Le Théâtre des Champs-Elysées est vide, comme l’ensemble des institutions musicales d’une grande partie de la planète. Tout s’est arrêté brusquement dès l’annonce du gouvernement, à 3 jours seulement de la première d’une production tant attendue de Roberto Devereux de Donizetti. Entre frustration, angoisse et incertitudes quant à la durée de ce confinement, les équipes du théâtre poursuivent leur travail et préparent, à distance, la reprise, ce futur vers lequel nous avons tant besoin de nous projeter. Michel Franck nous présente les temps forts de la saison à venir, dont la programmation vient d’être dévoilée, et nous éclaire sur la situation de crise que traverse sa maison.
Michel Franck entamera, à la rentrée, son 3ème mandat de directeur
Laure Mézan : Votre saison s’est interrompue alors que se préparait une nouvelle production, pour laquelle les artistes ont répété jusqu’au bout. Comment avez-vous vécu cet arrêt si brutal ?
La protection du public, comme des artistes et de l’ensemble du personnel m’est apparue évidente, primordiale. Cette mesure était incontestablement nécessaire. Bien entendu, après presque 5 semaines de répétitions d’un spectacle qui s’annonçait magnifique, nous avons tous ressentis une immense frustration. Mais la santé passe avant tout ! Aujourd’hui seul un agent de sécurité arpente le théâtre et les équipes sont passées au télétravail, pour préparer l’avenir.
Laure Mézan : Aujourd’hui, alors qu’il est impossible de prévoir une date de reprise dans la mesure où personne ne connait la durée de ce confinement, comment envisager l’avenir ?
C’est, en effet, très difficile. A titre personnel, je pense que le déconfinement, quand il aura lieu, se fera de façon progressive. La réouverture des salles, les grands rassemblements ne seront, sans doute, d’actualité que dans un second stade. Tout dépendra de l’évolution de la maladie. Nous sommes très attentifs aux mesures du gouvernement auxquelles nous nous conformerons. Prédire l’avenir est donc très compliqué !
Laure Mézan : Il vous est donc impossible de vous prononcer sur un éventuel maintien de la prochaine production, Le Couronnement de Poppée de Monteverdi, prévue pour le mois de juin ?
Effectivement et à plusieurs titres. D’une part la construction des décors et la fabrication des costumes sont à l’arrêt. D’autre part, se pose un problème non négligeable concernant les artistes internationaux auxquels nous avons fait appel (le metteur en scène Stephen Langridge est à Londres, Marie-Nicole Lemieux au Canada). Nul ne sait quand ils pourront, de nouveau, voyager. D’autant que les répétitions devraient commencer le 27 avril. Cette production ne verra donc peut-être pas le jour, malgré tous nos espoirs.
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Le TCE a perdu au moins 1,3 millions d’euros de recette
Laure Mézan : Avez-vous pu chiffrer les conséquences financières de cette crise ?
Nos premières estimations portaient sur un arrêt prévu, initialement, jusqu’au 19 avril. Cela représente environ 1, 3 millions de recette perdue. Maintenant, au vu de l’évolution de ce confinement dont on ne connaît pas la durée, d’autres dépenses se grefferont, notamment celles liées aux mesures de chômage partiel et à l’indemnisation des artistes. Car nous avons pris la décision de ne pas les laisser tomber et de régler une grande partie des salaires qui leur étaient dus, avec un effort particulier vis-à-vis des intermittents et des petits cachets. Nous n’avons pas fait jouer la clause de force majeure à laquelle nous aurions pu nous rattacher.
Laure Mézan : Comment le Théâtre des Champs-Elysées peut-il tenir le coup financièrement ?
Grâce au soutien de la Caisse des dépôts. Nous avons déjà reçu une grande partie de notre subvention pour l’année 2020 et disposons ainsi d’une trésorerie. Il faudra cependant tirer un trait sur toutes les recettes non effectuées.
Laure Mézan : Cette situation ne risque-t-elle pas de fragiliser la prochaine saison ?
Pour le moment, je ne le pense pas. Cette saison était entièrement contractée et il n’est pas question d’annuler des spectacles pour lesquels nous avons pris des engagements. Il est trop tôt pour tirer des conséquences. Nous ne serons en mesure de le faire qu’à la fin du confinement. Nous avons tous hâte que le théâtre rouvre ses portes et que le spectacle puisse reprendre ses droits. Tout le monde se projette avec envie et espoir dans la prochaine saison.
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Le Théâtre des Champs-Elysées est à la fois une salle d’opéra et une salle de concert
Laure Mézan : Plusieurs producteurs privés sont liés au Théâtre des Champs-Elysées. Eux aussi sont impactés et ont dû stopper leurs saisons. Êtes-vous en contact avec eux et arrivent-ils à préparer également l’avenir ?
