La Symphonie inachevée est l’une des œuvres les plus mystérieuses de l’histoire de la musique, et l’une des plus douloureuses de Schubert. Pourquoi le compositeur n’a-t-il terminé que deux mouvements, sur les quatre que comporte en général une symphonie à son époque ?
Le titre « Inachevée » n’est pas de Schubert. Il a esquissé un 3ème et un 4ème mouvement avant de laisser son œuvre en l’état.
En tête de la partition, Schubert a écrit la date du 30 octobre 1822, qui serait le jour où il a commencé à composer sa symphonie. Ce n’est pas la première fois qu’il laisse une œuvre inachevée. En 1821, il a abandonné des « fragments symphoniques » et des esquisses d’une symphonie en mi majeur dont 111 mesures sont orchestrées. La différence avec la Symphonie en si mineur dite « Inachevée », c’est que pour celle-ci les deux premiers mouvements sont entiers. Et c’est une œuvre si profonde et si caractéristique du génie schubertien que l’on peut la considérer achevée.
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Du reste, il n’est pas à exclure que Schubert lui-même la tenait pour terminée. Au dos de la fin du 2ème mouvement, on trouve le début d’un Scherzo. On a retrouvé dix mesures supplémentaires sur une feuille volante, peut-être détachée par le compositeur. L’hypothèse la plus probable est qu’il a commencé une autre œuvre pour honorer une commande plus rémunératrice (Wanderer Fantaisie) et qu’il n’a plus retrouvé l’énergie sombre et désespérée qui a présidé à la composition de cette œuvre. À son éditeur, qui lui demandait pourquoi sa Sonate pour piano op. 111 était en deux mouvements seulement, Beethoven répondit : « Je n’ai pas eu le temps d’en écrire un troisième. » Pour Schubert, qui n’avait pas l’humour de Beethoven, il semblerait que ce soit : « Je n’ai pas eu la force de m’y replonger. »
Dès le premier thème de la symphonie, « un enfant reconnaîtrait l’auteur », a écrit le critique Hanslick, grand ami de Brahms.
L’œuvre commence par un murmure des cordes basses. Impossible de décrire l’originalité profonde de cette œuvre écrite dans la tonalité rare de si mineur, que Tchaïkovski reprendra pour sa Symphonie n° 6. Le deuxième mouvement est en mi majeur (la mort est souvent en mode majeur chez Schubert) et module beaucoup. On retiendra les pizzicati obsédants des cordes, les couleurs de trombones, de hautbois et de clarinette, le dramatisme et la tendresse du 1er mouvement s’opposant au caractère de marche du second mouvement qui évolue vers un choral. Les thèmes sont généralement descendants (l’ensevelissement schubertien) à l’exception d’un thème aux vents dans le second mouvement (élévation liturgique ?) Sa popularité ne s’est jamais tarie. C’est toujours l’une des œuvres les plus universellement aimées de l’histoire de la musique.
1er mouvement de l’Inachevée, dirigé par Leonard Bernstein à la tête de l’Orchestre du Concertgebouw
Schubert n’a jamais entendu sa symphonie, qui sera jouée pour la première fois à Vienne près de 40 ans après sa mort.
Ayant été honoré par la Société musicale de Styrie (comme Beethoven) en avril 1823, Schubert promet « une » symphonie en guise de remerciement. Il confie le manuscrit de la Symphonie en si mineur au compositeur Anselm Hüttenbrenner qui estime qu’elle est l’égale des symphonies de Beethoven. Il effectue une réduction à quatre mains et tente en vain de la faire exécuter.
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La création aura lieu à Vienne le 17 décembre 1865 (Schubert est mort en 1828) sous la direction de Johann Herbeck. Il complète l’œuvre avec le finale de la Symphonie n° 3. Plusieurs tentatives d’achever l’Inachevée à partir du matériau existant vont voir le jour. Aucune n’est satisfaisante. Une solution est de terminer l’œuvre par le premier entracte de Rosamunde qui date de la même période et qui est proche par l’esprit. Mais rien ne remplace l’effet fulgurant de ces deux mouvements tombés du ciel.
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Parmi les tentatives récentes, signalons l’initiative de la firme Huawei qui a confié à l’intelligence artificielle le soin d’achever l’œuvre avant de commander la finalisation au compositeur Lucas Cantor. L’exécution a eu lieu à Londres en 2019 au Cadogan Hall devant 500 journalistes sceptiques. En certains cas, la bêtise naturelle convient mieux que l’intelligence artificielle.
Olivier Bellamy