Le Chef d’orchestre russe Evgeny Mravinsky est resté cinquante ans à la tête de l’Orchestre philharmonique de Leningrad (Saint-Pétersbourg), de 1938 à 1988, dans un pays traversé par des convulsions politiques et tragiques. Un exploit. Son allure austère et son style très sobre lui ont-ils servi de paravent ? Toujours est-il qu’il a réussi à élever son orchestre et ses concerts au plus haut niveau de qualité, que ce soit pour créer les symphonies de Chostakovitch ou pour interpréter le grand répertoire classique. Son perfectionnisme proche de celui de Toscanini, pourtant bien différent de caractère, le range dans la catégorie des grands chefs d’orchestre autoritaires qui nous laissent des enregistrements mémorables.
Evgeny Mravinsky en 10 dates :
- 1903 : Naissance à Saint-Pétersbourg
- 1924 : Admission au Conservatoire de sa ville
- 1938 : Nommé directeur de l’Orchestre philharmonique de Leningrad
- 1943 : Création de la Huitième Symphonie de Chostakovitch
- 1960 : Première tournée en Europe de l’Ouest
- 1962 : Rupture avec Chostakovitch
- 1967 : Enregistrement de la 7ème Symphonie de Bruckner
- 1984 : Dernier enregistrement (12ème Symphonie de Chostakovitch)
- 1987 : Dernier concert (Symphonie inachevée de Schubert)
- 1988 : Mort à Leningrad
Né dans une famille aristocratique, proche du tsar, Mravinsky reçoit une éducation très solide et suit des études scientifiques avant d’entrer au conservatoire.
Il apprend le piano dans un environnement familial ouvert à la musique, mais la révolution de 1917 et la mort de son père l’année suivante mettent sa famille en difficulté et obligent le jeune Evgeny à gagner sa vie rapidement tout en poursuivant ses études. Après un premier échec, il est tout de même admis au Conservatoire en classe de composition et de direction d’orchestre, dont il sort diplômé en 1931. Son premier emploi est celui de pianiste répétiteur de ballet. Puis il est engagé comme deuxième chef d’orchestre au Théâtre d’opéra et de ballet de Leningrad, le théâtre Mariinsky.
En 1938, Mravinsky remporte le concours national de chef d’orchestre et devient le nouveau directeur de l’Orchestre philharmonique de Leningrad.
Chostakovitch lui confie la création de plusieurs symphonies, notamment sa Cinquième en 1937 (peu avant le concours) et sa Huitième qu’il lui dédie en 1943. Leur amitié sera longtemps fructueuse, jusqu’en 1962 où Mravinsky refuse de créer la Treizième inspirée par un texte controversé du poète Evtouchenko sur la passivité russe (contestée par le pouvoir) dans le massacre antisémite de Babi Yar en Ukraine par les nazis en 1941. Ce désaccord n’empêchera pas Mravinsky de continuer de jouer et enregistrer d’autres symphonies du compositeur. En 1976, quelques mois après la mort de Chostakovitch, il grave la Dixième symphonie de son compatriote, qu’il avait créée en 1953.
A lire aussi
Le chef d’orchestre fait jouer Mozart, Beethoven, Schubert, Brahms, Wagner et même Berlioz et Debussy, aussi bien que les compositeurs russes.
Bien sûr, Tchaïkovski est son compositeur de prédilection et ses interprétations restent des modèles de rigueur et de plénitude musicale. Mais au-delà du répertoire russe, les musiciens de son orchestre n’ont pas eu à se plaindre de sa programmation très complète, de Mozart à Debussy, jusqu’à Bartok.
A lire aussi
Honoré à Vienne, Mravinsky se voit remettre non sans émotion une copie de la partition originale de la Symphonie inachevée de Schubert, dont il est l’un des grands interprètes. Sa première tournée en Europe de l’ouest en 1960 révèle toutes les qualités de son orchestre. Son interprétation de la Symphonie fantastique de Berlioz est impressionnante, poussant très loin le caractère étrange et inquiétant de la Marche au supplice, à la limite de la folie. Quant à l’adagio de la 7ème Symphonie de Bruckner, il est interprété avec un lyrisme et une ferveur qui témoignent d’une grande sensibilité.
Son orchestre est la vraie famille de Mravinsky jusqu’à la fin de sa vie.
Marié quatre fois, sa dernière épouse est la flûtiste solo de son orchestre. Son dernier enregistrement live est pour la 12ème Symphonie de Chostakovitch. Lors de son dernier concert en 1987, il dirige la Symphonie inachevée de Schubert, qu’il n’aura cessé de reprendre tout au long de sa carrière. Un film le montre en répétition de cette œuvre en 1978, fidèle à sa méthode de recherche de la perfection pour chaque mesure, esquissant à peine un sourire de satisfaction après avoir obtenu ce qu’il désirait de ses musiciens. Exigeant avec eux comme avec lui-même, il enchaîne les répétitions et semble avoir tout son temps, préférant ces moments à celui du concert en public. Il lui est même arrivé une fois d’annuler un concert après avoir considéré que la répétition générale avait atteint l’idéal qu’il souhaitait !
Mravinsky en répétition avec son Orchestre philharmonique de Leningrad (Final de la Symphonie n°2 de Brahms)
Il décède en 1988, laissant de nombreux enregistrements des grands chefs d’œuvre du répertoire classique. Pris sur le vif, il préférait ces live aux enregistrements en studios.
Mariss Jansons apprend son métier auprès de lui, et obtiendra par la suite des postes prestigieux à Oslo, Amsterdam et Munich. Mais le successeur de Mravinsky sera un autre de ses assistants, Iouri Temirkanov, toujours en poste en 2020.
Philippe Hussenot