La longévité exceptionnelle de Richard Strauss en a fait le contemporain de Brahms et de Stockhausen. Il a écrit une musique somptueuse avec un métier inouï dans une belle diversité de styles. Héritier de Wagner, il est aussi le disciple de Mozart dans ses opéras.
Richard Strauss en 10 dates :
- 1864 : naissance à Munich
- 1886 : Kapellmeister de l’Opéra de la Cour de Munich
- 1894 : mariage avec la cantatrice Pauline de Ahna
- 1905 : son opéra Salomé fait scandale
- 1906 : rencontre avec Hugo von Hofmannsthal
- 1911 : création du Chevalier à la rose à Dresde
- 1919 : directeur de l’Opéra de Vienne
- 1932 : collaboration avec Stephan Zweig
- 1945 : fuit l’Allemagne pour la Suisse
- 1949 : mort à Garmisch-Partenkirchen à 85 ans
Travailleur et couvert d’honneurs, Richard Strauss possédait une inébranlable confiance en lui et un caractère généreux.
Fils du premier corniste de l’Orchestre royal de Munich et de l’héritière d’un brasseur bavarois, Richard Strauss naît le 11 juin 1864 à Munich. Il commence à composer dès l’âge de 6 ans. Conservateur, son père l’élève dans la tradition mendelssohnienne avant que le violoniste Alexandre Ritter ne lui fasse découvrir Wagner. Strauss suit une formation musicale solide sans rencontrer d’obstacle. À 18 ans, il a déjà composé près de 150 œuvres. De retour d’un voyage en Italie, il devient chef d’orchestre à l’Opéra de Munich et écrit son premier chef-d’œuvre, Don Juan, un poème symphonique dans la lignée de Liszt. Hans von Bülow lui donne le surnom de Richard II. Il trouve un poste à Weimar (la ville de Liszt). Sa virtuosité orchestrale éclate encore avec Till Eulenspiegel, Don Quichotte et des symphonies à programme qui le propulsent parmi les compositeurs les plus en vue de son temps.
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Il se marie avec une cantatrice autoritaire et fantasque qui le rendra heureux jusqu’à sa mort. Pauline est le piment nécessaire à sa « Vie de héros ».
En 1894, les Strauss s’installent à Munich. Leur fils naît en 1897. Après deux opéras qui ne rencontrent pas le succès, Richard Strauss est nommé chef à Berlin et se lance dans la composition de Salomé d’après la pièce d’Oscar Wilde. L’érotisme de l’œuvre et la puissance orgasmique de l’orchestre font scandale. L’opéra est interdit dans beaucoup de capitales, mais fait le tour du monde, notamment à Milan où Toscanini le dirige. Strauss entame une fructueuse collaboration avec le poète Hofmannsthal en adaptant sa pièce Elektra. Tant de brutalité effraie le Kaiser Guillaume II : « J’ai nourri une vipère en mon sein. » Mais les droits d’auteur permettent à Strauss d’acheter sa maison à Garmisch, près de la frontière autrichienne. En plus d’Hofmannsthal, Strauss collabore avec le metteur en scène Max Reinhardt et le décorateur Alfred Roller. Ils forment un carré d’as qui va écrire un époustouflant chapitre de l’histoire de l’opéra.
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En 1920, Hofmannsthal et Reinhardt créent le Festival de Salzbourg. Richard Strauss leur offre son soutien inconditionnel.
Après le brutal, dissonant et virtuose Elektra, Strauss entame un retour en arrière sous l’influence d’Hofmannsthal. Il revient à une veine plus classique et baroque (voire rococo) avec Le Chevalier à la rose, chef-d’œuvre érotique et mélancolique. La collaboration avec Hofmannsthal se poursuit avec Ariane à Naxos, La Femme sans ombre, Hélène d’Égypte, Arabella.
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En 1919, Strauss devient directeur de l’Opéra de Vienne. Chef d’orchestre à la gestique sobre et équilibrée, il est adoré des musiciens. Toujours plein d’humour, il demande un jour à une cantatrice de lui donner son la pour que les musiciens puissent s’accorder sur elle. En 1924, son fils épouse la fille d’un riche industriel juif. Suite à de violentes attaques, Strauss démissionne de son poste à Vienne avec un sentiment d’amertume. Après la mort d’Hofmannsthal, Strauss entame sa collaboration avec Stephan Zweig. De nouveau, un librettiste juif.
L’arrivée des nazis au pouvoir le laisse indifférent. En 1933, Strauss est nommé président de la musique de chambre du Reich.
Apolitique, Richard Strauss trouve l’idéologie nazie stupide, mais n’a pas envie de quitter son pays. « Mozart a-t-il composé de la musique aryenne ? » s’esclaffe-t-il dans une lettre interceptée par la Gestapo. À la création de La femme silencieuse à Dresde, Strauss fait remettre sur l’affiche le nom de Zweig qui a été effacé. Hitler permet, mais fait interdire l’opéra au bout de deux représentations. Strauss doit démissionner de son poste, mais il figure sur la liste des artistes protégés par le régime. Des poignées de mains et des services rendus lui permettent de conserver sa position et surtout de protéger sa bru et ses petits enfants qui sont juifs.
Trio final du Chevalier à la rose (Renee Fleming, Frederica von Stade, Kathleen Battle)
Au plus fort de la barbarie, il crée à Munich son dernier opéra Capriccio, conversation poétique et musicale, hymne à la supériorité de l’art et hommage scintillant à l’esprit français.
Après la fin de la guerre, il est « dénazifié ». Son interlocuteur de la CIA n’est autre que John de Lancie, le premier hautboïste d’Ormandy à Philadelphie qui lui commande un concerto pour hautbois.
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La destruction de l’Opéra de Munich l’anéantit. Cet incorrigible optimiste prend soudain conscience que son monde s’écroule.
Alors qu’il s’est réfugié en Suisse, à Montreux, Paul Sacher lui commande une pièce pour 23 cordes solistes. Ce sera Métamorphoses qui pleure la fin d’un monde. C’est à la fin que Strauss se rend compte qu’il s’est inspiré du thème de la marche funèbre de la Symphonie Héroïque de Beethoven. Sur la partition, il écrit « In memoriam ».
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Il reste à l’octogénaire de prendre congé de la voix humaine qu’il a magnifiée toute sa vie sous la double influence de Mozart et de sa femme Pauline. Il compose son dernier chef-d’œuvre, les Quatre derniers lieder, qui se terminent par le vers d’Eichendorff « Serait-ce la mort » sur un lumineux trille de flûte. Ce testament sera créé à Londres par Kirsten Flagstad et Wilhelm Furtwängler. Sans avoir pu l’entendre, Strauss meurt paisiblement dans sa maison de Garmisch entouré des siens le 8 septembre 1949. Lors des obsèques, Georg Solti dirige le Trio du Chevalier à la rose. Pauline s’écroule en larmes et hurle à l’injustice divine. Elle le suivra dans la tombe moins d’un an plus tard.
Olivier Bellamy