Jacqueline Du Pré reste la référence incontournable dans le Concerto pour violoncelle d’Elgar. Mais quelle que soit l’œuvre interprétée, sa fougue et sa musicalité instinctive séduisent toujours son public. Avec Daniel Barenboim, elle forme un couple mythique immortalisé par leurs disques. Mais la sclérose en plaque interrompt brusquement sa carrière, un destin tragique qui a contribué à forger sa légende.
Jacqueline Du Pré en 6 dates :
- 1945 : Naissance à Oxford
- 1949 : commence le violoncelle à 4 ans
- 1965 : Enregistre le Concerto d’Elgar avec John Barbirolli
- 1967 : Epouse Daniel Barenboim
- 1972 : Est atteinte de sclérose en plaque
- 1987 : Mort à Londres
Le violoncelle fascine Jacqueline Du Pré dès son plus jeune âge
Jacqueline Du Pré découvre le violoncelle à 4 ans, à la radio. Elle raconte au réalisateur Christopher Nupen avoir choisi cet instrument parce qu’elle était “fascinée par le son que produit l’archet sur la corde”. Elle apprend ses premiers rudiments de musique avec sa mère pianiste. Celle-ci, pour la motiver dans le travail de l’instrument, lui compose des chansons qu’elle décore de dessins. Mère et fille les jouent ensemble : voilà ses débuts en musique de chambre. Puis, à six ans, l’enfant rejoint la London Cello School. Elle montre déjà une grande sensibilité musicale et un sens inné du phrasé.
Rostropovitch, Casals et Tortelier lui ont chacun transmis leur art
A 10 ans, Jacqueline joue Le Cygne de Saint-Saëns au violoncelliste William Pleeth, qui la prend aussitôt dans sa classe à la Guildhall School of Music de Londres. Elle y reste pendant sept ans. “C’est lui qui m’a enseigné toutes les bases de mon jeu. J’ai trouvé très excitant et très intéressant de travailler avec [de grands violoncellistes] par la suite. Mais c’est lui mon vrai maître, mon daddy cello” confie-t-elle à Christopher Nupen dans une interview de 1967 (reprise dans son film Jacqueline Du Pré and the Elgar cello concerto). Un témoignage touchant, quand on sait avec quelles légendes du violoncelle la jeune fille a eu le privilège de travailler ensuite. A 15 ans, elle participe aux masterclass de Pablo Casals à Zermatt. A Darlington, elle rencontre Paul Tortelier, et part à Paris pour travailler avec lui. Puis elle se rend à Moscou pour recevoir l’enseignement de Rostropovitch. De ces différents maîtres, elle semble avoir tiré sa propension à allonger l’archet (Pleeth), son vibrato généreux (Casals), et sa sûreté de main gauche (Tortelier). Quant à Rostropovitch, elle partage avec lui la virtuosité et un instinct musical infaillible.
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Le pianiste et chef d’orchestre Daniel Barenboim est son partenaire sur scène comme à la ville
En 1966, elle rencontre Daniel Barenboim chez un ami commun, le pianiste Fou Ts’ong. Les deux artistes se marient l’année suivante à Tel-Aviv. Leur duo fonctionne aussi sur scène. Ensemble, ils gravent notamment les sonates de Brahms et de Chopin, les concertos de Haydn, de Dvorak et de Schumann. Ils jouent aussi fréquemment avec le violoniste Pinchas Zukerman, avec lequel ils enregistrent des trios de Beethoven. “Je n’avais jamais rencontré avant – ni depuis – quelqu’un capable de dialoguer musicalement à ce point”, raconte Daniel Barenboim dans un autre film de Christopher Nupen, Who is Jacqueline Du Pré ? Et Zubin Mehta de compléter : “lorsqu’elle jouait, elle ne se donnait pas seulement elle-même, mais elle donnait aussi à son collaborateur, que ce soit Daniel [Barenboim] au piano, moi l’accompagnant en dirigeant l’orchestre, ou en trio avec Pinky (Pinchas Zukerman, ndlr). Elle donnait et recevait de manière totalement instinctive.”
C’est durant cette période que Jacqueline Du Pré acquiert un violoncelle moderne fabriqué par Sergio Peresson, un luthier de Philadelphie.
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La maladie la force à interrompre sa brillante carrière musicale
En 1972, en se préparant pour un concert, Jacqueline Du Pré ne sent brusquement plus ses doigts. Malheureusement, ce n’est pas une simple manifestation du trac. Le diagnostic tombe bientôt : sclérose en plaque. Un an plus tard, la violoncelliste doit renoncer à jouer. Elle a 28 ans. Courageuse, elle tente de rester tant bien que mal dans le monde de la musique. Elle prête sa voix pour un enregistrement du Carnaval des animaux de Saint-Saëns et Pierre et le loup de Prokofiev. Et surtout, elle tâche de transmettre son art en donnant des cours privés et des masterclass. A défaut de jouer, elle chante le phrasé et les doigtés aux élèves.
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En 1976, elle est faite officier de l’ordre de l’Empire britannique, et reçoit l’Oscar britannique du musicien de l’année en 1980. Elle meurt en 1987, à l’âge de 42 ans.
Le Concerto pour violoncelle d’Elgar lui est irrémédiablement attaché dans l’esprit du public
En 1962, Jacqueline Du Pré donne le Concerto d’Elgar en concert pour la première fois, au Royal festival Hall de Londres. Le lendemain, le critique anglais Neville Cardus décrit son jeu dans The Guardian comme “un chant du cygne d’une rare beauté évanescente.” Jacqueline a alors 17 ans. Ce concerto la suivra jusque dans la tombe. En 1965, elle l’enregistre avec l’Orchestre Symphonique de Londres, dirigé par John Barbirolli. Un disque salué à l’international, et qui fait toujours référence aujourd’hui. Mieux que personne, elle sait en exhaler toute la mélancolie, en même temps que la fougue passionnée. Elle joue alors le “Davidov”, un Stradivarius de 1712 offert par un donateur anonyme via un cabinet juridique. C’est le deuxième violoncelle du célèbre luthier italien à entrer en sa possession. En 1961, pour ses débuts au Wigmore Hall de Londres, elle jouait un Stradivarius de 1673.
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Lorsque la maladie l’empêche de jouer, elle enseigne son concerto fétiche. Elle dicte aussi ses doigtés à son ami Moray Welsh, lui aussi violoncelliste, pour léguer une partition à ses élèves.
1er mouvement du Concerto d’Elgar, avec le London Philharmonic dirigé par Daniel Barenboim en 1967
Sa personnalité reste inoubliable, à travers ses disques et des films
Sa présence phénoménale en scène est perceptible dans les films qui la montrent en train de jouer. On est tout de suite saisi par l’intensité extrême de son jeu, tant dans la sonorité que dans l’interprétation. La même impression se dégage de ses disques. Zubin Mehta la décrit comme “un mustang sauvage.” Elle jouait d’instinct, avec une immense sincérité qui touche au cœur toux ceux qui l’écoutent. Magnétique et incroyablement généreuse. Celle que ses amis surnommaient “Smiley” (parce qu’elle souriait tout le temps et s’émerveillait de tout) a légué son Stradivarius “Davidov” à Yo-Yo Ma. Pinchas Zukerman résume dans le film Remembering Jacqueline Du Pré : “un talent à l’état pur, inné. C’est ce qu’on appelle le génie.”
Sixtine de Gournay
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