Offenbach rime avec bonne humeur. La Belle Hélène, Orphée aux Enfers… ses opérettes réjouissent le Tout Paris, à l’heure où Haussmann transforme la physionomie de la capitale tandis que Bismarck arme la Prusse. A la veille de la guerre de 1870, le Second Empire préfère s’amuser. Passage en revue de quelques succès restés au répertoire.
Orphée aux Enfers est une parodie d’Orphée et Eurydice de Gluck
Depuis 1855, Offenbach produit des opéras comiques dans deux salles parisiennes, passage Choiseul l’hiver et sur les Champs-Elysées le reste de l’année. Avec Orphée aux Enfers il signe sa première œuvre d’envergure. C’est aussi le début d’une longue et fructueuse collaboration avec le librettiste Ludovic Halévy, bientôt rejoint par Henri Meilhac. L’ouvrage est un énorme succès.
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A l’époque, tout le monde connaît le mythe d’Orphée, poète musicien qui va chercher aux Enfers sa femme décédée d’une morsure de serpent. Gluck avait immortalisé le héros avec son air “J’ai perdu mon Eurydice, rien n’égal mon malheur”. Offenbach parodie à la fois la mythologie et l’opéra, en transformant les héros en un couple désuni, batifolant chacun de leur côté, et ne maintenant les apparences que pour satisfaire l’Opinion Publique. L’opérette emprunte au vaudeville ses ingrédients les plus efficaces, chassé-croisé amoureux et maîtresse dans le placard. Le pouvoir politique n’est pas épargné par la satire : les dieux de l’Olympe s’ennuient et Jupiter se transforme en mouche pour séduire Eurydice. On a vu plus glamour comme métamorphose !
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La Belle Hélène : les mythes de l’Antiquité à nouveau tournés en dérision
Puisque la caricature de la mythologie antique a tant plu au public d’Orphée aux Enfers, Offenbach recommence dans La Belle Hélène. Le roi Ménélas devient un mari falot et ridicule, réduit au rôle “d’époux de la reine”. La prosodie volontairement décalée avec la musique crée un jeu de mots : “les poux de la reine”. Le public est ravi ! « On a ri au dialogue et aux couplets, on a ri à tout », rapporte le journal La Comédie. Dix ans plus tôt, Berlioz avait traité le sujet de la guerre de Troie dans son grand opéra Les Troyens. A l’inverse, rien de tragique chez Offenbach : puisqu’on est dans l’opérette, tout devient dérision. La grandeur de l’histoire antique est rabaissée à une banale histoire d’adultère. Le comique vient autant des situations que des répétitions de mots – procédé qu’on retrouvera quelques années plus tard dans le “Sextuor de l’alphabet” de La Grande Duchesse de Gérolstein.
J-D. Florez chante « Le Jugement de Pâris » de La Belle Hélène (“Au mont Ida”)
Les Contes d’Hoffmann n’est pas une opérette : Offenbach (re)deviendrait-il sérieux sur le tard ?
Est-ce le contexte d’après-guerre, le changement d’époque après la chute du Second Empire et l’avènement de la Troisième République ? Toujours est-il que Les Contes d’Hoffmann se démarque des œuvres précédentes. On est loin de la légèreté de l’opérette. Même les passages comiques ont une résonance tragique, tel l’air “Les oiseaux dans la charmille” chanté par une poupée mécanique que l’anti-héros croyait être une femme réelle. Delibes s’était déjà emparé de ce conte d’ETA Hoffmann pour son ballet Coppélia. L’opéra d’Offenbach est un assemblage de plusieurs contes fantastiques de l’écrivain, avec comme fil conducteur la poursuite de l’idéal féminin. Ainsi chacun des trois actes se concentrent sur une femme différente (la poupée Olympia, la chanteuse Antonia à la santé fragile, et la courtisane Giulietta), toutes finalement incarnées par Stella, celle que le poète Hoffmann aime désespérément.
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Offenbach n’a terminé ni l’orchestration ni les récitatifs lorsqu’il meurt en 1880. Cependant les répétitions ont déjà commencé à l’Opéra-Comique. Ernest Guiraud se charge donc d’apporter les dernières finitions, lui qui avait aussi composé des récitatifs pour Carmen à la mort de Bizet. La création des Contes d’Hoffmann est un succès, prouvant au monde entier qu’Offenbach sait aussi composer autre chose que des plaisanteries musicales. Ce n’est pourtant pas la première fois qu’il écrit une œuvre “sérieuse”. Outre les pages instrumentales de sa jeunesse – dont un concerto pour violoncelle – Offenbach avait aussi composé un opéra romantique, Les Fées du Rhin, représenté à Vienne en 1864. Offenbach en réutilise d’ailleurs la Barcarolle dans les Contes d’Hoffmann.
“Cancan” et “Rondo du brésilien” ont été repris dans un ballet au XXème siècle
En 1938, le compositeur et chef d’orchestre Manuel Rosenthal assemble pour les Ballets russes de Monte-Carlo un pot-pourri d’airs d’Offenbach. Le titre La Gaité parisienne fait référence à l’opérette de celui-ci La Vie parisienne – avec laquelle on le confond parfois. On retrouve dans ce ballet chorégraphié par Massine plusieurs mélodies bien connues du compositeur, comme le Rondo du brésilien ou le fameux cancan devenu un grand classique du Moulin rouge.
Cancan de La Vie parisienne, repris dans La Gaîté parisienne
Une énergie rythmique débordante, des airs faciles à retenir avec leur structure en couplet/refrain et leurs mélodies enjôleuses, voilà sans doute quelques recettes qui ont participé au succès d’Offenbach. Ses multiples clins d’œil, aussi bien à la politique qu’aux œuvres lyriques de l’époque, faisaient aussi sans aucun doute les délices du public du Second Empire. On manque parfois aujourd’hui de références pour saisir toutes les allusions. Mais la bonne humeur de (presque toute) la musique d’Offenbach reste contagieuse.
Sixtine de Gournay