elle continue à travailler avec György Sandor et Leon Fleisher, et se présente au concours Tchaïkovsky en 1986 où elle arrive en demi-finale. Cette année-là, elle se fait remarquer au festival d’Aix-en-Provence, lors d’une masterclass avec Jorge Bolet. Les invitations pleuvent : MIDEM de Cannes, festival de la Roque-d’Anthéron, récital à Tokyo, et concert avec l’Orchestre de Paris à l’initiative de son chef Daniel Barenboim. Hélène Grimaud rencontre aussi Pierre Vozlinsky, le directeur de la phalange parisienne. « Subitement, j’ai pris conscience que la musique n’était pas uniquement liée au piano, moi qui l’avais abordé comme une bouée de sauvetage, en ingurgitant tout ce que je pouvais entre 9 et 15 ans. Je me suis mise à réfléchir. Jusqu’à une paralysie névrotique. En musique, tout, et son contraire, est valide. C’est le festival de musique de chambre du violoniste Gidon Kremer, à Lockenhaus, qui m’a appris à trancher. » Là-bas, elle rencontre Martha Argerich. « En discutant avec elle, j’ai compris que l’artiste devait garder une part d’animalité ».
En 1995, la jeune pianiste fait ses débuts avec le Philharmonique de Berlin sous la baguette de Claudio Abbado. En 1998, elle interprète le premier concerto de Brahms avec Kurt Sanderling, conservé sur un disque live. Hélène Grimaud en garde un souvenir ému : « J’ai tellement appris à son contact, se souvient-elle pour Quobuzz en 2013. Un artiste extraordinaire, d’une intégrité, d’une humanité et d’une musicalité fantastiques. Un homme de peu de mots, mais quand il disait quelque chose cela avait un impact incroyable. » Très vite, la jeune femme traverse l’Atlantique. Cette fois, c’est Kurt Masur qui l’accompagne avec le philharmonique de New York. Mais la célébrité n’est pas facile à gérer, surtout quand on est jeune et aussi belle. Aujourd’hui encore, les yeux bleus d’Hélène Grimaud fascine. En 2005, elle analyse face à Catherine Ceylac, dans l’émission Thé ou café : « Les gens croient que l’apparence physique peut aider. Mais en réalité, ça fausse le rapport aux autres, ça fait dévier de ce qui est important. Moi ça m’a beaucoup pesé et agacé. »
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Les loups l’ont sauvé des ses obsessions en la reconnectant à la Nature
Depuis l’enfance, Hélène Grimaud est une personnalité complexe. Perfectionniste, son besoin d’ordre et de symétrie a vite pris des proportions maladives. Une rencontre va la sauver de ses obsessions : une louve. Installée aux Etats-Unis depuis 1991, la pianiste passe alors un diplôme pour pouvoir accueillir chez elle des loups nés en captivité, et se lance dans un doctorat d’éthologie. En 1999, elle fonde le Wolf Conservation Center à Salem, dans l’Etat de New York. « J’étais assez misanthrope quand j’étais jeune. Le Centre m’a beaucoup aidée. […] J’ai compris que c’est par la connexion avec « l’autre », quel qu’il soit, qu’on se trouve motivé pour une action, » explique-t-elle au milieu des années 2000 à Josée Dupuis, pour l’émission Le Point sur TV5.
Loin d’un caprice de star, cette vie au milieu des loups s’inscrit dans une véritable démarche écologique. Environ 15 000 enfants seraient sensibilisés chaque année par le Centre sur la préservation des loups et de leur habitat et, par extension, de la nature en général. Sur le site internet de la pianiste, il est précisé que le Centre « participe au Plan de survie des espèces et au Plan de rétablissement de deux espèces de loups en danger critique d’extinction, le loup gris du Mexique et le loup roux. » On y signale aussi qu’Hélène Grimaud est « membre de l’organisation Musicians for Human Rights, un réseau mondial pour promouvoir une culture des droits humains et du changement social ». Une artiste engagée, donc, qui quitte cependant les Etats-Unis en 2006 pour se fixer à Berlin.
Adagio du Concerto pour piano n°23 de Mozart
Artiste engagée, Hélène Grimaud mêle naturellement musique, littérature et écologie.
Hélène Grimaud ne se contente pas du piano et de l’écologie. La littérature l’a toujours nourri, à l’image des compositeurs romantiques qu’elle affectionne comme Schumann et Brahms. Elle dévore les auteurs russes à l’adolescence – elle s’amuse à prétendre avoir présenté le concours Tchaïkovsky « pour vérifier si les gens de la rue ressemblaient aux personnages de romans russes ». Prendre la plume est ensuite venu naturellement. Trois livres paraissent : Variations sauvages (2003), Leçons particulières (2005), et Retour à Salem (2013). Au moment de la publication de ce dernier, la pianiste confie à Marc Zisman pour Quobuzz : « L’écriture est une arme, comme la musique. Se battre pour la Nature, c’est se battre pour la possibilité d’un avenir. La beauté répond à un besoin de l’âme, et crée la possibilité d’un autre monde, justement. Donc nature et musique sont pour moi indissociable, elles font partie d’une même origine. » On ne s’étonnera donc pas du titre de son album paru en 2016, « Water », sur lequel de douces transitions électro de Nitin Sawhney s’intercalent avec des oeuvres évoquant l’élément liquide, de Ravel, Liszt, ou Takemitsu.
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Hélène Grimaud finit donc par trouver des réponses, elle qui avoue à Josée Dupuis (Le Point sur TV5) s’être « longtemps posé des questions sur le rôle de l’artiste dans la société. Nous sommes des privilégiés, et nous pouvons vite perdre le contact avec la réalité du monde parce que nous sommes toujours entre deux avions. […] Mais j’ai fini par comprendre que l’art n’était pas un luxe : c’est une nécessité. Le rôle de l’artiste aujourd’hui est de témoigner de la capacité de la beauté à sauver le monde. »
La musique lui offre décidément un terrain d’expérimentations sans cesse renouvelées, qu’elle confie régulièrement au disque.
« Ecouter des disques a toujours été à la source d’un déclic, du désir d’apprendre quelque chose. Loin de vous influencer, l’interprétation des autres vous met sur la voie », reconnait-elle. Artiste Deutsche Grammophon depuis 2002, Hélène Grimaud a remporté le prix Echo Klassik 2013 pour son disque « Duo » avec la violoncelliste Sol Gabetta. Elle aime explorer différentes pistes musicales, que ce soit sur les œuvres – elle propose à nouveau les Fantasiestücke de Schumann avec Jan Vogler, un an seulement après le disque avec Sol Gabetta – ou les compositeurs. « J’ai toujours été intéressée par les couplages qui n’étaient pas prévisibles, car j’ai l’impression que certaines pièces peuvent s’éclairer mutuellement. » Comme pendant de Mozart, elle choisit Silvestrov pour son album « Messenger » en 2020.
En 2012, rescapée d’un cancer à l’estomac, elle disait dans le documentaire Empreintes diffusé sur France 5 : « La seule chose dont je sois sûre, c’est que je n’aurai jamais fini d’apprendre et de découvrir. Après chaque concert, on sort avec de nouvelles idées, de nouveaux défis. C’est ce qui fait cette profession fascinante. » Gageons que la pianiste synesthésique a encore bien des couleurs à nous faire voir.
Sixtine de Gournay