Le général Dominique Trinquand, ancien chef de la mission militaire française à l’ONU, était l’invité de Guillaume Durand ce matin sur Radio Classique. Malgré ses annonces mercredi, Vladimir Poutine semble encore loin de pouvoir enrayer la mauvaise dynamique russe en Ukraine, estime le général.
Vladimir Poutine poursuit « sa fuite en avant » sur le terrain et se retrouve lâché par la Chine, l’Inde et la Turquie
Un « dialogue nucléaire » va sans doute s’ouvrir après la menace prononcée par le président russe hier, estime le général Trinquand. Vladimir Poutine, en mauvaise posture après la percée ukrainienne dans les régions de Kharkiv et de Kherson, s’est dit prêt à répondre au « chantage nucléaire » et à utiliser « sans aucun doute toutes les armes à [sa] disposition ». Mais en réalité, « Vladimir Poutine se garde bien de parler du nucléaire » dans son arsenal, remarque le général. Celui-ci reste confiant dans la dissuasion nucléaire : « les pays de l’OTAN fournissent tant d’armement à l’Ukraine parce qu’ils savent très bien que Poutine ne franchira pas la ligne rouge. Donc la menace nucléaire sanctuarise ces territoires de l’OTAN. Mais malheureusement pour les Ukrainiens, ils n’appartiennent pas à l’OTAN et n’ont pas d’armes nucléaires donc ils sont vulnérables », nuance-t-il. Le déclenchement de l’arme nucléaire fonctionne en Russie via un cercle décisionnel comme en France, explique le général : le président, le ministre de la Défense et le chef d’Etat-major décident. Mais la chaîne de commandement reste capitale : l’invité de Guillaume Durand rappelle qu’un officier marinier russe chargé de lancer une torpille nucléaire contre les Etats-Unis en 1962 avait refusé de tirer le missile.
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Vladimir Poutine poursuit « sa fuite en avant » sur le terrain et se retrouve de plus en plus isolé, poursuit le général Trinquand. La semaine dernière, lors d’une réunion de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) en Ouzbékistan, le président russe a essuyé un revers de la part des Chinois, des Indiens et des Turcs. « Il est un peu lâché par tout le monde », insiste le général : même le porte-parole chinois s’est prononcé en faveur d’un cessez-le-feu mercredi. Selon l’expert, Vladimir Poutine a « raté une occasion extraordinaire » en mars dernier lors de négociations à Istanbul, lorsque le président ukrainien Volodymyr Zelensky se disait prêt a renoncer à entrer dans l’OTAN et à ouvrir 15 ans de discussion sur les conflits territoriaux. Etant donné la dynamique actuelle, le président ukrainien, « plus agressif », demande aujourd’hui de revenir aux frontières du pays avant 2014. « Vladimir Poutine s’est mis dans une situation très difficile », martèle-t-il. Les référendums visant l’annexion des républiques séparatistes en Ukraine orientale ne seront pas plus utiles, car « ils ne seront reconnus par personne ».
La mobilisation des réservistes décrétée hier est impopulaire en Russie et va demander beaucoup de temps
Il y a encore deux semaines, peu de monde envisageait une contre-attaque ukrainienne si fulgurante. Les Ukrainiens, avec « une très bonne préparation », ont profité de l’activité au sud du pays, autour de Kherson, pour réunir deux brigades dans le Nord et percer dans la région de Kharkiv au nord-est, explique le général. Au sud également, « l’opération en cours continue d’étouffer les Russes en isolant leurs forces à droite de la rivière Dniepr ». L’état-major russe, très rigide, est en souffrance : « tout passe par le Kremlin, ça ne leur permet pas de réagir immédiatement », pointe le général, alors que l’armée ukrainienne s’illustre par sa flexibilité et sa rapidité.
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Pour remédier à ce fiasco sur le terrain, Vladimir Poutine a annoncé hier la mobilisation de 300.000 réservistes. « Un aveu de faiblesse et une demi-mesure », estime le général Dominique Trinquand, qui va provoquer le désarroi de la population concernée et le courroux des nationalistes extrémistes, qui souhaitaient des mesures plus dures. C’est d’ailleurs le ministre de la Défense Sergueï Choïgou qui sert de « fusible » et endosse la responsabilité de cette mesure, au cas où elle échouerait. « Cette mobilisation décrétée va prendre du temps : il faut acheminer ces soldats et leur donner un matériel sérieux », poursuit le général.
Clément Kasser