Je maintiens un contact régulier avec eux. Ils ressentent, évidemment, une immense frustration et rencontrent de grandes difficultés financières. Tout le monde y sera attentif. Mais chacun essaie de se projeter dans la nouvelle saison. La billetterie est ouverte depuis quelques jours sur internet et la réponse des abonnements est déjà très satisfaisante. C’est particulièrement encourageant !
Laure Mézan : Parlons justement du futur, de cette prochaine saison que vous venez de dévoiler. Elle comptera 200 levers de rideaux autour d’une programmation associant opéra, danse et musique instrumentale. Vous restez ainsi fidèle à l’ADN du théâtre des Champs-Elysées, à savoir la pluridisciplinarité !
Absolument. Et cet ADN est celui du Théâtre depuis sa naissance en 1913 ! C’est ce qui nous distingue dans le paysage musical parisien et fait notre richesse. Le Théâtre des Champs-Elysées est, à la fois, une salle d’opéra et une salle de concert. Cette diversité est gravée dans le marbre du théâtre et j’entends bien la conserver.
Laure Mézan : Parmi les 6 productions lyriques mises en scène figurera, le nouvel opéra de Thierry Escaich, Point d’orgue, sur un livret d’Olivier Py, avec Patricia Petibon et Jérémie Rhorer. Comment avez-vous initié ce projet ?
C’est l’immense succès de Dialogues des carmélites de Poulenc, dans la mise en scène d’Olivier Py avec, justement, Patricia Petibon et Jérémie Rhorer, qui est à l’origine de cette commande. Mon idée était de monter, avec la même équipe, un autre ouvrage de Poulenc, La Voix humaine. Il s’agit d’un monologue d’à peine 45 minutes qu’il est nécessaire de coupler avec un autre opéra. C’est ainsi que m’est venue l’idée de faire appel à Thierry Escaich qui a été, en outre, le professeur de composition de Jérémie Rhorer. Notre projet était de concevoir ce nouvel opéra comme un miroir ou une suite à La voix humaine et de créer, ainsi, une connexion entre les deux œuvres, d’autant qu’elles seront chantées, toute les deux, par Patricia Petibon.
Patricia Petibon tiendra le rôle principal de la nouvelle production de Salomé de Strauss
Laure Mézan : Patricia Petibon participera également la saison prochaine à une autre production, toute aussi attendue : Salomé de Strauss. C’est une nouvelle prise de rôle pour elle. Vous l’avez beaucoup soutenue et accompagnée dans des moments forts de sa carrière. Elle a été ainsi une bouleversante Mélisande et a marqué les esprits dans Dialogue des Carmélites ou encore Mitridate. Des liens particuliers l’unissent au Théâtre des Champs-Elysées ?
Effectivement, et cela s’inscrit dans cet esprit de fidélité que je développe à travers ma programmation, comme l’ont fait, avant moi, mes prédécesseurs. Une fidélité aux artistes, tels Philippe Jaroussky, Grigory Sokolov, Patricia Petibon, Vannina Santoni, Yannick Nézet-Séguin, Andris Nelsons..… dont la présence au théâtre est inscrite dans la durée. Patricia poursuit un formidable parcours et elle se sentait prête pour chanter Salomé. Je ne pouvais que l’encourager ! Cela peut surprendre de la part d’une chanteuse qui a commencé sa carrière comme soprano légère colorature. Mais sa voix s’est énormément élargie et si elle pense pouvoir aborder le rôle, je lui fais toute confiance.

Laure Mézan : Vous encouragez de nombreux jeunes artistes à relever des défis. On se souvient notamment de cette Traviata où Vannina Santoni s’est véritablement révélée. Quels seront, la saison prochaine, les jeunes talents à surveiller avenue Montaigne ?
Il y en a tant ! J’ai invité de jeunes talents que je suis depuis quelques années et qui, pour certains, ont déjà entamé de beaux parcours. C’est le cas de Jodie Devos, Jakub Josef Orlinski, Emöke Barath, Lucile Richardot ou encore Guilhem Worms. Je fais régulièrement appel à de jeunes artistes, parfois pour des premiers rôles même si, comme cela était le cas avec Vannina Santoni, c’est un sacré pari. Je pourrais citer également Cyrille Dubois qui chante régulièrement chez nous, sans oublier ces jeunes chanteurs qui participent à nos productions d’opéras participatifs. Dans l’Elixir d’amour, la saison prochaine, le public pourra ainsi apprécier les talents de Sahy Ratia, Norma Nahoun ou Jean-Christophe Lanièce qui sont, chacun, promis à un bel avenir. Ces productions, destinées au jeune public, permettent justement de lancer des carrières. Eléonore Pancrazi, que j’avais engagé avant qu’elle ne remporte une Victoire de la musique, s’y était révélé dans Carmen l’année dernière. Côté instrumentiste, je signalerais de jeunes pianistes tel Sunwook Kim ou les violonistes Eva Zavaro et Elena Baeva qui participeront à notre grand week-end du violon.
