Faust de Gounod : pourquoi le compositeur mit-il 17 ans à écrire cet opéra ?

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Faust est presque l’oeuvre d’une vie. Cet opéra a occupé l’esprit de Gounod pendant deux décennies, et même plus si on tient compte des modifications apportées après le succès de la création. Il est l’un des ouvrages lyriques français les plus populaires, et pas seulement à cause de Tintin et des Bijoux de la Castafiore.

De la Villa Médicis au Théâtre Lyrique, le long chemin d’un succès

S’il est un opéra qui a longuement mûri dans la tête de son compositeur, il s’agit bien de Faust. Charles Gounod est âgé de 20 ans quand il découvre l’oeuvre de Goethe, et comme tous les jeunes romantiques de l’époque il est fasciné par ce drame qu’il lit dans la traduction de Gérard de Nerval. L’année suivante, en 1839, lauréat du Prix de Rome, Gounod emménage à la Villa Médicis, et emmène son précieux exemplaire de Faust, dont il va appronfondir la lecture. Gounod raconte dans ses Mémoires comment la lecture de ce livre l’a accompagné pendant ces années italiennes, « Cet ouvrage ne me quittait pas, je l’emportais partout avec moi et je consignais, dans des notes éparses, les différentes idées que je supposais pouvoir me servir le jour où je tenterais d’aborder ce sujet comme opéra, tentative qui ne s’est réalisée que dix-sept ans plus tard. » Il faudra en effet ce long délai, presque deux décennies, pour que naisse ce qui deviendra l’opéra le plus populaire de Gounod. Pendant son séjour en Italie, le jeune compositeur voyage et découvre Capri où, pendant une excursion nocturne, il imagine la Nuit de Valpurgis, le ballet de l’acte V de son futur Faust.

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L’expérience italienne touche à sa fin, et Gounod rentre à Paris en faisant un détour par Vienne et Leipzig. Une nouvelle étape dans la gestation de son opéra est franchie le 6 décembre 1846, quand il assiste à la création de La Damnation de Faust de Berlioz. Puis en août 1850 il voit au Théâtre du Gymnase un «drame fantastique», Faust et Marguerite de Michel Carré sur une musique de scène de François-Alexandre Couder. L’année suivante il compose enfin son premier opéra, sur les conseils de la chanteuse Pauline Viardot qui l’a incité à se lancer dans l’aventure lyrique. Ce sera Sapho, avec la cantatrice dans le rôle-titre. Cinq années vont encore passer, quand en 1856 Gounod propose enfin à un célèbre librettiste, Jules Barbier, d’écrire le livret de Faust. Barbier accepte, et s’associe à Michel Carré qu’il connait bien, puisque les deux hommes ont déjà écrit en 1853 le livret des Noces de Jeannettes, opéra de Victor Massé.

 

Après une longue gestation, la création est retardée par une série de contretemps

Pour l’écriture du livret, Barbier et Carré s’inspirent en fait directement de la pièce Faust et Marguerite. Ils resserrent le livret sur l’histoire d’amour tragique du vieux docteur et de la jeune femme. D’ailleurs, puisque l’opéra s’éloigne de la pièce de Goethe, les allemands appelleront l’ouvrage Margarethe. Mais un premier obstacle se dresse devant Gounod, lorsque l’Opéra refuse le projet. Le compositeur ne se décourage pas, et prend contact avec Léon Carvalho, le directeur d’une autre salle parisienne, le Théâtre Lyrique, qui donne son accord. Un second obstacle survient avec la programmation par le Théâtre de la Porte-Saint-Martin d’un drame d’un auteur à succès, Auguste Dennery, intitulé Faust. Après un temps d’hésitation et de doute, Gounod, Barbier et Carré reprennent leur travail et l’opéra est enfin prêt au début du mois de juillet 1858. Mais il faudra encore attendre huit mois pour qu’il soit donné. Le livret est trop long, il faut l’abréger, tandis que Carvalho demande des changements dans la partition pour répondre aux exigences de son théâtre et de son public.

