Le Concerto pour piano n°1 de Johannes Brahms

En 1855, Johannes Brahms écrit à Clara Schumann : « Si vous saviez ce que j’ai rêvé cette nuit. J’avais utilisé ma malheureuse symphonie pour en faire un concerto pour piano que je jouais ». Le Premier Concerto naît donc d’abord d’une idée “symphonique”. Explications.

Pressé par Schumann, Brahms écrivit une symphonie… en réutilisant une sonate pour 2 pianos

Robert Schumann (1810-1856) eut une influence considérable sur Brahms qu’il considérait selon ses propres termes comme un « messie musical ». En 1854, il suggéra à son jeune confrère de composer une symphonie. Elle ne vit le jour que vingt-deux ans plus tard, Brahms repoussant sans cesse l’instant de ce qu’il imaginait être une confrontation avec l’œuvre de Beethoven ! Des années plus tard, il confia sans fard son angoisse au chef d’orchestre Hermann Levi (1839-1900) : « Vous n’avez pas idée, ce que c’est que d’entendre en permanence un tel géant (Beethoven) qui marche derrière vous ».

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Il se décida finalement à répondre à la demande pressante de son ami Robert Schumann. Toutefois, ce ne fut pas encore une symphonie qui vit le jour, mais une sonate pour deux pianos en ré mineur ! Dans la foulée, il en orchestra le premier mouvement afin de concrétiser un projet de symphonie. Il envisagea même la possibilité d’une marche funèbre dont les esquisses furent reprises pour la seconde partie d’Un Requiem Allemand. Mais, une autre idée mûrit.

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Clara reçut une lettre de Brahms : « je consacre ces journées à peindre un tendre portrait de toi qui doit tenir lieu d’adagio ».

En 1856, l’année de la mort de Robert Schumann, le ton des lettres entre Clara et Brahms a changé et laisse peu de doute quant à la nature de leurs relations. Le “tendre portrait” est le fameux Concerto dont la création a lieu le 22 janvier 1859 à Hanovre, sous la direction du violoniste et chef d’orchestre Joseph Joachim (1831-1907). Le compositeur en était le soliste. Cinq jours plus tard, l’œuvre fut rejouée par l’Orchestre du Gewandhaus de Leipzig. Ce fut un véritable fiasco, le plus retentissant de toute la carrière de Brahms.

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En effet, le public fut pour le moins désappointé de découvrir un concerto dans lequel le piano est à la fois puissant, mais totalement intégré aux pupitres de l’orchestre. La tradition imposait en effet que la partie du soliste domine sans réserve. La critique ne se priva pas de regretter l’ampleur d’une écriture orchestrale plus symphonique que concertante. Elle ne répondait pas aux critères habituels du genre. Il y avait en effet de quoi s’interroger. On hésita entre la définition d’un nouveau concerto ou bien d’une “ballade nordique” avec piano. En effet, le Concerto privilégie un climat étrange et fantastique, embrumé de légendes, bien éloignées du brio nécessaire à ce type de partition. Pour autant, et cela explique en partie le charme envoûtant de l’œuvre, coexistent à la fois cet imaginaire puisé dans les contes nordiques mais aussi une réalité sonore beaucoup plus terrienne.

 

Le piano apparaît après une longue introduction orchestrale. L’écriture du piano est dénuée de virtuosité spectaculaire, même si la force physique et la technique qu’il réclame de la part du soliste s’avèrent impressionnantes.

Le premier mouvement, Maestoso en ré mineur, est construit à partir d’une architecture caractéristique de la musique baroque. Il s’agit d’une basse chromatique de lamento. Ce n’est pas le moindre des paradoxes que d’entendre ainsi l’une des œuvres phare du romantisme puiser son inspiration dans l’écriture du XVIIIe siècle ! Le sentiment de liberté que l’on perçoit dès les premières mesures contraste avec un respect de la forme classique de la sonate. Tout indique dans ce premier mouvement que Brahms hésita à déployer un thème aussi puissant dans son concerto. Ne devait-il pas le mettre en réserve pour une symphonie ultérieure ? L’instrument soliste ne cherche pas à entamer une lutte contre l’orchestre à l’instar des trois derniers concertos pour piano de Beethoven. Bien au contraire, il fusionne avec les sonorités de l’orchestre. Brahms évite soigneusement tous les traits inutilement enflammés, les bravades pyrotechniques dont le public de l’époque est si friand. Malgré cela, le lyrisme de cette première page ne cesse de croître. L’écriture gagne en densité expressive avec un dialogue de plus en plus serré, sans que le piano n’assure une quelconque domination. Plus déroutant encore, le mouvement se conclut dans un climat inattendu de ballade nordique. Le final ne fait pas mystère de l’hommage rendu à Robert Schumann.

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Le second mouvement s’apparente à la confidence d’un Brahms amoureux qui s’interroge douloureusement sur l’avenir improbable de son union avec Clara.

L’Adagio en ré majeur qui suit avait été préalablement annoté : Benedictus qui venit in nomine Domini… Est-ce le prolongement de l’hommage à Schumann auquel nous faisions allusion ? Il s’agit aussi d’un message plus secret, adressé à Clara. Les deux parties du mouvement sont parfaitement symétriques. Leur traitement permet de varier avec virtuosité les atmosphères du même thème. Intimiste tout d’abord (les cordes jouent avec sourdine, accompagnées par le cor), il apparaît ensuite d’une veine beaucoup plus lyrique et passionnée dans sa réexposition. Une étonnante et brève coda, introduite par un trille, conclut l’Adagio.

2ème mouvement « Adagio » du Concerto n°1 (Vladimir Ashkenazy, Orchestre Philharmonique de Los Angeles, dir. Carlo-Maria Giulini)

 

 

Le final, Allegro ma non troppo en ré mineur, apporte un saisissant contraste. Ce rondo-sonate qui fut composé bien après les deux premiers mouvements nous emmène dans une danse effrénée teintée d’une touche d’humour paysan. Six thèmes s’entremêlent dans l’esprit de la variation, que Brahms maîtrisait déjà à la perfection dans ses œuvres pour piano seul. Une fois encore, l’écriture surprend par la richesse de l’inspiration, mais aussi la rigueur de la construction. On remarque notamment que les tutti et les soli sont, tout comme dans le Maestoso, répartis à égalité entre le soliste et l’orchestre. Bien vite, l’horizon s’éclaircit dans la tonalité de ré majeur et la coda qui semble faire table rase des doutes et des conflits passés.

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Comme pour la plupart de ses œuvres symphoniques, concertantes ou de musique de chambre, Brahms réalisa une version pour piano à quatre mains de ce Premier Concerto pour piano. Quand au Second, il ne devait voir le jour que 20 ans plus tard…

 

Stéphane Friédérich

 

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