Laure Mézan : On remarquera également la venue de grandes figures de la mise en scène comme Robert Wilson ou Krzystof Warlikowski mais aussi de Rolando Villazon, sous sa casquette de metteur en scène. Comment est née l’envie de lui confier une production ?
C’est un artiste que j’aime énormément, à la fois en tant que ténor et en tant qu’être humain. J’ai eu l’occasion d’apprécier ses remarquables talents de metteur en scène dans La Traviata à Baden Baden et Don Pasquale à Düsseldorf. Pour La Somnambule de Bellini, il m’apparaissait essentiel de faire appel à un connaisseur du bel canto, car c’est un ouvrage complexe à monter. Il a aussitôt accepté !
Laure Mézan : De prestigieux orchestres internationaux reviendront la saison prochaine. Pour beaucoup, le Théâtre des Champs-Elysées est devenu, au fil des ans, un port d’attache parisien. Là encore, est-ce une histoire de fidélité ?
Absolument. Tous les orchestres qui étaient présents au théâtre avant l’ouverture de la Philharmonie nous sont restés fidèles. Nous accueillerons ainsi, de nouveau, le Philharmonique de Vienne avec Riccardo Muti, le Philharmonique de Rotterdam avec son nouveau chef, le formidable, Lahav Shani mais aussi Saint Pétersbourg avec Temirkanov, le Philharmonia avec Esa-Pekka Salonen, le Mahler Chamber orchestra avec Leif ove Andsnes…. Tous nous renouvelleront leur fidélité !
Laure Mézan : Et du côté de la danse, quels seront les moments forts ?
Nous célébrerons le centenaire des ballets suédois, proposerons une Belle au bois dormant pour les fêtes de Noël et accueillerons Svetlana Zakharova, brillante étoile du Bolshoï.
Le TCE n’est pas le même qu’il y a 10 ans, assure Michel Franck
Laure Mézan : Vous entamerez votre 3ème mandat à la tête du Théâtre des Champs-Elysées que vous dirigez depuis maintenant 10 ans. Qu’est-ce qui, dans votre parcours, vous rend le plus fier ?
Je suis principalement fier d’avoir pu maintenir le niveau auquel mes prédécesseurs avaient élevé ce théâtre. Passer après Dominique Meyer et Alain Durel, était un challenge ! Mon autre fierté est d’avoir ouvert la porte aux jeunes talents, rouvert la porte à la création et fait évoluer le répertoire. Je me suis également d’avantage tourné vers les co-productions, qui permettent de faire rayonner l’image du Théâtre des Champs-Elysées à travers le monde. Nous sommes ainsi associés à des maisons aussi prestigieuses que Covent Garden, le Metropolitan Opera, Munich ou Barcelone mais aussi à des scènes françaises, cela afin de répondre à l’un des axes de la politique du directeur général de la Caisse des dépôts, portée sur les territoires. Je travaille avec Bordeaux et Toulouse tout comme avec des théâtres moins subventionnés comme ceux de Nancy, Rouen, Tours, ou Saint-Etienne.
Laure Mézan : Qu’est-ce qui vous donne envie de prolonger cette aventure au Théâtre des Champs-Elysées, après plus de 10 ans ?
J’aime autant le quatuor à cordes, que le piano, l’opéra ou le ballet et apprécie tant de pouvoir travailler sur l’ensemble des répertoires. C’est une maison qui est aussi très attachante parce qu’elle est à taille humaine. Nous comptons à peine plus d’une centaine de permanents, ce qui est peu comparé à l’effectif de l’Opéra de Paris qui doit largement dépasser le millier. Nous pouvons donc développer une vraie proximité. Et de très nombreux artistes y sont sensibles. C’est une « Opera House », une maison d’opéra, et j’aime la penser en tant que maison. L’autre avantage, qui peut être aussi un inconvénient sur le plan financier, tient au fait que nous n’avons pas de force musicale attachée. Cela permet de choisir les orchestres, en fonction du répertoire. Et c’est une grande chance ! Enfin, je suis très sensible à la notion de durée. J’ai écrit, il y a quelques semaines, un éditorial sur le temps et je trouve qu’il résonne encore différemment aujourd’hui. Nous avons la chance d’être soutenus par la Caisse des dépôt, propriétaire du théâtre, dont Raymond Soubie est le président depuis 40 ans. Il est extrêmement actif et son soutien ne s’est jamais démenti. La longévité des mandats des différents directeurs s’inscrit dans cette idée qu’il faut laisser du temps au temps. Parce qu’on ne peut pas changer un théâtre du jour au lendemain. J’ai l’immodestie de penser que cette maison, aujourd’hui, n’est pas la même que celle que j’ai trouvé il y a 10 ans.