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Gounod peine aussi à trouver la bonne distribution. Ces contrariétés et contretemps provoquent chez lui un état de surmenage, qui amène les médecins à lui prescrire un séjour dans une clinique psychiatrique, retardant d’autant les préparatifs. Gounod va aussi suivre la suggestion du peintre Ingres qui lui conseille de remplacer un air de Valentin, le frère de Marguerite, par un chœur de soldats, composé quelques années plus tôt pour un opéra qui ne verra jamais le jour, Yvan le Terrible. C’est ainsi qu’est né le fameux chœur «Gloire immortelle de nos aïeux». Gounod ne regrettera pas ce changement, car le soir de la première, le 19 mars 1859, il n’y a guère que ce chœur et «l’Air des bijoux» de Marguerite qui soient véritablement applaudis. Selon Léon Carvalho le public trouvait la musique «inintelligible». Gounod lui-même le reconnaît, avec ce bel euphémisme : «Le succès de Faust ne fût pas éclatant; il est cependant jusqu’ici ma plus grande réussite au théâtre.».

Le choeur « Gloire immortelle de nos aïeux »

 

Les débuts sont difficiles, mais très rapidement Faust s’impose et devient populaire

Parmi les spectateurs il y a toutefois Hector Berlioz, aussi féroce que fin observateur, qui comprend que Faust sera vite un succès. Dans Le Journal des Débats il se montre élogieux à sa façon, et fait référence à un opéra comique de Victor Massé créé trois semaines plus tôt: «J’ai dit, en parlant de la Fée Carabosse que ce pourrait bien être le succès de la veille. Faust est à coup sûr le succès du lendemain.» Berlioz ne se trompe pas et Faust, malgré des débuts hésitants, est programmé 57 fois pour cette seule année 1859. Un record! Bien plus, en tout cas, que les autres opéras alors à l’affiche à Paris. Outre Gounod, un autre homme se réjouit à double titre de ce succès, il s’agit de Léon Carvalho. Faust lui assure sa fortune financière, mais aussi une satisfaction plus personnelle, puisque la créatrice du rôle de Marguerite n’est autre que sa femme, la soprano Caroline Miolan-Carvalho. Elle créera d’ailleurs deux autres opéras de Gounod, Mireille en 1864, et Roméo et Juliette en 1867. Faust sera ensuite joué en province, notamment à Strasbourg en 1860, dans une version légèrement modifiée, puisque les dialogues de la création parisienne, sont orchestrés.

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Faust entre par la suite à l’Opéra de Paris en 1869, là aussi avec des récitatifs chantés, et avec l’ajout d’un ballet, la fameuse «Nuit de Valpurgis». Entretemps, Faust a conquis La Scala de Milan en 1862 et le Covent Garden de Londres, en italien avec à nouveau Caroline Miolan-Carvalho dans le rôle de Marguerite. Depuis, le succès de Faust ne s’est jamais démenti, c’est même cet opéra qui est choisi pour l’inauguration du Met de New-York le 22 octobre 1933.

 

Avec Faust, Gounod engage un renouvellement de l’opéra français

Avec Faust, Gounod s’éloigne des conventions du grand opéra français, telles que Meyerbeer les avaient définies. Le drame se fait plus intime, la virtuosité vocale n’a plus le même rôle, la mélodie est plus simple, et semble plus que jamais adaptée au rythme du texte, soutenue par une orchestration expressive. Alors que Faust est déjà célèbre dans le monde entier, Claude Debussy aura en 1906 ces mots très justes: «L’art de Gounod représente un moment de la sensibilité française. C’est de la beauté en puissance qui éclate au moment où il le faut, avec une force fatale et secrète».

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Gounod alterne avec bonheur les airs, les duos, les chœurs et les parties orchestrales. Faust a été immortalisé par «l’Air des bijoux», qui est au centre de l’album d’Hergé Les Bijoux de la Castafiore, mais aussi par le roman Le Fantôme de l’Opéra de Gaston Leroux. Outre cet air de Marguerite «Ah, je ris de me voir si belle» et le chœur «Gloire immortelle de nos aïeux», l’air de Faust «Salut! Demeure chaste et pure», et le rondo de Méphistophélès, «Le veau d’or est toujours debout», ainsi que l’air de Valentin, «Avant de quitter ces lieux» et celui de Siebel, «Faites-lui mes aveux», ont contribué à la popularité de Faust, qui après Carmen de Bizet est l’un des opéras français les plus joués au monde. Faust marque aussi une étape importante dans l’opéra français. Il ouvre la voie à un autre chef-d’oeuvre de Gounod, Roméo et Juliette, mais aussi à Bizet, Massenet et Saint-Saëns.

 

Jean-Michel Dhuez

 

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