Le Concerto de Dvorak, l’Everest du violoncelle

Monument du répertoire pour violoncelle, le Concerto en si mineur est pratiquement achevé lorsque Dvorak rentre des Etats-Unis. Œuvre mélancolique, il recèle un discret hommage à la belle-sœur du compositeur. Mais il est surtout remarquable par son équilibre entre soliste et orchestre, le rôle important confié aux instruments à vent, et l’équilibre global de ses trois mouvements.

Dvorak découvre les possibilités de l’orchestre en jouant les œuvres de Smetana

Né en République tchèque (alors territoire de l’Empire austro-hongrois), Dvorak gagne un temps sa vie en jouant de l’alto dans l’orchestre de l’Opéra de Prague. Il se familiarise ainsi avec les œuvres du répertoire, et découvre celles du « père de la musique tchèque » : Smetana. Dvorak en restera profondément marqué. Il y découvre la possibilité d’une synthèse entre la musique savante occidentale et les traditions populaires slaves. Dans la première, il puise les grands genres (symphonie, quatuor à cordes, concerto, etc.), les formes académiques qui les structurent (forme-sonate, scherzo, etc.), et les principes d’harmonie de la musique tonale. Au folklore, il emprunte des rythmes, un certain lyrisme mélodique et des références aux légendes populaires qui lui inspireront opéra et poèmes symphoniques. Cette expérience de jeunesse dans l’orchestre sera en outre bientôt utile à Dvorak. Mariage des timbres, écriture propre à chaque instrument ou équilibre d’ensemble, il s’en souviendra lorsqu’il composera ses propres partitions symphoniques.

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Composé entre Etats-Unis et Europe, le Concerto pour violoncelle rend un hommage musical à la belle-sœur du compositeur

En 1892, le Conservatoire de New York offre à Dvorak le poste de directeur. Le compositeur part donc s’installer aux Etats-Unis. Il y écrit sa Neuvième Symphonie « Nouveau Monde » et le Quatuor à cordes n°14 « Américain ». Lorsque Dvorak commence à jeter les notes du Concerto pour violoncelle sur le papier, il est parti de son pays natal depuis trois ans. Malgré des allers-retours sur le territoire tchèque pour de brèves vacances, sa patrie lui manque. Le lyrisme mélancolique de l’œuvre, aux accents slaves, en témoigne. Il rentre définitivement en Europe au début de l’année 1895, la partition dans ses bagages.

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La joie de retrouver sa maison et ses proches est cependant mitigée par la grave maladie de sa belle-sœur, Josefina Cermakova Kounicova. Amour de jeunesse du compositeur, elle lui avait préféré un homme plus fortuné. Dvorak avait alors épanché son chagrin dans un cycle de mélodies, Les Cyprès. Puis il avait porté son regard sur sa sœur Anna et l’avait épousée, comme Mozart l’avait fait en son temps Aloysia et Constance Weber. Si elle n’était pas amoureuse de lui, Josefina éprouvait néanmoins de l’amitié pour l’homme et de l’estime pour le compositeur. Son époux et elle-même l’avaient donc accueilli à plusieurs reprises à la campagne. Dvorak lui rend hommage dans le Concerto, en citant deux fois une mélodie qu’elle aimait particulièrement (« Laissez-moi seul », premier des Quatre Chants op.82 pour soprano et piano, composés en 1887). Cette allusion musicale existe déjà dans l’Adagio lorsque le Dvorak rentre des Etats-Unis. En revanche, il modifie le Final après la mort de sa belle-sœur en mai 1895 pour y insérer une seconde citation de la même mélodie.

Final du Concerto pour violoncelle en si mineur (Truls Mørk, Orchestre Philharmonique d’Oslo, dir. Eivind Gullberg Jensen)

 

 

“Le” Concerto pour violoncelle de Dvorak est en fait… le deuxième !

Le Concerto pour violoncelle en si mineur n’est pas le premier essai de Dvorak en la matière. En 1865, il compose un premier concerto en la majeur, pour son ami et collègue du Théâtre provisoire Ludwik Peer. Mais voilà que le violoncelliste part peu après à l’étranger… avec les feuillets autographes ! Dvorak n’a plus jamais revu sa partition, et n’a donc pas pu l’orchestrer, ni la réviser comme il l’a fait avec quelques œuvres de jeunesse. L’œuvre n’a refait surface qu’en 1920, bien après la mort du compositeur.
Le Concerto en si mineur est quant à lui créé à Londres le 19 mars 1896, sous la direction de Dvorak . A l’origine, le soliste devait être son ami et dédicataire Hanus Wihan. Mais lorsque celui-ci veut imposer la cadence qu’il a écrite lui-même, le compositeur se fâche. C’est donc un autre violoncelliste, Leo Stern, qui se voit confier la création de l’œuvre. Sans rancune, Hanus Wihan inscrit néanmoins par la suite le concerto à son répertoire et en devient même un fervent interprète.

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La partition confie un rôle important aux instruments à vent, comme chez Brahms

Dvorak se montrait très content de cette œuvre, écrite en à peine trois mois, comme en témoigne une lettre à son ami compositeur Joseph Foerster au début de l’année 1895. La longue introduction orchestrale montre d’emblée l’importance des vents. Le timbre doux de la clarinette dans le medium grave tempère le caractère quasi militaire du premier thème, tandis que le cor offre un son boisé à la cantilène du second motif, à la manière de Brahms. Ami de Dvorak, le maître de Hambourg l’avait aidé au début de sa carrière en le recommandant à son éditeur. Nombre de commentateurs s’accordent d’ailleurs sur la ressemblance entre le thème initial du premier mouvement et celui qui ouvre le deuxième mouvement de la Quatrième Symphonie de Brahms. Hommage conscient ou réminiscence ? Le solo mélancolique de flûte, qu’accompagnent les bariolages du violoncelle au milieu du premier mouvement, n’est pas sans rappeler le retour du thème chez un autre de ses contemporains : le Concerto pour violon de Tchaïkovsky (1878). Le trio entre hautbois, clarinette et basson apporte une couleur pastorale au début du deuxième mouvement, tandis que les cors donnent une part de mystère au motif de marche qui ouvre le Final, immédiatement repris par les clarinettes puis les violons. Cette instrumentation soignée contraste au premier abord avec les tuttis fortissimo, presque massifs, qui jalonnent les mouvements extrêmes. A la force qui se dégagent de ceux-ci, répond la grande virtuosité du violoncelle. Dvorak manie avec maestria l’équilibre entre masse orchestrale et soliste. D’autant plus que ces passages martiaux alternent avec d’autres d’essence plus mélodique, et souvent mélancoliques. Ce concerto, tout en contraste, prend aux tripes aussi bien ses interprètes que son public. Monument du répertoire, alliant sensibilité et virtuosité, il constitue toujours aujourd’hui un passage obligé pour tout violoncelliste.

 

Sixtine de Gournay

 

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